La résurgence de l'inflation dans la zone euro, stimulée par la reprise post-COVID et les tensions sur les marchés du pétrole et du gaz naturel liées à la guerre en Ukraine, a coïncidé avec une augmentation significative des écarts d'inflation entre les pays membres, atteignant des niveaux sans précédent et des sommets historiques.
Les divergences d'inflation ont attiré l'attention des décideurs politiques car elles peuvent remettre en cause l'efficacité de la politique monétaire. L'ajustement des taux d'intérêt nominaux sur la base d'un objectif d'inflation unique pourrait entraîner une politique monétaire excessivement accommodante pour les pays dont l'inflation est nettement plus élevée que la moyenne de la zone euro. Inversement, les pays dont l'inflation est nettement inférieure à la moyenne peuvent subir des pressions injustifiées en faveur d'un resserrement de la politique monétaire.
Évaluer le risque de dispersion de l'inflation de manière précise est donc d'une grande importance pour les décideurs politiques. Il est essentiel de déterminer si les écarts d'inflation sont temporaires, ou s'ils sont susceptibles de persister sur une longue période. Dans le même temps, une meilleure compréhension des facteurs à l'origine des disparités d'inflation offre des perspectives précieuses pour prédire leur évolution future et évaluer les risques associés à des divergences durables. De plus, dans le contexte d'une union monétaire, où les pays partagent le même taux d'intérêt nominal, une forte dispersion des taux d'inflation se traduit par une forte dispersion des taux d'intérêt réels entre les pays membres. Dans ce contexte, le risque de dispersion de l'inflation peut également être révélateur du risque de fragmentation financière dans la zone euro, pouvant nuire à la transmission de la politique monétaire. Cependant, le manque d'outils fiables et disponibles pour analyser ces risques rend l'étude de cette question importante très limitée. En effet, les mesures actuelles de dispersion de l'inflation reposent généralement sur l'inflation réalisée et ne contiennent donc pas, par construction, d'informations prospectives sur la dispersion attendue de l'inflation à moyen et long terme.
Afin de construire correctement une mesure de dispersion de l'inflation attendue entre les pays de la zone euro, il est nécessaire d'adopter une approche de prévision probabiliste en considérant non seulement les différences entre pays dans les prévisions médianes d’inflation, mais aussi les différences entre pays dans les prévisions de densité puisqu'elles apportent des informations supplémentaires, à savoir les différences d'incertitude et les risques de queue. C'est ce que nous avons l'intention de faire dans ce document. Plus précisément, notre mesure de dispersion reflète la dissemblance, c'est-à-dire la distance, entre les distributions prédictives complètes de l'inflation des pays membres de la zone euro. Elle mesure donc l’écart qui sépare les niveaux d'inflation attendus entre les membres de la zone euro à un horizon donné.
Nous démontrons que le risque d'écarts d'inflation présente un profil fortement anticyclique, qui a tendance à augmenter rapidement en période de ralentissement économique (voir Figure). Nos analyses contrefactuelles montrent que l'augmentation du risque de dispersion semble être principalement associée à une détérioration des conditions financières. En revanche, un ancrage solide des anticipations d'inflation tend à atténuer ce risque. Enfin, nous démontrons que notre mesure a un pouvoir prédictif pour les réalisations futures de l'inflation dans la zone euro ainsi que pour les variations du taux d'intérêt de l'autorité monétaire.
Mots-clés : dispersion de l’inflation, Kullback-Leibler, zone euro, régression quantile, courbe de Phillips
JEL classification: D80, E31, E58, F45, G12