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Qui a acheté les dettes en zone euro depuis le début de la crise sanitaire ?

Mise en ligne le 20 Novembre 2020
Auteurs : Olivier Sirello

Billet n°188. Avec la crise du coronavirus et le recul de l’activité, les besoins de financement ont fortement augmenté. Les émissions nettes de titres de dette publique et privée en zone euro ont ainsi atteint des niveaux jamais observés. Les principaux acheteurs sont les banques centrales, les établissements bancaires et, dans une moindre mesure, les non-résidents.

Image les émissions de dettes publiques et privées ont atteint un record en zone euro
Graphique 1 : les émissions de dettes publiques et privées ont atteint un record en zone euro (CVS, Mds d’euros) Source : Banque Centrale Européenne (calcul de l’auteur)

Note : Émissions nettes de titres de dette en zone euro par secteur émetteur (montants cumulés par période glissante de six mois). 

Du côté de l’offre, la crise sanitaire a conduit à une hausse considérable des émissions

Les besoins de financement publics et privés associés au recul de l’activité économique depuis le mois de mars 2020 ont conduit non seulement à une forte progression du crédit bancaire mais aussi à une très forte activité d’émission de titres de dette en zone euro. Ce billet traite uniquement de la dette sous forme de titres émis sur les marchés, en laissant de côté l’endettement sous forme de crédits auprès des banques.

En zone euro, les émissions nettes ont atteint 1 116 milliards d’euros depuis le début de la crise sanitaire (graphique 1). Les titres de long terme, soit avec une maturité supérieure à 1 an, représentent les trois-quarts de ces émissions (821 milliards d’euros) contre 295 milliards d’euros pour ceux de court terme. Tous les secteurs émetteurs sont concernés par cette hausse des émissions, avec des différences marquant la spécificité de la crise sanitaire actuelle.

Les émissions nettes des gouvernements de la zone euro ont atteint des sommets jamais observés auparavant à 874 milliards d’euros en seulement six mois entre mars et août 2020 (soit le montant des émissions nettes réalisées en un an et demi après la crise financière, entre septembre 2008 et février 2010). Ces émissions ont été dictées par des besoins de financement considérables induits par le recul historique de l’activité pendant le confinement. Ainsi, les émissions des administrations publiques représentent 78 % du total des émissions nettes survenues au cours de cette même période.

Les sociétés non financières de la zone euro ont levé, en termes nets, 122 milliards d’euros entre mars et août 2020, soit près de deux fois le précédent record observé sur les six mois à partir de décembre 2012 (70 milliards d’euros). Pour ce secteur, les titres de long terme représentent 95 % du total. Ceci pourrait être expliqué par la nécessité pour certaines entreprises de couvrir leurs besoins de trésorerie, ainsi que par un motif de précaution face aux aléas économiques et sanitaires (Banque des règlements internationaux, 2020).

Les levées de fonds du secteur financier (banques, assurances, fonds de pension et d’investissement) ont quant à elles progressé depuis mars 2020 mais sensiblement moins par rapport à la crise financière de 2008 (107,5 milliards d’euros en 2020 contre 409 milliards d’euros au cours des six mois suivant la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008). Une explication possible tiendrait à l’abondance des liquidités octroyées aux banques par l’Eurosystème ainsi qu’à la meilleure santé financière du secteur par rapport à 2008.

Cette progression des émissions nettes totales a été observée dans chaque pays de la zone euro (graphique 2). Plus spécifiquement, si l’on rapporte au PIB les émissions nettes au cours de cette période, la France occupe la première place dans la zone euro (13,0 %), suivie par les Pays-Bas (12,9 %). Le poids des émissions françaises s’explique par les titres de court terme des administrations publiques, notamment de sécurité sociale (38 % des émissions de titres de dette publique à court terme de la zone euro entre mars et août 2020, Banque de France). La France arrive également en tête du classement pour le secteur des sociétés non financières (SNF). Ces dernières ont levé 63 milliards d’euros (2,8 % du PIB) sur les marchés de la dette, contre 17 milliards pour les SNF néerlandaises (2,2 % du PIB) et 32 milliards pour les SNF allemandes (0,9 % du PIB). Ceci s’explique notamment par le recours structurellement plus important des entreprises françaises et néerlandaises aux marchés financiers. À noter aussi que, comme dans le reste de la zone euro mais dans une plus large mesure, la forte hausse de l’endettement des SNF françaises est associée à une augmentation quasi équivalente de leur trésorerie (Banque de France).

Image  La France est le premier pays émetteur net en zone euro depuis la crise
Graphique 2 : La France est le premier pays émetteur net en zone euro depuis la crise Sources : BCE, FMI

Note : Émissions nettes de titres de dettes publiques et privées, en pourcentage du PIB du pays (projections du WEO, Octobre 2020). La moyenne 2014-2019 correspond à la moyenne du cumul des émissions nettes pour chaque période rapporté au PIB.

Du côté de la demande, ces émissions ont été absorbées principalement par les banques centrales

Plusieurs secteurs ont augmenté leur détention de titres de dette. D’abord, les banques centrales de l’Eurosystème ont joué un rôle déterminant pour absorber l’offre des dettes de la zone euro (Odendahl et alii, 2020). À partir des statistiques monétaires, on note que les 19 banques centrales nationales ont acheté 63,1 % des émissions de dettes privées et 59,2 % publiques de la zone euro réalisées entre mars et août 2020. Une analyse plus détaillée montre ainsi que l’Eurosystème a acheté 565,6 milliards d’euros dans le cadre du PEPP, 157,2 du PSPP et 33,9 du CSPP.

Image Note : Émissions nettes de titres de dettes publiques et privées, en pourcentage du PIB du pays (projections du WEO, Octobre 2020). La moyenne 2014-2019 correspond à la moyenne du cumul des émissions nettes pour chaque période rapporté au PIB.     Du côté de la demande, ces émissions ont été absorbées principalement par les banques centrales Plusieurs secteurs ont augmenté leur détention de titres de dette. D’abord, les banques centrales de l’Eurosystème ont joué un rôle déterminant pour absorber l’offre de
Graphique 3 : Les achats de titres par l’Eurosystème depuis la crise sanitaire Source : Banque Centrale Européenne (calcul de l’auteur)

Note : Achats nets de titres de dette, publique et privée, de la zone euro, flux en milliards d’euros, cumul par période glissante de six mois. 

Ensuite, les autres institutions financières monétaires (IFM hors banques centrales) de la zone euro ont également augmenté leur détention de titres de dette. Celles-ci ont acheté près de 317 milliards d’euros de dettes publiques et privées entre mars et août 2020, dont 271 milliards d’euros (85%) de titres publics. Ces derniers ont notamment servi pour alimenter le pool de collatéral des banques pour souscrire aux opérations de TLTRO III mises en place lors de la crise sanitaire par la BCE. En rapportant les achats de titres publics au total des émissions nettes effectuées par les administrations publiques de la zone euro, les IFM, hors banques centrales, ont ainsi absorbé un tiers des émissions entre mars et août 2020, contre des ventes nettes enregistrées au cours de la même période en 2019 (-35 %). En revanche, le taux de détention (encours détenus sur encours émis) par les IFM de la zone euro (19,0 %) demeure en deçà des taux enregistrés en 2009 (25,3 %) et 2012 (22,5 %). Comparativement, le taux de détention des titres de dette publique par les assurances de la zone euro s’établit à un niveau plus élevé (22,3 % au T2 2020), mais il n’a pas évolué sensiblement avec la crise sanitaire.

Enfin, contrairement à 2008, les investisseurs hors zone euro n’ont acheté que 10,4 % des titres publics et privés émis entre mars et juillet 2020 en zone euro (soit 115,9 milliards d’euros en six mois). Ces achats ont porté principalement sur les titres de dette de court terme (164 milliards d’euros), notamment français, alors que les titres avec une maturité supérieure à un an ont fait l’objet de ventes (-48,2 milliards d’euros). À titre de comparaison, les investisseurs hors zone euro avaient acheté 18,0 % des émissions nettes totales de la zone euro réalisées au cours des six mois qui avaient suivi la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.

La crise sanitaire a ainsi entrainé une forte augmentation des émissions de titres de dette au niveau de la zone euro. Cette hausse touche l’ensemble des pays de la zone euro, avec quelques différences en fonction du secteur émetteur. Du côté de la demande, les banques centrales de la zone euro, avec les autres institutions financières monétaires, ont joué un rôle prépondérant pour absorber l’offre de titres.

Mise à jour le 29 Mars 2024