Bloc-notes Éco

Quels secteurs économiques contribuent à l’artificialisation des sols en France ?

Mise en ligne le 30 Juillet 2024
Auteurs : Etienne de L'Estoile, Mathilde Salin

Billet de blog n° 362. Un nouvelle étude permet d’identifier les secteurs économiques, comme le commerce ou l'industrie, qui sont les plus importants utilisateurs du stock de sols artificialisés, et ceux, comme le commerce, qui contribuent le plus au flux d'artificialisation des sols même si ce flux a diminué depuis la fin des années 2000. Néanmoins, les secteurs qui « artificialisent » le plus ne sont pas nécessairement les plus vulnérables à la politique de « zéro artificialisation nette ».

Image Figure 1. Contribution à l’artificialisation des sols par secteur économique en France Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Document de travail
Note : En 2018, les secteurs économiques contribuant le plus à l’artificialisation des sols étaient le commerce de gros et de détail.Ce graphique représente l’artificialisation des sols due à la construction de bâtiments dédiés à l’activité économique et ne comptabilise donc pas celle due à la construction de logements ou d’infrastructures. L’artificialisation liée à l’activité étant sous-estimée avec notre méthodologie, ces chiffres doivent être lus de manière relative - pour comparer les secteurs entre eux - plutôt qu'en termes absolus.
Source : Fichiers Fonciers (Cerema), Sirene (Insee).
Calculs : Auteurs.

D’après le Cerema, 25 000 hectares par an – soit la surface du Val-de-Marne - de terres naturelles ou agricoles ont été artificialisées, c’est-à-dire principalement bâties ou imperméabilisées, en France entre 2009 et 2022. Le changement d'usage des sols, qui inclut leur artificialisation, est la cause principale de la perte alarmante de biodiversité terrestre dans le monde et de l’altération de la biosphère, dont l’humanité toute entière dépend. Les sols vivants fournissent aux humains des services essentiels, comme le stockage du carbone ou la prévention des inondations. C’est pourquoi la protection des sols contre l’artificialisation est un enjeu essentiel de la transition écologique. Si l’artificialisation liée à la construction de logements est largement documentée, celle qui est due aux bâtiments d’activité économique est bien moins connue, alors même qu’elle représentait environ un quart de la surface artificialisée (un peu moins de 5 000 hectares par an) au cours de la dernière décennie. Nous analysons ce phénomène dans l’étude présentée ici.
 
Quels secteurs économiques ont le plus contribué à l’artificialisation des sols ? Comment utilisent-ils les terres bâties dans leur processus de production ? Pour répondre à ces questions, l’étude s’appuie sur une méthodologie originale : pour chaque parcelle bâtie, nous repérons les établissements d’entreprises qui les occupent, grâce à un croisement spatial utilisant leur géolocalisation (Figure 2). Cela nous permet de calculer la surface bâtie qu’occupe chaque établissement, qui est ensuite agrégée à l’échelle du secteur d’activité; nous obtenons ainsi des comptes annuels détaillant pour chaque secteur (i) sa contribution au flux d’artificialisation et (ii) son utilisation du stock de foncier artificialisé entre 2008 et 2021.
 

Image Figure 2. Croisement spatial entre les parcelles et les établissements d’entreprise Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Document de travail
Source : Fichiers Fonciers (Cerema), Sirene (Insee).
Note : Seule la partie de la parcelle qui est artificialisée et consacrée à l’activité est prise en compte.

Le commerce est le principal secteur contribuant à l'artificialisation des sols, dans un contexte général de réduction

L’exploration de cette base de données met en lumière des pratiques d’artificialisation très différenciées entre secteurs. Le principal contributeur est le Commerce de gros et de détail (secteur G), bien que sa contribution relative ait diminué au fil des ans (passant de 30 % de l’artificialisation due à l'activité à la fin des années 2000 à moins de 20 % à la fin des années 2010). À l’inverse, l’Industrie manufacturière (C) a vu dans le même temps sa part dans l’artificialisation croître pour atteindre 20% en 2018. Il convient cependant de noter que nous définissons ici comme « contributeurs à l’artificialisation » les secteurs qui utilisent les terres nouvellement artificialisées, sans tenir compte du rôle d’autres acteurs, comme les collectivités locales qui accordent les permis de construire, le secteur de la construction ou encore les propriétaires des murs.

Enfin, une différenciation géographique des résultats montre que ces dynamiques peuvent varier selon le contexte local (Figure 3). Si le Commerce était le secteur le plus contributeur dans la plupart des départements en 2008 (carte de gauche), le tableau est beaucoup plus bigarré en 2019. En effet, apparaissent notamment sur la carte de droite l’Industrie manufacturière, l’Hébergement et restauration ou encore les Transports et Entreposage. Cette diversification sectorielle est aussi spatiale : le volume d’artificialisation pour l’activité économique (cercles rouges) n’est plus aussi concentré qu’auparavant autour de l’Île-de-France.
 

Image Figure 3. Principal secteur contribuant à l’artificialisation des sols par département Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Document de travail
Note : En 2008, le secteur économique qui a le plus contribué à l’artificialisation des sols dans le Val d’Oise était le commerce de gros et de détail. La taille du cercle rouge croît avec la surface artificialisée utilisée par l’activité économique dans le département.
Source : DV3F (Cerema), Sirene (Insee).
Calculs : Auteurs.

Le commerce et l'industrie sont les principaux utilisateurs de foncier artificialisé

L’utilisation du stock de sols déjà artificialisés (qui représentent environ 8% du territoire national, tous usages – logement et activité - compris) varie également selon les secteurs. Si là encore les secteurs du Commerce et manufacturier se distinguent en matière d’emprise foncière totale, le classement change lorsqu’on calcule la surface moyenne par établissement en rapportant l’emprise sectorielle au nombre d’établissements du secteur : le secteur des Industries extractives est en tête (14 000 m2 ar établissement en moyenne), suivi de l'Énergie et de l'Eau et déchets (environ 4 500 m2 en moyenne). Au sein même des secteurs, nous observons aussi des écarts importants, en particulier dans l’industrie manufacturière où l’utilisation de surfaces artificialisées par établissement est très hétérogène et peut atteindre, par exemple, 70 000m2 en moyenne pour une aciérie.
Enfin, nous proposons une mesure de l’efficacité (ou intensité) foncière, indiquant l'emprise au sol moyenne en m² nécessaire pour produire un euro de valeur ajoutée dans chaque secteur. À nouveau, une forte hétérogénéité sectorielle est visible : pour produire 1000€ de valeur ajoutée, les entreprises du secteur de l'Information et Communication (J) n’ont besoin que de 0,1m² tandis qu’il faut plus de 3m² en moyenne dans l'Hébergement et restauration (I).
 

Image Figure 4. Intensité foncière de la production par secteur en 2018 Thématique Finance verte, développement durable, transition climatique Catégorie Document de travail
Sources : Fichiers Fonciers (Cerema), Sirene (Insee), Eurostat. Calculs : Auteurs.
Note : L'emprise au sol des secteurs étant sous-estimée avec notre méthodologie, ces chiffres doivent être lus de manière relative - pour comparer les secteurs entre eux - plutôt qu'en termes absolus.

Étant donné leur usage du foncier quelle vulnérabilité des secteurs face à une possible raréfaction de l’offre foncière ?

Ces nouvelles données s’apparentent à une extension environnementale des comptes financiers des secteurs économiques. Elles représentent donc une première brique nécessaire à la compréhension des liens complexes entre activités économiques et disponibilité foncière : si les entreprises utilisent de l’espace pour produire, la réduction du foncier disponible pourrait en retour affecter leur développement. L’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), voté en 2021, vise une réduction de l’artificialisation des sols dès à présent pour atteindre une division par deux du rythme d’artificialisation en 2031 par rapport à la décennie 2011-2021. Afin d’évaluer les vulnérabilités sectorielles dans un scénario où la politique de ZAN ferait croître le prix du foncier bâti (quoique ce ne soit pas une conséquence nécessaire de la loi), nous combinons ces comptes d’emprise et d’artificialisation avec des données supplémentaires, comme les bilans des entreprises. Notre analyse repose sur différents critères démêlant les différentes composantes de la vulnérabilité : si certains secteurs semblent plus susceptibles d'être exposés au renchérissement du foncier en raison de leur utilisation importante de terrains bâtis, ils ne seraient pas forcément les perdants de cette politique de transition. Par exemple, la majorité des entreprises du secteur de l’industrie sont propriétaires du foncier qu’elles utilisent (source : Fiben) et devraient donc bénéficier d’une croissance des prix immobiliers. De plus, certains secteurs pourraient s’adapter plus facilement à un nouveau contexte de sobriété foncière, en accroissant leur efficacité foncière par exemple. 

En explorant le type et la surface des terrains bâtis utilisés par les différents secteurs, notre travail s'inscrit dans la littérature visant à (ré)intégrer la terre en tant que facteur de production. Nous enrichissons également le champ d’étude encore peu défriché sur les conséquences macroéconomiques de la protection de la biodiversité. Enfin, nous contribuons à une meilleure compréhension des risques liés à la transition, au-delà de ceux induits par la décarbonation de l’économie. En particulier, l'analyse des vulnérabilités économiques possibles face à une politique de transition comme le ZAN permet d’identifier les potentiels gagnants et perdants de cette politique. Elle pose également la question des outils susceptibles de favoriser une réduction de la demande de terres artificialisées - par exemple, en incitant les secteurs économiques à transformer leur intensité d'utilisation du foncier à travers des changements techniques ou organisationnels. Comme le soulignaient déjà les économistes classiques, la terre est une ressource finie : la gestion de sa rareté redevient, aujourd'hui, une préoccupation pour la discipline économique.
 

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Mise à jour le 30 Juillet 2024