Billet de blog n° 349. Les hausses nominales de salaire négociées en 2023 dans les branches et les entreprises sont restées soutenues, les hausses antérieures de prix et du Smic se transmettant avec un décalage. Les premiers accords signés pour 2024 signalent une modération des hausses négociées qui devraient toutefois désormais se situer en moyenne au-dessus de l’inflation, compte tenu du fort recul de celle-ci.
Le suivi en temps réel des évolutions salariales est un enjeu important pour la politique monétaire dans la mesure où celles-ci sont l’un des déterminants de l’inflation à moyen terme. En France comme dans beaucoup de pays européens, la croissance des salaires est largement déterminée par les négociations collectives au niveau des branches et des entreprises (Gornicka et al. 2024). Les accords de salaire en France étant pour la plupart signés entre octobre et avril, l’analyse des accords en début d’année permet donc de disposer d’un premier diagnostic fiable de l’évolution des salaires à venir pour l’année. Ce billet de blog présente une première photographie des hausses négociées pour 2024, élaborée à partir des informations contenues dans 117 accords de branche conclus pour 2024 (couvrant 6 millions de salariés, soit environ un tiers des salariés couverts par une convention collective du privé) et environ 1 500 accords d’entreprise (couvrant plus de 600 000 salariés de l’ensemble des secteurs marchands (industrie, construction, services)).
En 2023, les branches avaient continué à transmettre assez rapidement aux salaires négociés la hausse des prix apparue dès 2022 : la hausse moyenne sur un an des minima de branche a atteint un pic fin 2022 pour se maintenir ensuite à un niveau proche de 5% en 2023, à comparer à 4,9% pour la hausse des prix à la consommation (IPC). Dans les entreprises, les hausses prévues dans les accords NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) ont aussi atteint un point haut fin 2022 et se sont établies en moyenne sur un an à 4% en 2023 (Graphique 1). Le reflux de l’inflation depuis début 2023 entraîne toutefois une modération des hausses de salaire négociées qui devrait se poursuivre en 2024. Dans les accords signés au niveau des branches et des entreprises pour 2024, les hausses de salaire négociées (en glissement annuel) s’établissent en moyenne à un niveau un peu inférieur à 3,5%, alors que fin 2024 l’inflation avoisinerait 2% sur douze mois, d’après les dernières projections de la Banque de France.
En 2024, les hausses de minima de branche se modèrent avec la dynamique moins soutenue du Smic, tout en passant au-dessus de la hausse des prix à la consommation
Au niveau des branches, les premiers accords signés pour l’année 2024 prévoient des hausses nominales de salaires minima moins élevées qu’en 2023. Selon notre estimation provisoire, la hausse moyenne des salaires minima de branche serait de 3,3% au 1er trimestre 2024 contre 5% au 1er trimestre 2023 (Graphique 1).
En 2023, les hausses avaient été en particulier soutenues par les revalorisations successives du Smic en août 2022 puis janvier et mai 2023 (+6,2% sur un an début 2023). La mise en conformité vis-à-vis du Smic d’un certain nombre de branches avait en outre augmenté la fréquence des accords et avait contribué à accélérer la diffusion du Smic et de l’inflation aux minima de branche (Baudry et al. 2023). En 2024, le repli plus marqué de l’inflation et une évolution du Smic moins dynamique (relèvement de +1,13% au 1er janvier 2024, soit+3,4% sur un an) expliquent la modération des hausses négociées dans les accords de branche.
Comme en 2023, les hausses négociées pour 2024 sont en outre assez variables d’un secteur à l’autre (Graphique 2). Certains accords prévoient des hausses proches ou supérieures à 5% pour 2024. C’est le cas par exemple des branches « transports routiers », ou « prévention-sécurité », notamment pour faire face aux difficultés de recrutement et maintenir plus durablement leur grille au-dessus du Smic alors que la proportion de salariés rémunérés au voisinage du Smic a atteint un point haut début 2023 (Dares 2023). La plupart des autres branches ont signé des hausses comprises entre 2 et 4%.
Note : la hausse de salaire est calculée sur un an en fin d’année, excepté 2024 où le calcul est en glissement sur un an en fin de 2ème trimestre.
À ce stade, entre début 2022 et 2024, la hausse des minima de branche a été en moyenne de 10,3%, soit un niveau proche de la hausse des prix cumulée sur la même période (10,5%). Des différences assez importantes existent toutefois entre les branches. Un quart a augmenté ses salaires minima de plus de 12% entre 2022 et 2024, notamment les branches qui ont revalorisé fortement leurs salaires en lien avec les revalorisations du Smic (Hôtels-Cafés-Restaurants, Transports routiers, Entreprises de propreté, Coiffure…). À l’opposé, un autre quart des branches ont augmenté leurs minima de moins de 9%, souvent des branches où les accords ont été moins fréquents sur la période (Bureaux Études Techniques par exemple) et où un accord est encore en discussion pour 2024. Ces évolutions différenciées ont pu contribuer au tassement de la distribution des salaires minima dans leur ensemble (Rapport Smic 2023).
Les accords d’entreprise prévoient des hausses en moyenne de 3,4% en 2024
Pour les entreprises disposant d’une représentation syndicale, souvent les plus grandes, les salaires sont un des thèmes qui doit faire l’objet d’une négociation annuelle obligatoire (NAO). Dans une majorité d’entreprises ces accords sont signés en fin d’année pour l’année suivante ou en tout début d’année.
L’analyse du contenu d’environ 1 500 accords signés pour l’année 2024 permet d’établir que la hausse moyenne contenue dans les NAO est de 3,4%, soit une progression sur un an proche de celles des minima de branche ou du Smic. En comparaison, les hausses négociées début 2023 étaient plus élevées, un peu supérieures à 4% (Baudry et al. 2023). Ainsi, 80% des entreprises pour lesquelles nous disposons d’informations sur les accords NAO 2023 et 2024 (environ 420 entreprises au total) ont signé une hausse inférieure en 2024 à celle signée en 2023 et le différentiel moyen est de -0,8 point de pourcentage. Au total, la dynamique des hausses NAO connait donc une modération en 2024 même si les hausses restent à des niveaux historiquement élevés et au-dessus de l’inflation prévue en 2024.
Par ailleurs, les hausses négociées en 2024 sont un peu moins variables d’une entreprise à l’autre qu’en 2023. Moins de 10% des accords 2024 prévoient des hausses égales ou supérieures à 5% alors que près de la moitié des accords prévoient des hausses entre 3 et 4% pour 2024 (Graphique 3). Comme en 2023, les hausses sont un peu plus marquées dans l’industrie que dans les services (sauf transports).
Note : la hausse de salaire est calculée comme le cumul des hausses négociées prenant effet une année donnée.
Enfin, fin 2023, la proportion d’accords NAO mentionnant le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV) est moins élevée que fin 2022 (moins de 30% fin 2023 contre 40% environ fin 2022). Les montants prévus dans les accords de fin 2023 sont néanmoins assez proches en moyenne de ceux prévus fin 2022 (un peu moins de 900 euros) (Urssaf 2024).
Les chefs d’entreprise anticipent une hausse des salaires de base de 3% au cours des 12 prochains mois
Sous l’effet des hausses du Smic, des accords de salaire de branche et d’entreprise, les salaires de base (hors primes et heures supplémentaires) ont fortement progressé ces derniers trimestres : sur un an, la hausse des salaires de base a atteint un pic au 1er trimestre en 2023 à 4,7% début 2023 puis s’est repliée pour revenir à 3,9% fin 2023 (Graphique 4).
Les accords de salaire signés pour 2024 suggèrent que ce repli devrait se poursuivre cette année, tout en devenant sensiblement supérieure à l’inflation. Chaque trimestre, une enquête de la Banque de France interroge 1 700 chefs d’entreprise sur leurs anticipations d’inflation et de croissance des salaires de base. Au 1er trimestre 2024, en moyenne, les chefs d’entreprise anticipent une hausse des salaires de base de 3% sur les 12 prochains mois (contre 4,1% début 2022), suggérant que le repli observé dans les accords signés en début d’année devrait se poursuivre. L’ensemble de ces résultats conforte le scénario où le rythme de croissance des salaires contribuerait au retour progressif de l’inflation vers 2% fin 2024.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024