Billet de blog n° 340. L’objectif de stabilité des prix des banques centrales passe par des anticipations d'inflation ancrées à la cible d’inflation. La formation de ces anticipations dépend de l’attention que les agents économiques portent à l’inflation. À l’aide de données issues des réseaux sociaux et de la presse, nous montrons que l’attention à l’inflation n’est pas constante et dépend du niveau d’inflation.
La forte hausse des prix au cours des deux dernières années a suscité une inquiétude légitime quant au pouvoir d’achat et a alimenté une attention plus forte du grand public sur le sujet de l’inflation. L’attention portée à l'inflation dans la population en général n’est pas un concept directement mesurable et une façon de quantifier l'attention à l'inflation consiste à mesurer le nombre de fois où les termes liés à l'inflation sont utilisés sur les réseaux sociaux ou dans la presse. Quand l’inflation était basse, le nombre d’occurrences de ces termes était faible et ne variait pas avec le niveau d’inflation. Quand l’inflation dépasse un certain seuil, l’attention à l’inflation augmente fortement et croît à mesure que l’inflation augmente (Graphique 1).
Note : Axe des ordonnées : nombre quotidien moyen de tweets (gauche) et d’articles de presse (droite) par mois. Axe des abscisses : inflation en France mesurée par l'IPCH.
Une relation non-linéaire entre attention à l'inflation et niveau d’inflation
Il n’existe pas de consensus sur la meilleure façon de mesurer l’attention à l’inflation, en particulier parce que cela dépend des catégories d’agents économiques considérées, ménages ou entreprises par exemple. Dans ce billet de blog, nous utilisons une méthodologie appliquée à X (anciennement Twitter) et aux articles de presse (collectés par Factiva) développée et décrite dans un précédent billet de blog (n°299). Notre mesure d’attention à l’inflation se concentre donc sur les participants aux réseaux sociaux, qu’ils soient des experts ou le grand public, et les journalistes, dont l’objectif est de répondre aux attentes du grand public. Ces deux indicateurs, X/Twitter et presse, mesurent le nombre de tweets ou d’articles de presse portant sur le thème de l’inflation recensés chaque mois entre 2011 et 2022. Nous les relions au niveau de l’inflation, tel que mesuré mensuellement par l’INSEE et documentons une relation non linéaire entre le niveau d'inflation et l'attention portée à l'inflation en France, avec un seuil autour de 2,5% (Graphique 1). En dessous de ce seuil, les agents semblent inattentifs à l'inflation, alors qu'au-dessus de ce seuil, ils sont beaucoup plus attentifs à l'inflation. Pour chaque point de pourcentage supplémentaire d’inflation au-delà du seuil, l’attention portée à ce sujet croit fortement.
Note : Axe des ordonnées : nombre quotidien moyen de tweets par mois dans chacun des 4 pays. Axe des abscisses : inflation mesurée par l'IPCH.
En Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, une relation non-linéaire similaire est observée (Graphique 2). Toutefois, le seuil d’attention croissante à l’inflation et l’intensité de la relation au-delà du seuil peuvent varier d’un pays à l’autre. Par exemple, l’intensité du lien entre attention et inflation est beaucoup plus faible en Italie ou aux Pays-Bas qu’en France et en Allemagne. Cela peut s’expliquer par des différences culturelles ou institutionnelles. Korenok et al. (2022) montrent, à l’aide d’une mesure d’attention basée sur le nombre de requêtes Google pour le mot « inflation », que, dans les pays où l’inflation évolue historiquement à des niveaux élevés, il n’y a pas de relation non-linéaire ou que le seuil existe mais à un niveau plus élevé. Dans les pays où l’inflation a été faible dans les décennies passées, le seuil est bas (entre 2 et 4%) et la relation est très non-linéaire, comme en France. Ce résultat suggère que l’attention est dépendante du contexte « habituel » d’inflation. Weber et al. (2023) montrent que le niveau d’attention à l’inflation des chefs d’entreprise et des ménages varie fortement selon l’environnement habituel d’inflation dans lequel ils évoluent.
La fréquence avec laquelle les individus sont confrontés dans leurs achats quotidiens à certains prix et à leurs variations peut être un autre facteur incitant les individus à prêter davantage attention à l'inflation (Bulletin, n°249) En particulier, les hausses de prix des produits alimentaires (D’Acunto et al., 2021) ou encore les prix des carburants (Binder, 2018) peuvent déclencher une attention accrue à l’évolution des prix au niveau plus agrégé.
Note : Axe des ordonnées : nombre quotidien moyen de tweets par mois. Axe des abscisses : inflation des produits alimentaires (gauche) et des prix de l’énergie (droite) en France.
Le Graphique 3 suggère que les prix de l’énergie contribuent davantage à cette attention élevée que les prix alimentaires. Comment ces différents signaux affectent-ils la formation des anticipations d’inflation ? La littérature a montré que les agents surpondèrent les signaux individuels au détriment des signaux agrégés, ce qui explique en partie la dispersion des anticipations d’inflation au sein des enquêtes auprès des ménages ou des entreprises (Billet de blog, n°285).
L'inflation élevée avive l’attention à l’inflation
Pourquoi l’attention des agents économiques varie-t-elle avec le niveau d’inflation ? Les agents économiques sont confrontés chaque jour à un flux important de nouvelles informations sur les évolutions macroéconomiques et sur des chocs spécifiques, et prennent des décisions en fonction de ces informations. Toutefois, l’accès à ces informations peut être coûteux : cela requiert du temps et de l’attention. Il peut être alors rationnel pour les agents économiques de ne pas porter une attention continue à l’ensemble des informations auxquelles ils peuvent avoir accès. Le degré d’attention à certaines informations et la fréquence à laquelle les agents vont accéder à une nouvelle information va alors dépendre des gains attendus de cette nouvelle information.
Ainsi, quand l’inflation est durablement faible et peu volatile, il peut être opportun pour les agents économiques de moins souvent prêter attention à ce sujet. Au contraire, quand l’inflation est élevée, les ménages et les entreprises ont un intérêt à suivre plus précisément l’évolution des prix pour ne pas perdre en pouvoir d’achat, prendre leurs décisions de consommation ou sur les prix qu’ils fixent. La théorie de l'inattention rationnelle (Sims, 2003, et Mackowiak et Wiederholt, 2009) suggère ainsi que les individus choisissent d'être inattentifs parce que les coûts d’acquisition et de traitement de l’information l'emportent sur les bénéfices.
La transmission des chocs à l’inflation est plus rapide quand l’attention est plus élevée
Lorsque les agents économiques sont plus attentifs à l’inflation, ils prennent davantage en compte les chocs agrégés dans leurs décisions de prix et de salaires alors qu’en inflation faible, les chocs individuels comptent davantage que les chocs agrégés. Une attention élevée à l’inflation peut alors conduire à une répercussion plus rapide et plus importante d’un choc inflationniste aux prix et aux salaires (Pfauti, 2023, et Billet de blog n°324).
En outre, dans un régime d'attention à l'inflation élevée, les banques centrales doivent être plus prudentes dans la communication de leurs intentions de politique et leur gestion des anticipations d'inflation, susceptibles de réagir plus fortement. En contrepartie, cela peut aussi être utilisé favorablement : la communication de la banque centrale, potentiellement plus influente qu’en période d’inflation faible, devrait permettre à la politique monétaire d’avoir plus d’impact sur l’inflation.
Note : Axe des ordonnées : nombre quotidien moyen de tweets par mois. Axe des abscisses : inflation mesurée par l'IPCH. Points rouges (verts) : hausse (baisse) du taux d’inflation, mesuré en glissement annuel, entre 2 mois.
De la même manière, le mécanisme de transmission des chocs plus rapide en régime d’attention élevée peut être considéré de façon symétrique : l’attention élevée ne concerne pas que les hausses mais aussi les baisses du taux d’inflation dès lors que l’économie est dans un régime d’inflation élevée (Graphique 4). Les individus seraient attentifs aux premiers signaux de décélération de l'inflation, ce qui transmettrait la baisse de l'inflation plus rapidement à l'ensemble de l’économie.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024