Bulletin de la Banque de France

Changement climatique : quels risques pour le secteur financier français ?

Mise en ligne le 25 Octobre 2019
Auteurs : Sébastien Diot, Anne-Lise Bontemps-Chanel

Bulletin n°225, article 8. Le réchauffement climatique génère des phénomènes météorologiques de grande ampleur et plus fréquents. De tels phénomènes pourraient déstabiliser les tissus économiques locaux et conduire à l’érosion de la valeur des actifs. Les politiques de lutte contre le réchauffement climatique pourraient également fragiliser le système financier si la transition vers une économie bas-carbone est trop soudaine ou trop tardive, dégradant ainsi la valeur des actifs financiers. C’est pourquoi, les superviseurs et les banques centrales appellent les acteurs financiers à mettre en place rapidement les dispositifs internes nécessaires pour assurer le suivi de ce risque et son atténuation. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a publié en avril dernier un état des lieux des pratiques des banques et des assureurs français dans ce domaine. Il en ressort que, malgré des progrès certains, le changement climatique est encore intégré de façon partielle et hétérogène dans le processus de gestion des risques des établissements financiers.

Image Exposition des établissements bancaires et des organismes d'assurance français au risque de transition Description Le graphique présente l'évolution de l'exposition des établissements bancaires et des organismes d'assurance français au risque de transition :  1. Pour les assurances : - Part de l'encours exposé au risque de transition dans le total des encours : 9,5% - Encours exposé au risque de transition : 249 milliards d'euros 2. Pour les banques : - Part de l'encours exposé au risque de transition dans le total des encours : 12,2% - Encours exposé au risque de transition : 613 milliards d'euros Notes : Pour des précisions méthodologiques, se reporter à la note du graphique 3. Source : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, données au 31 décembre 2017. Chiffres clés : 2050: l'année de la neutralité carbone pour respecter l'Accord de Paris dans les scénarios les plus ambitieux : un réchauffement climatique nettement en dessous de 2°C d'ici 20100 862 milliards d'euros : le montant des expositions des établissements bancaires et organismes d'assurance français aux secteurs les plus carbonés Moins de 2,5% : la part des actifs des établissement situés dans des zone géographiques moyennement ou fortement vulnérables au changement climatique

1. Le changement climatique comme enjeu pour la stabilité financière

Contenir le réchauffement climatique requiert des efforts supplémentaires très importants

Dans ses travaux publiés en octobre 2018, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montre qu’un réchauffement climatique qui atteindrait seulement 1,5 °C pourrait accroître fortement le risque et l’impact des phénomènes météorologiques (en particulier sécheresses et incendies, inondations côtières, fortes précipitations et vagues de chaleur). Une hausse proche de 2 °C, qui représente plus qu’un doublement du réchauffement observé (GIEC, 2018) depuis l’ère préindustrielle, aurait des conséquences encore plus importantes (Masson-Delmotte et al., 2019). Or, en l’absence d’une accélération significative des politiques de lutte contre le réchauffement climatique, les experts estiment que ce dernier dépasserait 4 °C à l’horizon de 2100 (cf. graphique 1).

Le risque physique pourrait toucher le secteur financier via les actifs financés ou assurés

Dans ces conditions, l’accroissement de la sévérité et de la fréquence de catastrophes naturelles issues du réchauffement climatique est de nature à affecter le secteur financier et la stabilité financière.

Le risque physique résulte de l’impact direct du changement climatique sur les personnes et les biens. Lorsqu’il se matérialise, celui-ci peut engendrer trois types de conséquences pour les acteurs financiers : i) l’érosion de la valeur des actifs et des sûretés mises en garantie dans les opérations de crédit, quand ceux-ci sont situés dans les zones exposées aux catastrophes naturelles ; ii) la hausse des dommages couverts par le secteur assuranciel ; et iii) la détérioration de l’activité économique locale. L’accroissement du risque physique serait différencié dans le monde selon les caractéristiques des écosystèmes. Par exemple, pour une hausse de température similaire, l’intensité et la fréquence des sécheresses seraient plus élevées en Europe méditerranéenne qu’en Europe du Nord (cf. graphique 2 infra).

La transition vers une économie bas-carbone peut également déstabiliser le secteur financier

Pour atténuer les risques liés au réchauffement climatique, les signataires de l’Accord de Paris se sont engagés à le limiter à moins de 2 °C d’ici à 2100. Cet objectif expose également le secteur financier à un risque de transition. En effet, les travaux du GIEC montrent que le respect de l’Accord de Paris implique d’atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire des émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) nulles, à un horizon relativement proche (dès 2050 pour les scénarios les plus ambitieux) (GIEC, 2018). Pour y parvenir, plusieurs voies sont possibles : i) un renforcement des politiques de lutte contre le réchauffement climatique ; ii) des avancées technologiques majeures – notamment dans la production d’énergie à bas carbone – et iii) un changement de comportement des consommateurs. Si ces évolutions interviennent de façon soudaine et non anticipée par les acteurs financiers, certains actifs pourraient se dévaluer rapidement en raison de la dégradation des perspectives financières des contreparties fortement émettrices de GES et de celles productrices d’énergies fossiles. S’ensuivrait alors une hausse conjointe du risque de marché et du risque de crédit (notamment pour les établissements bancaires). Une telle rupture irait de pair avec une dynamique procyclique des marchés financiers conjuguant vente forcée d’actifs et problèmes de liquidité (Comité européen du risque systémique – CERS, 2016).

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Mise à jour le 8 Décembre 2023