1 Le paradoxe des anticipations
Depuis le début des années 2000, les banques centrales communiquent bien davantage que par le passé sur leurs décisions de politique monétaire. En particulier, les intentions qu’elles communiquent quant à leur politique monétaire future constituent désormais un outil de politique monétaire à part entière : la « forward guidance » (ou guidage des anticipations). Suite à la crise financière mondiale de 2008, la forward guidance a ainsi été l’un des principaux outils non conventionnels pour continuer à soutenir l’économie une fois les taux directeurs contraints par la borne inférieure sur les taux. La forward guidance trouve son origine dans une intuition importante des modèles de la nouvelle économie keynésienne : la politique monétaire influence la demande globale non seulement à travers le taux directeur actuel, mais également à travers les anticipations de taux directeurs futurs. En effet, les décisions d’épargne et d’investissement dépendent généralement des taux à long terme, et les anticipations de taux directeurs futurs sont un déterminant important des taux à long terme actuels. Dans les modèles standards de la nouvelle économie keynésienne, la demande globale yt dépend des taux d’intérêt réels futurs anticipés rt+k à travers la courbe IS dynamique, qui représente l’équilibre sur le marché des biens et services où σ est l’élasticité intertemporelle de substitution et Et (rt+k) représente les anticipations en t du taux d’intérêt réel en t+k.
En matière de taux d’intérêt réels, la courbe IS stipule que le taux à court terme anticipé rt+k à tout horizon k a le même effet sur la demande globale actuelle que le taux à court terme actuel rt.
Cependant, l’effet des taux futurs devient beaucoup plus fort si l’on considère l’effet des taux à court terme nominaux – ceux que la banque centrale contrôle directement et sur lesquels elle peut communiquer ou s’engager. En effet, le taux réel rt+k qui importe pour la demande globale est le taux nominal it+k moins l’inflation anticipée Et (Πt+k+1). Si la banque centrale s’engage à baisser ses taux directeurs d’un point de pourcentage dans un an, avant de les remonter ensuite, cela augmentera la demande globale et donc l’inflation l’an prochain. Si les ménages et les entreprises anticipent cette inflation plus élevée – ce qu’ils sont supposés faire si leurs anticipations sont rationnelles – le taux d’intérêt réel baisse même si le taux directeur reste inchangé. À travers ce canal des anticipations d’inflation, les…