Rapport sur la stabilité financière

Rapport sur la stabilité financière - Juin 2024

Mise en ligne le 24 Juin 2024

La forte résilience des systèmes financiers français et européen pendant la période de resserrement monétaire couplée à la poursuite de la baisse de l’inflation observée depuis décembre renforce la probabilité d’un « atterrissage en douceur » des économies française et européenne. Dans ce contexte notre perception des risques pour le système financier français reste stable par rapport à décembre 2023 même si une dégradation de la conjoncture macroéconomique ou de l’environnement géopolitique ne peut être exclue.

Alors que la Banque Centrale Européenne (BCE) vient de réduire ses trois taux directeurs de 25 points de base le 6 juin, la transmission des hausses de taux passées à l’économie semble désormais largement accomplie en ce qui concerne les taux d’intérêt sur le crédit au secteur non financier. Du point de vue du canal du crédit de transmission de la politique monétaire, on observe une relative stabilité des flux de nouveaux prêts au secteur non financier et une stabilisation des encours même si les délais de transmission aux volumes de crédit, qui dépendent en premier lieu du dynamisme de la demande, sont a priori plus longs que leur transmission aux taux.

La transmission de la hausse passée des taux se poursuit dans les bilans des entreprises non financières. La relative inertie du coût moyen de la dette des sociétés non financières (SNF) françaises, liée à leur structure d’endettement à taux fixe, a retardé l’impact de la hausse des taux sur leur situation financière. Mais cette relative inertie fait que les SNF françaises seront également moins rapidement bénéficiaires d’éventuelles baisses de taux d’intérêt supplémentaires en 2024 et 2025, que leurs pairs de l’Eurosystème qui ont une part d’endettement à taux variable plus importante.

Comme toute phase d’incertitude, le bouleversement du calendrier électoral français a ouvert en juin 2024 une phase de volatilité de marché, concernant notamment les rendements de la dette souveraine française, les valorisations boursières, en particulier celles des intermédiaires financiers. Le présent document n’incorpore pas ces développements récents.

Les vulnérabilités demeurent élevées pour les acteurs non-financiers les plus exposés aux taux plus élevés, alors que le repli du marché immobilier se poursuit de façon ordonnée

Les risques liés aux sociétés non financières restent orientés à la hausse. Le nombre de défaillances continue de progresser et se rapproche de sa tendance de long terme, mais de manière variable selon la taille et le secteur. Un chapitre thématique de ce rapport revient sur la situation financière des grandes entreprises face au niveau de taux plus élevés. Le service de la dette, qui a représenté un poids croissant pour ces entreprises en 2023, devrait s’alourdir en 2024, en raison du refinancement progressif du stock de dette à des taux plus élevés. Toutefois, ce niveau de vulnérabilité est contrebalancé par des niveaux élevés de trésorerie, même si les situations sont hétérogènes.

La hausse marquée des taux d’intérêt depuis juillet 2022 a également engendré des tensions pour les secteurs de l’immobilier résidentiel et de l’immobilier commercial. Le repli des prix sur le marché de l’immobilier résidentiel, qui représente la part la plus importante de l’exposition des banques au marché de l’immobilier, est désormais significatif. Le secteur présente néanmoins des signes d’amélioration et les risques qu’il présente pour la stabilité financière demeurent limités en raison de la structure d’endettement des ménages et des normes macroprudentielles en vigueur. La correction sur le marché de l’immobilier commercial est encore plus marquée et pourrait répondre à des facteurs structurels. Les risques associés à ce segment demeurent toutefois contenus grâce à une exposition directe des assureurs et des banques qui reste limitée et à la mise en place par les fonds d’investissement d’outils de gestion de la liquidité.

Le risque souverain reste un point d’attention important pour la France, dans un contexte budgétaire dégradé. Les annonces de la détérioration du déficit public et de la dégradation de la note souveraine française par Standard & Poor’s n’ont pas entraîné immédiatement de réaction significative des spreads et CDS souverains. Le contexte d’incertitude fait peser un risque accru de tensions sur les rendements de la dette française, comme en a témoigné le récent écartement du spread OAT-Bund.

Malgré un environnement géopolitique dégradé et un contexte politique et macroéconomique incertain, les niveaux élevés de valorisations des marchés actions reflètent les résultats solides des entreprises, tandis que l’aversion au risque s’est réduite sur les marchés obligataires

Les primes de risque restent à des niveaux très faibles, tandis qu’à l’inverse les valorisations des principaux indices se situent à des niveaux historiquement élevés. Les valorisations apparaissent néanmoins toujours tirées, en France comme à l’étranger, par un nombre limité de secteurs (technologie et luxe en France). La hausse actuelle des valorisations sur le secteur technologique aux États-Unis, lié aux perspectives de l’intelligence artificielle, a les apparences d’un phénomène spéculatif, mais une éventuelle correction ordonnée ne semble cependant pas de nature à poser un véritable risque de stabilité financière surtout si elle est concentrée sur quelques valeurs. Pour le reste, les indicateurs de valorisation des sociétés non financières ne paraissent pas, en France, globalement déconnectés de leurs excellents résultats 2023 favorisés par des marges élevées dans le contexte inflationniste.

Le risque d’une correction désordonnée et d’une hausse de la volatilité sur les marchés actions et obligataires demeure donc, y compris du fait des risques géopolitiques et d’une éventuelle dégradation de la conjoncture macroéconomique. Le risque géopolitique se maintient à un niveau élevé mais ne s’est pas traduit, en juin 2024, par une hausse de la volatilité sur les marchés des matières premières ni sur les marchés actions internationaux. De nouveaux chocs géopolitiques seraient cependant susceptibles de conduire à une hausse importante des primes de risque, à une désorganisation de certaines chaînes de valeur et à des corrections désordonnées du prix des actions des entreprises les plus exposées. Le financement de marché des entreprises bénéficie d’une baisse de l’aversion au risque de crédit des entreprises de la part des acteurs de marché. On observe notamment une compression des spreads entre titres de différentes qualités de signature (high yield vs investment grade) sur le marché obligataire corporate qui confirme l’appétence des opérateurs pour les titres de dette des sociétés non financières. La compression des spreads bénéficie toutefois essentiellement aux tranches à moindre risque.

Les banques et les assurances confirment leur résilience face à la hausse des coûts de financement et aux risques liés au secteur non financier

Le resserrement de la politique monétaire de la zone euro n’a pas provoqué de réduction des bilans des banques françaises, qui ont même légèrement progressé depuis deux ans, contrairement à ceux de leurs pairs de l’Eurosystème qui se sont légèrement contractés sur la même période. Il faut en effet souligner la croissance, même ralentie, du crédit distribué par les banques françaises, financé par la progression des dépôts et le remplacement des opérations de refinancement (TLTRO) auprès de la BCE par des émissions de titres. Malgré les bonnes conditions de financement, le renchérissement plus rapide du passif des banques par rapport à leur actif explique en partie le recul de la marge nette d'intérêt. Les spécificités du modèle de financement français y ont également contribué : les crédits étant majoritairement octroyés à taux fixes, les revenus d'intérêt des actifs sont dépendants de la vitesse de renouvellement des prêts.

Les banques françaises continuent d'afficher des ratios de liquidité et de solvabilité très supérieurs aux exigences réglementaires, et en hausse sur 2023. Le liquidity coverage ratio (LCR) s'établissait en moyenne à 147 % en 2023, largement supérieur aux 100 % réglementaires, nourri par les émissions de dette qui ont contribué à son amélioration. Les banques françaises disposent d'une structure de financement et d'une base d'investisseurs diversifiée. Le ratio Common equity Tier 1 (CET1) est lui aussi supérieur aux exigences réglementaires.

Le coût du risque reste limité, même si nous observons une légère détérioration de la qualité globale des actifs, notamment du fait de la hausse du taux des prêts non performants aux entreprises qui représentent cependant toujours de faibles encours. L'exposition des banques françaises à l'immobilier commercial reste contenue et majoritairement domestique, tandis que celle aux leveraged loans apparaît limitée et en baisse. Enfin, la structure du financement de l'habitat en France permet de contenir les risques associés pour les banques.

La solidité de la solvabilité des assureurs français se confirme en 2023, tout en reflétant une certaine hétérogénéité. La couverture du capital de solvabilité reste à des niveaux supérieurs aux exigences réglementaires, mais en légère baisse sur 2023 (256 % au premier semestre 2023 contre 250 % en moyenne au second semestre), notamment du fait des bancassureurs et des organismes non-vie. Par ailleurs, les rendements des portefeuilles d'investissement des assureurs s'améliorent, les moins-values apparaissant plus limitées. Le niveau plus élevé des taux a permis une amélioration du rendement de leur portefeuille obligataire. Dans ce contexte, nous observons également la revalorisation des contrats individuels d'assurance-vie dont le rendement atteint 2,6% en 2023 contre 2% en 2022. Enfin, la remontée des taux a déclenché des rachats contenus. Les supports en unités de compte ont permis de soutenir l'assurance-vie, puisqu'ils affichent une collecte nette positive.

Les risques cyber et climatiques restent des enjeux de stabilité financière de premier plan

Le nombre et la part des cyberattaques visant le secteur financier augmentent, et le risque de pertes extrêmes pour une institution financière du fait d'une cyberattaque financière s’est renforcé. L'intelligence artificielle générative permet de créer des attaques plus complexes et plus difficiles à détecter, faisant des cybermenaces le principal risque à l’échelle mondiale pour les entreprises en 2024. Au niveau européen, l'entrée en application du règlement DORA en janvier 2025 devrait permettre d'accroître leur résilience. Un chapitre thématique revient plus largement sur les bénéfices et les risques potentiels pour la stabilité financière liés au développement de l’intelligence artificielle. Au-delà du risque cyber l’intelligence artificielle pourrait, en fonction des conditions de son déploiement, renforcer la volatilité et la procyclicité des marchés financiers et entraîner un risque d’une concentration des acteurs de marchés.

Si les risques climatiques continuent d'augmenter, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) constate également la vulnérabilité croissante des écosystèmes et des populations face au réchauffement climatique. Les risques physiques (catastrophe naturelle ou températures extrêmes, par exemple) apparaissent en hausse. Les superviseurs surveillent ainsi la capacité des institutions financières à faire face à ces risques et à les intégrer dans leur stratégie de gestion des risques. Au niveau du système financier dans son ensemble, des tests de résistance dédiés permettent d'estimer l'exposition du secteur bancaire et assurantiel au risque climatique.

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Mise à jour le 25 Juin 2024