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Vers une inclusion financière durable en Afrique Subsaharienne ?
Billet de blog 398. Les progrès récents de l'inclusion financière en Afrique subsaharienne, et notamment la bancarisation en cours des populations les plus vulnérables constituent des enjeux croissants de « bien-être financier », ou « santé financière ». Afin de réduire les risques, notamment pour les populations récemment bancarisées, l'inclusion financière doit aller de pair avec des politiques publiques protégeant les populations.
Graph 1, Santé financière de court et long terme en 2021 par niveau de développement

Note: Santé financière = 1 - part des individus inquiets de leur capacité à couvrir les dépenses liées à l'éducation ou la retraite (long terme), à couvrir les dépenses mensuelles, accidents ou de maladies graves, et qui lèvent avec difficulté des fonds d'urgence à 7 jours ou 30 jours (court terme)
Les progrès dans l’inclusion financière des populations africaines peuvent améliorer leur santé financière.
Le « bien-être financier » ou « santé financière » des populations est avant tout tributaire du développement économique (graph 1 ci-dessus). La « santé financière », c’est-à-dire la capacité à faire face à ses obligations financières à court ou long terme (GPFI, 2024) apparait significativement plus faible dans les pays à faible revenu (PFR, 43 %) et en Afrique subsaharienne (ASS, 47 %) que dans les économies avancées (EA, 83 %). La « santé financière » à long terme (coûts d’éducation, retraite) apparait plus faible qu’à court terme (consommation courante, chocs adverses) dans les PFR et en ASS, reflétant un moindre accès à l’éducation et des filets de protection sociaux moins développés. Dans des pays marqués par une faible confiance dans le système financier formel et par une forte préférence pour les espèces, une part importante de la vie financière demeure avant tout intermédiée par des réseaux solidaires informels (Guerineau, 2014), notamment du fait de barrières sociales, juridiques ou culturelles et parfois des conditions d’utilisation prohibitives du système financier formel. Ceci reflète aussi un moindre développement du système financier : l’offre de services financiers, et notamment l’offre de crédit, apparait fortement contrainte par l’importance des asymétries d’information et des coûts élevés de développement des infrastructures (identification et points de contacts avec la clientèle).
Toutefois, la « banque mobile » (c’est-à-dire fournissant des services bancaires sur téléphone mobile) a engendré des effets de rattrapage importants. Le taux de bancarisation en ASS a plus que doublé en 10 ans, de 23 % en 2011 à 55 % de la population en 2021 (41 % en UEMOA et CEMAC en 2021, contre 8 % et 12 % resp.) grâce à la diffusion rapide de la banque mobile de 12 % à 33 % de la population en ASS entre 2014 et 2021. Des progrès sont aussi possibles dans l’usage effectif de nombreux services financiers. En 2021, seuls 16 % de la population en ASS (dont 7 % en UEMOA et 8 % en CEMAC) déclarent épargner auprès d’une institution financière, contre 23 % dans les Pays à revenu intermédiaire (PRI ou « MIC »). L’accès au crédit formel se trouve limité à 10 % en ASS et 7 % en UEMOA et en CEMAC, contre 22 % dans les MIC. Dans ces pays, les progrès récents et rapides de l’inclusion financière peuvent contribuer à accroitre l’usage effectif des services financiers et la santé financière des populations, sous réserve que cette inclusion soit durable (Dufresne, Jacolin, Salmon, 2024).
Pour favoriser la santé financière des populations, l’inclusion financière doit être durable.
L’impact de l’inclusion financière sur la santé financière dépend de manière critique de la qualité des services financiers offerts. Pour les populations de l’ASS récemment bancarisées, la transparence des conditions d’utilisation des services financiers numériques (SFN), notamment tarifaires (graph.2) et l’éducation financière apparaissent essentiels pour minimiser les risques associés à leur bancarisation. La diffusion rapide des SFN peut également exposer ces populations à de nouveaux risques de fraudes et de surendettement. Selon le CGAP, en 2022, près de trois quart des utilisateurs de SFN en Côte d’Ivoire ont été confrontés à au moins une tentative d’escroquerie (pyramides de Ponzi, hameçonnage, etc.). Au Kenya, pays pionnier de la finance numérique en Afrique, la santé financière se serait récemment détériorée dans un contexte de tensions inflationnistes, avec un recours accru des ménages à des prêts à court terme associés à une hausse des créances douteuses dans les bilans bancaires (Gubbins et Heyer, 2022).
Graph 2 : Corrélation entre frais inattendus de tenue de compte et santé financière dans les pays émergents et en développement

Note: Un point correspond à un pays
Les risques sont particulièrement aigus pour les populations les plus vulnérables. Les populations aux revenus les plus modestes, les moins éduquées, et les femmes, dont l’inclusion financière est la plus faible (« Last Mile »), sont aussi ceux dont la santé financière est la plus fragile (graph 3). Ces populations apparaissent ainsi comme les plus vulnérables aux risques liés à un usage sous optimal des services financiers et sont celles sur lesquelles les informations à disposition des établissements financiers sont les plus parcellaires.
Un usage effectif et durable des services financiers passe par une réduction de ces asymétries d’information, par exemple par un renforcement des systèmes d’identification de la population, comme le système d’identification unique Aadhaar en Inde qui permet une identification centralisée et sure pour les établissements financiers. S’agissant de l’accès au crédit, le développement des registres de garanties, des centrales de risques et des bureaux de crédit, permet une meilleure appréhension des comportements individuels, notamment grâce au suivi des usages mobiles.
Graph 3 : Écarts de « santé financière » en 2021 par niveaux de développement

Note: L'écart de revenu, en points de pourcentages, est défini comme la différence de santé financière entre les 40% les pauvres et les 60% les plus riches, l'écart d'éducation est la différence de santé financière entre les individus ayant au plus suivi le cycle primaire et ceux qui ont au moins suivi le cycle secondaire. L'écart de genre est défini comme la différence de santé financière entre les femmes et les hommes.
Vers une inclusion financière de qualité et la santé financière en ASS
Renforcer l’accès à des infrastructures financières sûres peut permettre d’amplifier les effets de rattrapage induits par la banque mobile. La généralisation en cours des systèmes de paiement rapides et interopérables (AfricaNenda, 2022), dont le projet Pan African Payment and Settlement System (PAPSS) de l’Union africaine, le Groupement Interbancaire Monétique de l’Afrique Centrale (GIMACPAY) de la CEMAC, et plus récemment le projet Pi de l’UEMOA, constitue un enjeu majeur de diffusion et de baisse des couts des SFN en ASS : les marchés financiers nationaux y sont morcelés et de faible taille, et les gains d’intégration financière potentiels considérables. En témoignent également les efforts d’harmonisation internationaux sur les paiements transfrontaliers, comme la feuille de route pour 2027 du G20 et les recommandations du rapport sur les infrastructures numériques publiques du GPFI. Le Partenariat du G7 pour l’inclusion financière numérique des femmes en Afrique, à l’initiative de la présidence française du G7 de 2019, vise notamment à améliorer l’identification numérique et l’interopérabilité des systèmes de paiement.
L’éducation financière constitue l’une des clés de la santé financière en Afrique, mais elle fait face à des obstacles plus importants que dans les EA. La nécessité de promouvoir l’éducation financière est de manière générale bien identifiée, deux tiers des pays d’ASS ayant mis en œuvre une stratégie d’éducation financière et des programmes d’éducation numérique comparables à ceux des EA. Alors que ces pays se distinguent par un moindre accès à l’éducation (44,8 % seulement atteignent le niveau secondaire, selon la Banque mondiale), des marges budgétaires limitées et des besoins en assistance technique peuvent obérer le développement de stratégies ciblées sur les populations prioritaires.
Les réglementations de protection des consommateurs apparaissent comme un levier essentiel pour assurer une inclusion financière durable. Si certaines d’entre elles semblent bien diffusées en ASS (tableau 1), les dispositions restreignant la liberté tarifaire, notamment les lois relatives à l’usure, apparaissent moins fréquentes (41 % en ASS contre 70 % des pays à revenu élevé de l’échantillon). Le développement rapide des SFN implique également des adaptations réglementaires, notamment par la création de nouvelles catégories d’intervenants (émetteurs de monnaie électronique, établissements de paiement). Les structures d’échanges entre les acteurs de l’innovation financière et les autorités publiques (« sandbox ») demeurent moins fréquentes que dans les EA (58 % contre 78 %). Enfin, les réglementations relatives au partage de données financières (open banking) sont encore peu répandues en ASS (16 % contre 56 % dans les EA), alors que ces partages peuvent améliorer la connaissance du client., pourvu que leurs risques, notamment en lien avec la protection des données, soient pris en compte.
Tableau 1 : Les réglementations de protection du consommateur

Sources : Global Financial Inclusion and Consumer Protection Report, FICP (2022), calculs des auteurs.
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Mise à jour le 24 Mars 2025