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Quelles sont les causes de l’inflation post-pandémie en France ?

Mise en ligne le 1 Août 2024
Auteurs : Pierre Aldama, Hervé Le Bihan, Claire Le Gall

Billet de blog n° 363. En France et dans la plupart des pays avancés, l'inflation a fortement augmenté entre 2021 et 2023, atteignant des niveaux inobservés depuis 40 ans. À partir du modèle de Bernanke et Blanchard (2023), nous concluons que, comme aux États-Unis, les chocs de prix de l’énergie puis de l’alimentation ont été les moteurs de l'inflation post-pandémie en France, sans pour autant enclencher de spirale prix-salaires grâce notamment au maintien d’un bon ancrage des anticipations d’inflation.

Graphique 1 : De 2021 à 2023 l’inflation en France augmente fortement sous l’effet des chocs de prix de matières premières

Image Graphique 1 : De 2021 à 2023 l’inflation en France augmente fortement sous l’effet des chocs de prix de matières premières Thématique Inflation Covid-19 Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Insee et calculs des auteurs.
Note : IPCH, indice des prix à la consommation harmonisé.

Comprendre les causes de l’inflation entre 2021 et 2023 : une approche semi-structurelle

L’inflation en France (mesurée dans ce billet par l’indice des prix à la consommation harmonisé, IPCH) a augmenté de 2,1% en 2021 pour atteindre 5,9% en 2022 et 5,7% en 2023. Plusieurs facteurs ont pu jouer dans cette hausse comme la perturbation des chaînes mondiales d'approvisionnement lors de la reprise post-pandémie, l'augmentation des prix de l'énergie et des denrées alimentaires suite à l'invasion russe en Ukraine, ou encore les tensions sur le marché du travail. 

L’inflation, variable macroéconomique, est mesurée par la variation d’un indice qui combine les prix de différents produits (énergie, alimentation, biens manufacturés et services). Le graphique 1 illustre notamment la contribution des postes énergie et alimentation à la hausse des prix à la consommation entre 2021 et 2023. Cependant, cette décomposition "comptable" ne permet pas d’isoler les causes de l'inflation observée. Ainsi, s’ils ont un effet direct sur la contribution de l’énergie à l’inflation, les chocs des prix de l'énergie peuvent avoir des effets indirects sur d'autres composantes, car l'énergie est un intrant pour la production de nombreux biens et services. Par ailleurs, une hausse du prix de l’énergie peut se traduire par des salaires plus élevés, et ainsi enclencher une boucle prix-salaire.
 
Afin d’isoler les facteurs à l’origine de l’inflation, Bernanke et Blanchard (2023) ont proposé un modèle économétrique semi-structurel, appliqué initialement au cas américain. Dans ce modèle, la hausse de l’inflation (comme l’évolution des salaires et des anticipations d'inflation) est expliquée par des chocs qui affectent différentes variables comme les tensions sur le marché du travail (mesurées par le ratio des emplois vacants sur le nombre de chômeurs), les prix de l'énergie et de l’alimentaire, les perturbations des chaînes d'approvisionnement et la productivité tendancielle.  Selon leur analyse, l'envolée de l'inflation aux États-Unis à partir de 2021 (de 1,2% en 2020 à 8% en 2022) est principalement due à des chocs de prix des matières premières, et à des perturbations des chaînes d'approvisionnement. Le resserrement du marché du travail n'a pas été un facteur déterminant de l'inflation jusqu'au premier trimestre de l’année 2023. Les effets d'un marché du travail en surchauffe auraient pu cependant se matérialiser plus tard, étant donné la persistance plus élevée des salaires. Ces dernières considérations avaient initialement poussé les auteurs à soutenir que "le dernier kilomètre" pour atteindre l'objectif d'inflation de +2 % de la Réserve Fédérale aurait pu être plus difficile à tenir qu’attendu.

Graphique 2 : Une inflation en France soutenue d’abord par l’effet des prix de l’énergie puis de l’alimentation 

Image Graphique 2 : Une inflation en France soutenue d’abord par l’effet des prix de l’énergie puis de l’alimentation Thématique Inflation Covid-19 Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Insee et calculs des auteurs (cf. Aldama, Pierre, Hervé Le Bihan et Claire Le Gall, « What caused the post-pandemic inflation? Replicating Bernanke and Blanchard (2023) on French data », Banque de France Working Paper, à paraître).

Notes : les conditions initiales correspondant à la projection du modèle en l’absence des chocs observés entre 2020 T1 et 2023 T2

Des causes semblables en France et dans d’autres économies avancées

Nous répliquons cet exercice sur la France et estimons le modèle de Bernanke et Blanchard (2023) sur données trimestrielles du premier trimestre 1990 au deuxième trimestre 2023. Dans l'ensemble, nos résultats corroborent les principaux messages de Bernanke et Blanchard dans le cas français (cf. graphique 2). La forte hausse de l'inflation sur la période 2021 à 2023 a été principalement déclenchée par des chocs sur les prix de l'énergie en 2021. Les chocs sur les prix des denrées alimentaires ont ensuite joué un rôle important à partir de 2022. L’effet des chocs sur les chaînes d'approvisionnement serait à l’inverse resté faible. Par ailleurs, les chocs inflationnistes n’ont pas déclenché de spirale prix-salaires, en raison d’un faible degré d'indexation des salaires et d'un fort degré d'ancrage des anticipations d’inflation, grâce à la crédibilité et à la réaction vigoureuse de la politique monétaire de la BCE. Selon nos résultats, si la réponse de l’inflation à un choc de prix des matières premières est forte, elle est de courte durée. Le modèle montre cependant qu’en cas de tensions persistantes sur le marché du travail, l’inflation augmenterait de façon persistante.
 
L’expérience française est très similaire à celles d’autres économies avancées. À cet égard, les résultats évoqués dans ce billet font également l’objet d’un projet international conjoint, présenté dans Bernanke et Blanchard (2024), impliquant les banques centrales du Royaume-Uni, du Japon, du Canada, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, de Belgique, des Pays-Bas et de France, ainsi que la Banque centrale européenne. Pour autant, la France se distingue des autres économies avancées de par sa politique de bouclier tarifaire sur les prix de l'énergie (Lemoine, Petronevich et Zhutova, 2024) : celle-ci a limité et différé les augmentations de prix en France. La hausse de l'inflation y a été plus graduelle, et le pic d'inflation a été plus bas. De plus, les perturbations des chaînes d'approvisionnement ont eu un rôle moins marqué en France qu’aux États-Unis. 

Des perspectives favorables pour un retour durable de l’inflation autour de 2% à partir de 2025

Pour finir, le modèle appliqué aux données les plus récentes (c.-à-d. jusqu’au 1er trimestre 2024) permet d’apporter un éclairage sur les perspectives d’inflation à venir en simulant notre modèle à partir d’un scénario proche de celui présenté dans nos projections économiques de juin : les tensions du marché du travail reviendraient à leur niveau pré-Covid, ce qui impliquerait un taux de chômage légèrement supérieur à 7,5% en 2026.

Graphique 3 : Trajectoires d’inflation en France dans un scénario de retour aux tensions du marché du travail pré-Covid

Image Graphique 3 : Trajectoires d’inflation en France dans un scénario de retour aux tensions du marché du travail pré-Covid Thématique Inflation Covid-19 Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Insee et calculs des auteurs.
Notes : IPCH, indice des prix à la consommation harmonisé.

Cet exercice confirme que la désinflation va se poursuivre en France (graphique 3) : le taux d'inflation se stabiliserait durablement autour de +2 % à partir de 2025, soit l'objectif d’inflation à moyen terme de la Banque centrale européenne. Les risques autour de ce scénario sont équilibrés. Une baisse marquée du taux de chômage conduisant à des tensions persistantes sur le marché du travail pourrait faire repasser le taux d’inflation au-dessus de 2%. A l’inverse, une poursuite de la remontée du taux de chômage pourrait abaisser l’inflation sensiblement en-dessous de 2%. Bien entendu, ces deux cas polaires entraineraient des réactions de politique monétaire pour éviter une inflation trop élevée ou trop basse.

Pour quantifier précisément la contribution de la politique monétaire à la dynamique de l’inflation et aux anticipations d’inflation, un modèle plus élaboré et en équilibre général serait nécessaire. Un facteur notable dans la récente baisse de l’inflation a en effet été le maintien d’anticipations d’inflation bien ancrées. La réaction vigoureuse de la politique monétaire de la BCE depuis 2022 a joué un rôle clé dans cet ancrage (Villeroy de Galhau, 2024). 
 

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Mise à jour le 1 Août 2024