Bloc-notes Éco

IA et expansion des centres de données, les enjeux pour le marché du cuivre

Mise en ligne le 18 Avril 2025
Auteurs : Claire Brousse

Billet de blog 402. Le développement rapide de l'intelligence artificielle entraîne une augmentation de la demande de métaux nécessaires pour les composants électroniques utilisés dans les systèmes de stockage des données, comme le cuivre. Ces besoins accrus viennent renforcer la forte hausse de la demande de cuivre liée à la transition énergétique, et ainsi accentuer les déséquilibres sur ce marché, avec des risques pour la stabilité financière.

Graphique 1 : Prévisions de la demande annuelle de cuivre par les centres de données situés en Amérique du Nord

Image GR1-FR
Source : Copper Development Association

L’intelligence artificielle, un moteur de la demande de cuivre 

L’adoption de l’intelligence artificielle (IA), et plus particulièrement de l’intelligence artificielle générative, s’est accélérée depuis début 2023, avec l’ouverture de ChatGPT au grand public. Cette technologie présente à la fois des opportunités et des risques pour le secteur financier (Banque de France, 2024). Les investissements dans l’IA générative ont explosé, passant de 2,6 milliards de dollars en 2022 à plus de 20 milliards de dollars en 2023, au niveau mondial (Our world in data, 2024), et le nombre de brevets déposés utilisant de l’IA a fortement augmenté au cours des dernières années. 

Cette accélération du développement de l’intelligence artificielle implique une hausse de la demande en composants électroniques utilisés dans les systèmes de stockage de données (puces, circuits imprimés), qui sont constitués de métaux comme l’or, le cuivre, le palladium et le platine. Parmi ces métaux, le cuivre a des propriétés essentielles aux systèmes électroniques, telles que sa conductivité électrique et sa résistance à la corrosion. Il est notamment utilisé au sein des centres de données pour l’alimentation électrique, les systèmes de refroidissement et la connectivité. À titre d’exemple, le centre de données de Microsoft à Chicago a nécessité 2 177 tonnes de cuivre pour sa construction. L’entreprise minière BHP a estimé qu’au niveau mondial, la demande annuelle de cuivre des centres de données dédiés à l’IA devrait être multipliée par 6 et atteindre 3 millions de tonnes à horizon 2050, soit environ 9 % de la demande globale en 2050, contre 500 000 tonnes en 2024 (BHP, 2024). Cette forte hausse de la demande pourrait créer des pressions sur le marché des métaux précieux et potentiellement, si elle est trop rapide, entrainer des risques de pénuries.

L’accélération de l’intelligence artificielle implique également une hausse de la demande en électricité avec la création de nouveaux centres de données pour le développement de nouvelles IA génératives. D’ici 2030, la consommation électrique de l’intelligence artificielle représenterait 3 à 4 % de la demande mondiale (S&P Global, 2023).

Les besoins en cuivre liés au développement de l’intelligence artificielle viennent renforcer les risques de déséquilibre entre offre et demande également identifiés dans le cadre de la transition énergétique. En effet, celle ci nécessite aussi des métaux, dont le cuivre, indispensable à la production d’énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires), au stockage d’énergie (batteries) et aux infrastructure de recharge pour les véhicules électriques (Banque de France, 2023). La consommation annuelle de cuivre pour un système énergétique bas carbone devrait ainsi passer de 7,9 millions de tonnes en 2025 à 17,3 millions de tonnes en 2050, selon l'Agence internationale de l’énergie. 

La hausse de la demande de cuivre pourrait engendrer des risques pour le marché du cuivre

Le marché du cuivre est particulièrement sensible au contexte macro-économique et aux risques géopolitiques. Il dépend notamment de la situation économique en Chine, qui représente plus de la moitié de la demande mondiale. Le ralentissement économique en Chine, notamment dans le secteur de l’immobilier qui constitue un important moteur de la demande, et les incertitudes autour des perspectives de reprise ont ainsi contribué à la hausse de la volatilité des cours du cuivre en 2024 (Graphique 2).

 

Graphique 2 : Cours du cuivre et volatilité 30 jours

Image GR2-FR_0
Source: FRED - Federal Reserve Saint Louis

En 2024, des producteurs de cuivre ont identifié un décalage entre la demande croissante et les capacités de production, et ont alors alerté sur un risque de forte volatilité. Des craintes de pénuries potentielles de cuivre pourraient entraîner une forte tension sur les marchés au cours des années à venir. 

Des positions spéculatives sur le marché du cuivre pourraient en outre alimenter la volatilité. Entre 2023 et 2024, les volumes annuels de contrats futurs sur le cuivre ont progressé de 10,5 % sur le London Metal Exchange (LME) et de 6,8% sur le Chicago Mercantile Exchange (CME). Les positions longues spéculatives des fonds d’investissement sur les contrats futurs sur le LME sont en hausse depuis début 2023 et ont atteint un pic en mai 2024 avec 16,5 % du total des positions ouvertes (Graphique 3). Les positions longues de couverture de l’industrie du cuivre sont globalement stables depuis début 2023 et représentent environ 20 % du total des positions ouvertes (LME, 2025).

 

Graphique 3 : Positions longues ouvertes sur les contrats futurs du LME sur le cuivre
 

Image GR3-FR
Source : London Metal Exchange

Les transactions de certains fonds d’investissement spéculatifs ont déjà contribué à une forte volatilité des cours en 2024, portant le cours du cuivre à un record historique de 11 000 dollars la tonne au cours du mois de mai. Deux pics de transactions sur les contrats futurs sur le cuivre avec des contreparties européennes ont ainsi été recensés début mai 2024 de la part des fonds d’investissement (Graphique 4). Des fonds d’investissement spéculatifs parient ainsi sur l’engouement autour de l’intelligence artificielle et une forte hausse de la demande. De fait, les prix des futures sur le cuivre ont connu une hausse de 5 % sur l’année 2024 en lien avec ces positionnements. Les positions spéculatives peuvent aussi impacter les producteurs de cuivre, qui utilisent des positions vendeuses de contrats futurs pour se couvrir contre des baisses de prix. En cas de hausse brutale du cours du cuivre, les producteurs peuvent être amenés à racheter du cuivre pour couvrir leurs positions courtes, ce qui a un effet procyclique d’augmentation des prix et peut conduire à des pertes pour les producteurs.



Graphique 4 : Transactions des fonds d’investissement européens sur les contrats futurs sur le cuivre en 2024

Image GR4-FR
Source: EMIR
Note : Le périmètre des données EMIR pour ce graphique comprend l’ensemble des transactions réalisées par un fond d’investissement européen ou par un fond d’investissement non européen avec une contrepartie européenne.

Des épisodes de forte volatilité ont déjà eu lieu sur les marchés des métaux, avec des effets collatéraux sur la situation financière de certains participants de marché. 

En 1995, Sumitomo, une grande entreprise de trading japonaise, a été impliquée dans une manipulation majeure du marché du cuivre. L’entreprise avait accumulé des positions futures massives sur le LME, contrôlant jusqu'à 5 % de l'offre mondiale et faisant grimper les prix artificiellement. La découverte de la fraude a entraîné d’importantes pertes pour Sumitomo (1,8 milliards USD) et une chute brutale des prix du cuivre de plus de 30 %.

Plus récemment, en mars 2022, le cours du Nickel a subi une hausse de 270 % et a atteint des niveaux records à la suite de l’invasion de l’Ukraine, entraînant la suspension des échanges par le LME. Pour contenir la volatilité du marché, le LME est intervenu en imposant des limites de prix quotidiennes sur d’autres métaux et a interdit la soumission d’ordres en dehors de la limite quotidienne. Cet épisode a mis en évidence des risques majeurs pour les marchés de matières premières : d’une  part, leur sensibilité aux événements géopolitiques, qui peut provoquer des fluctuations soudaines et imprévisibles ; d’autre part,  le danger des  positions spéculatives excessives, qui peuvent entraîner des accidents de marché au travers du mécanisme des appels de marges (Banque de France, 2022). Les appels de marge constituent un mécanisme de sécurisation nécessaire au bon fonctionnement des marchés de dérivés mais peuvent aussi être un canal de transmission d’un choc. 

Mise à jour le 22 Avril 2025