Face à l’imprévisible, il y a néanmoins un repère sûr : la victoire quasi assurée contre l’inflation, revenue nettement en dessous de 2 % en France et proche de cet objectif en zone euro. Elle a déjà permis une diminution significative de nos taux d’intérêt. Elle soutient par ailleurs le pouvoir d’achat des salaires. Les menaces actuelles pèsent peu sur notre inflation, mais davantage à la baisse sur une croissance française déjà ralentie ; la projection centrale de la Banque de France reste cependant celle d’une sortie de l’inflation sans récession, puis d’une reprise progressive de l’activité.
Le nouveau protectionnisme américain affecte d’abord durement l’économie américaine, mais il touchera évidemment l’Europe. Au‑delà d’une défense commerciale organisée, avec sans doute des réponses ciblées, il faut une stratégie positive : pour retrouver la maîtrise de notre destin économique, nous devons traduire en actes l’urgence de quatre mobilisations fortes.
Il s’agit d’abord d’ancrer notre souveraineté monétaire. L’Europe a heureusement construit l’atout qu’est l’euro, et donc l’autonomie de notre politique monétaire : celle‑ci comporte encore une marge pragmatique de baisse des taux. Mais nous devons tout autant préparer notre souveraineté technologique avec les travaux sur l’euro numérique, et développer le rôle international de l’euro.
La deuxième mobilisation, c’est de reconquérir notre souveraineté budgétaire. Sur la hausse continue de la dette publique, notre maladie ancienne est aujourd’hui devenue critique : nos concitoyens s’en inquiètent, ce qui contribue à leur surépargne ; les marchés financiers nous font payer une prime de risque accrue, et nos charges d’intérêt absorbent une marge de manœuvre de plus en plus forte. La crédibilité suppose d’abord de respecter strictement cette année les engagements pris sur la tenue des dépenses, pour réduire le déficit à 5,4 % du PIB avec les prévisions économiques actuelles. Mais il faut au‑delà une stratégie pluriannuelle : elle passe par la stabilisation globale de nos dépenses publiques en volume, c’est‑à‑dire après inflation. Cela seul permet de ramener le déficit vers 3 % en 2029, qui est le seuil pour commencer enfin à réduire le poids de notre dette.
Nous ne pouvons pas à la fois avoir les dépenses les plus élevées du monde et les faire encore augmenter en termes réels. Arrêter cette dérive est possible, à une condition forte : que l’effort d’efficacité ne porte pas seulement sur l’État, qui ne représente que 36 % du total, mais aussi sur les dépenses sociales et locales, qui continuent aujourd’hui d’augmenter à plus de 2 % par an en volume. Un éventuel investissement supplémentaire de défense, qui devra être financé, est une raison supplémentaire pour cette stabilisation globale.
Il faut par ailleurs viser à l’augmentation de notre croissance potentielle, que nous devons pouvoir porter d’environ 1 % aujourd’hui à 1,5 %. D’où la troisième mobilisation : investir dans le travail. C’est le levier décisif de notre prospérité, et il est entièrement entre nos mains. En France, travailler plus collectivement, c’est combler le retard de taux d’emploi, de plus de 15 points, que nous avons tant sur les jeunes – c’est la réforme de la formation – que sur les seniors. Pour ceux‑ci, la discussion en cours sur les retraites porte donc non seulement des enjeux de solidité financière, mais aussi de force économique. Mais c’est aussi travailler mieux, avec de la productivité retrouvée notamment grâce à l’intelligence artificielle.
Pour augmenter la croissance, nous devons également activer les atouts de l’Europe, et c’est la quatrième mobilisation. Tout a été dit dans les rapports Letta, puis Draghi, et repris dans la « boussole pour la compétitivité » de la Commission européenne. L’urgence est aujourd’hui de mettre effectivement en œuvre, sans coût budgétaire, trois impératifs, ce que l’on peut appeler les trois « i ». Il faut d’abord intégrer plus le marché unique – la taille –, en supprimant les obstacles internes notamment dans les services et l’énergie. Il faut aussi investir mieux, en priorisant bien davantage les innovations de rupture – et pour cela, muscler les fonds propres européens en réalisant l’Union pour l’épargne et l’investissement. Il faut enfin innover plus vite. L’Europe a besoin de simplification : moins de bureaucratie, de procédures et de délais. Mais face aux tentations exprimées outre‑Atlantique, simplifier n’est pas déréguler, y compris en matière financière. L’Europe peut également mobiliser de nouvelles « coalitions de volontaires » : elle n’est pas seule, sur le climat, sur le commerce ouvert, ou le financement du développement.
Le basculement américain est évidemment inquiétant. Il doit cependant nous faire réaliser que ce qui nous unit, entre Français et entre Européens, est beaucoup plus important que ce qui nous sépare. C’est pourquoi il doit s’agir d’une mobilisation générale : notre réponse ne peut être que collective, juste dans le partage de l’effort, et décisive dans le rythme de l’action. Nous ne pouvons pas changer l’autre côté de l’Atlantique, mais nous pouvons muscler le nôtre. Ce peut alors être, et ce doit être, notre moment français et européen.