Bloc-notes Éco

Nouveaux instruments de politique monétaire dans les économies de marché émergentes

Mise en ligne le 1 Juillet 2024
Auteurs : Valentin Burban

Billet de blog n° 358. Les économies de marché émergentes ont progressivement adopté des mesures non conventionnelles de politique monétaire, telles que les indications sur les taux d’intérêt (interest rate guidance) et les achats d’actifs, afin de disposer d’une plus grande marge de manœuvre. Ce billet examine la littérature récente sur ces nouveaux outils, qui complètent la panoplie d’instruments de politique monétaire des banques centrales des marchés émergents dans un contexte d’effets de contagion financière au niveau mondial.

Image Graphique 1 : Taux d'intérêt nominaux médians et inflation (en pourcentage) Thématique Politique monétaire Catégorie Document de travail
Source : auteur, banques centrales nationales
Notes : L’échantillon des EME comprend BRA, CHL, CHN, COL, HUN, IND, IDN, MYS, MEX, PER, PHL, POL, ROU, ZAF, THA et TUR .

Des taux directeurs limités à de faibles niveaux

Les taux d’intérêt se situant déjà à des niveaux historiquement bas à la suite de la pandémie de Covid-19 (graphique 1), les banques centrales des marchés émergents ont réagi au choc en abaissant considérablement leurs taux directeurs afin de créer des conditions de financement plus favorables pour leurs économies. Cette phase exceptionnelle d’assouplissement de la politique monétaire a révélé les limites de la marge de manœuvre dans certaines économies, dont les taux ont atteint des niveaux proches de zéro en 2020 et 2021. Pour d’autres économies, abaisser les taux d’intérêt aurait été contreproductif en raison de potentielles sorties de capitaux, d’une dépréciation de la monnaie et d’une transmission plus faible de la politique monétaire (GFSR du FMI, octobre 2020). Des taux plus bas rendent les actifs moins attractifs pour les investisseurs étrangers, ce qui entraîne un durcissement des conditions financières qui pourrait annuler le stimulus souhaité. En outre, comme les bilans sont libellés en dollars et que les variations du taux de change se transmettent à l’inflation, la faiblesse de la monnaie peut déstabiliser l’économie. Le plancher effectif est donc atteint à un niveau nettement supérieur à zéro. Dans ce nouvel environnement, de nombreuses banques centrales de marchés émergents (contraintes ou non par la borne zéro) se sont engagées dans des politiques monétaires non conventionnelles en mettant en œuvre des indications sur les taux d’intérêt, des programmes d’achats d’actifs ou une combinaison des deux. Si ces mesures répondent aux mêmes motivations que dans les économies avancées, l’exposition particulière des marchés émergents aux chocs extérieurs rend plus complexe la mise en œuvre et la sortie de politiques non conventionnelles.

La forward guidance  

La forward guidance correspond à la communication publique d’une banque centrale sur la trajectoire future probable des taux d’intérêt à court terme. Elle peut prendre diverses formes telles que a) des déclarations fondées sur les résultats (c’est-à-dire conditionnées à la réalisation de résultats économiques prédéfinis), b) des déclarations non limitées dans le temps (c’est-à-dire des engagements « pour une période prolongée »), ou c) des déclarations fondées sur le calendrier (c’est-à-dire la spécification de l’orientation future de la politique monétaire pour une période définie). Lors de la mise en œuvre de la forward guidance, les banques centrales doivent envisager certains arbitrages entre le respect des engagements et la flexibilité en fonction des données. D’une part, si les taux directeurs futurs ne suivent pas la forward guidance, les marchés pourraient considérer qu’il s’agit d’un manquement aux engagements, ce qui risque de nuire à la crédibilité de la banque. D’autre part, persister trop longtemps sur la trajectoire signalée auparavant, quelles que soient les évolutions de l’économie réelle, pourrait entraîner un désancrage des anticipations d’inflation. 

La principale raison pour laquelle les économies de marché émergentes se sont engagées dans cette stratégie de communication est leur manque de marge de manœuvre dans un environnement mondial de taux d’intérêt bas, comme le montre le graphique 1. Toutefois, la possibilité pour les banques centrales des marchés émergents de mettre en œuvre la forward guidance a reflété une amélioration de leur indépendance et de leur crédibilité, résultat d’une meilleure transparence de leur politique monétaire (Dincer, Eichengreen et Geraats, 2022, graphique 2).

 

Image Gaphique 2 : Transparence de la politique des banques centrales (indice normalisé entre 0 et 1) Thématique Politique monétaire Catégorie Document de travail
Source : Auteur, Dincer, Eichengreen et Geraats (2022)
Note : La transparence de la politique monétaire rend compte du fait que la banque centrale communique ou non rapidement ses décisions de politique monétaire. L’indice global de transparence recouvre la transparence relative aux décisions de politique monétaire, ainsi que sur les plans politique, économique, des procédures et opérationnel.

Récemment, l’Inde, Israël, le Chili, le Brésil et le Pérou ont mis en œuvre la forward guidance (Caballero et Gadanecz, 2023). Tandis que le Brésil et le Pérou ont adopté une forward guidance fondée sur les résultats, le Chili, Israël et l’Inde ont utilisé des déclarations non limitées dans le temps. Aucun pays n’a opté pour des indications fondées sur le calendrier, qui offrent moins de flexibilité. 

Caballero et Gadanecz concluent que les toutes premières indications explicites sur les taux d’intérêt ne se sont pas accompagnées de réactions négatives des marchés, qui auraient pu suggérer une perte de crédibilité de la banque centrale (c’est-à-dire un désancrage des anticipations d’inflation, des pressions à la dépréciation de la monnaie ou une augmentation du risque de crédit souverain). Les auteurs observent plutôt une baisse des rendements à long terme en monnaie locale immédiatement après ces déclarations, ainsi qu’une compression des spreads de terme, confirmant le succès de la forward guidance dans ces pays. Toutefois, comme le soulignent les auteurs, la plus grande dépendance à l’égard du crédit bancaire par rapport au financement de marché peut rendre la forward guidance moins efficace pour influencer les rendements à long terme sur les marchés émergents que sur les marchés matures. 

Utiliser les indications sur les taux d’intérêt dans l’environnement actuel d’inflation élevée persistante peut s’avérer difficile. Leur efficacité peut être atténuée par les incertitudes économiques et la nécessité de stratégies de communication adaptatives et crédibles. Malgré ces difficultés, les indications sur les taux d’intérêt sont toujours utilisées, comme le montre l’exemple de la Banque centrale brésilienne (Comité de politique monétaire, mars 2024), qui indique clairement ses intentions quant aux modifications futures des taux durant son cycle d’assouplissement entamé en août 2023. L’expérience de chaque pays reflète l’équilibre entre la gestion des anticipations et le maintien de la flexibilité nécessaire pour répondre aux évolutions des conditions économiques.

Programme d’achats d’actifs

La pandémie a déclenché le premier lancement de programmes d’achat d’actifs dans les économies de marché émergentes visant à réduire les tensions financières. Le Rapport sur la stabilité financière dans le monde (GFSR) d’octobre 2020 du FMI a identifié trois motivations principales pour l’utilisation de cet instrument par les économies de marché émergentes : a) améliorer le fonctionnement des marchés obligataires et fournir de la liquidité au secteur financier ; b) fournir un stimulus monétaire supplémentaire pour s’éloigner du plancher effectif ; et c) atténuer explicitement les tensions sur le financement public. Dans certains pays (Chili, Inde et Israël), les achats d’actifs ont complété les indications sur les taux d’intérêt. 

Ces programmes, qui consistaient essentiellement en des achats par les banques centrales d’obligations libellées en monnaie locale, étaient de bien moindre ampleur que ceux des économies avancées, ce qui a entraîné des augmentations plus modestes des actifs détenus par les banques centrales des marchés émergents (Hardy et Zhu, 2023). La plupart des programmes ont été de courte durée et ont pris fin en 2020.

Dans l’ensemble, les programmes d’achats d’actifs dans les marchés émergents ont rempli leurs objectifs d’atténuation des tensions sur les marchés financiers et de stabilisation des marchés obligataires. Ces programmes ont contribué à réduire les rendements et les spreads sur les emprunts publics par rapport aux rendements des titres du Trésor américain, qui avaient fortement augmenté au début de la pandémie, tout en garantissant des améliorations de la liquidité des marchés. De plus, la dépréciation de la monnaie a été évitée et les anticipations d’inflation n’ont pas été affectées (GFSR du FMI, 2020). Toutefois, pour que ces effets persistent, les économies de marché émergentes auraient dû déployer des programmes d’achats d’actifs à grande échelle tels que ceux mis en œuvre dans les économies avancées (Mimir et Sunel, 2023). 

Un effet secondaire des programmes d’achat d’obligations est qu’ils peuvent permettre d’atténuer l’impact de l’arrêt soudain des flux de capitaux (Mimir et Sunel, 2023). Les sorties de capitaux et les émissions supplémentaires de dette souveraine pendant la pandémie ont été presque entièrement absorbées par le secteur bancaire national, tandis que les banques centrales ont joué un rôle mineur (Hardy et Zhu, 2023). Toutefois, dans certaines économies, via des achats d’actifs, les banques centrales ont augmenté leurs avoirs en obligations d’État libellées en monnaie locale, pour un montant comparable à celui des sorties de capitaux (graphique 3). 
 

Image Graphique 3 : Variations des avoirs en obligations d'État libellés en monnaie locale (en pourcentage du PIB) Thématique Politique monétaire Catégorie Document de travail
Source : GFSR du FMI, chapitre 2 (octobre 2020)
Note : Variations de février 2020 à juin 2020.

Conclusion

Les indications sur les taux d’intérêt et les programmes d’achat d’actifs se sont révélés utiles pour soutenir les politiques monétaires des banques centrales, en leur permettant de se défaire de la contrainte des taux bas, et ont été particulièrement décisifs dans la réponse à la crise de la Covid-19. Ces mesures complètent la panoplie d’instruments disponibles pour les banques centrales des marchés émergents. En particulier, compte tenu de l’environnement actuel d’inflation plus élevée pendant plus longtemps, une communication claire demeure un instrument utile pour assurer la transmission opérationnelle de la politique monétaire et réduire l’incertitude entourant la trajectoire future des taux d’intérêt domestiques.
 

Mise à jour le 1 Juillet 2024