Synthèse

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (API) est le point d’aboutissement d’une évolution progressive. Elle vise à créer un cadre juridique, fiscal et social plus simple et protecteur pour les entrepreneurs individuels (EI), y compris les micro-entrepreneurs, qui bénéficient d’un régime fiscal et social simplifié, en deçà de certains seuils. En particulier, la loi API crée une séparation des patrimoines personnel et professionnel des entrepreneurs individuels, et la possible renonciation à cette séparation, formalisée et limitée en durée comme en montant, dans le but de mieux protéger leurs biens personnels et de favoriser le rebond de ceux qui ont connu des difficultés. La loi n’a pas touché aux autres dispositifs possibles de garantie existants.

Les constats établis par le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) dans le cadre du présent rapport sur la mise en œuvre de la loi API doivent être mis en perspective au regard du fait que 2023 est la première année pleine d’application de cette loi et que le Comité ne disposait donc que de peu de recul sur certains aspects. 

Une réforme aux objectifs ambitieux, perfectible sur certains aspects

L’un des objectifs de la loi API était de protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel et de lui permettre de bénéficier de la procédure de surendettement pour ses difficultés personnelles. Sa mise en œuvre soulève plusieurs questions. 

En premier lieu, les membres du CCSF se sont interrogés sur l’effectivité de la protection offerte à l’entrepreneur individuel en tant que débiteur par la séparation de ses patrimoines personnel et professionnel. Le recours à la renonciation, formalisée en durée comme en montant, par les créanciers professionnels apparait très limité (cf. infra). La loi a cependant maintenu la possibilité pour les entrepreneurs individuels d’apporter aux créanciers professionnels si cela était utile dans le cadre de l’octroi d’un financement, des sûretés conventionnelles sur les biens de leur patrimoine personnel.

Par ailleurs, la notion « d’utilité » pour définir les éléments relevant du patrimoine professionnel est considérée comme perfectible en termes de sécurité juridique.

Le dispositif de traitement des difficultés de l’entrepreneur individuel mis en place par la loi API, et notamment l’articulation entre les procédures collectives et la procédure de surendettement, s’avère complexe et mal compris tant par les usagers, que par les institutions en charge de son application. Certaines difficultés de mise en oeuvre pourront être résolues au fil des usages. Une clarification au plan normatif de ces modalités d’articulation est cependant indispensable afin de mieux définir le périmètre d’intervention de ces procédures pour les EI, et d’éviter les conflits positifs ou négatifs de compétences entre les tribunaux et les commissions de surendettement.

Enfin, la simplicité et l’allégement des procédures d’immatriculation ne doivent pas occulter les responsabilités de l’entrepreneur individuel dans l’exercice de son activité, en particulier vis-à-vis de ses clients, notamment et surtout lorsque ceux-ci se trouvent être au final des consommateurs.

Un statut juridique unique de l’EI qui recouvre une diversité importante de situations

La mise en oeuvre de la loi API, visant à la simplification et à l’unicité du statut juridique de l’EI, concerne une population d’entrepreneurs caractérisée par une forte hétérogénéité et une diversité importante de situations. On constate une forte croissance des immatriculations des entrepreneurs individuels, parmi lesquels une proportion importante de micro-entrepreneurs, depuis 2008. Cette dynamique doit cependant être nuancée à deux égards. D’une part, au sein de cette population globale, seule la moitié des entrepreneurs individuels auraient une activité réellement génératrice d’un chiffre d’affaires. D’autre part, cette progression résulte, en partie, de la volonté des pouvoirs publics d’identifier des activités nouvelles notamment au regard des politiques sociales et fiscales. Si les entrepreneurs individuels représentent un poids économique consolidé non négligeable, on constate une hétérogénéité des revenus, avec plus de la moitié des EI, parmi lesquels notamment une partie des micro-entrepreneurs, qui ont un revenu annuel inférieur à 10 000 euros et dont l’activité constitue un revenu d’appoint.

Les relations entre les entrepreneurs individuels et les banques

La loi API ne semble pas avoir amené de changements majeurs dans les relations entre les entrepreneurs individuels et les établissements de crédit et de paiement.

En effet, les banques segmentent leurs clientèles en plusieurs marchés, notamment celui des « professionnels » (c’est-à-dire les personnes physiques agissant pour des besoins professionnels, ainsi que les entreprises, particulièrement les TPE) qui est distinct de celui des « particuliers », qui sont des consommateurs (c’est-à-dire des personnes physiques agissant pour des besoins non professionnels). Les banques intègrent les entrepreneurs individuels au marché des professionnels. Cette clientèle ne fait généralement ni l’objet du fait de son statut juridique, d’un marché spécifique, ni d’équipes dédiées à la catégorie d’entrepreneurs individuels, hormis dans le cas d’établissements qui ont mis en œuvre une politique commerciale et tarifaire ciblant les micro-entrepreneurs ainsi que les professionnels, dont les EI, en démarrage. Une palette similaire de services bancaires est le plus souvent proposée aux professionnels qu’ils soient entrepreneurs individuels (personnes physiques) ou clients en forme sociétaire (personnes morales). Les besoins, en services bancaires comme en financement, des entrepreneurs individuels ne sont pas liés à leur statut juridique. Ils dépendent de leur activité, de la typologie de leur clientèle (particuliers ou professionnels) et du cycle dans lequel ils se situent (lancement-démarrage, gestion courante, développement, patrimonialisation).

Une enquête récente de l’Union des entreprises de proximité (U2P) et l’Institut supérieur des métiers (ISM)montre que les entrepreneurs individuels sont plutôt satisfaits de leurs banques, ce qui semble corroboré par le faible nombre de réclamations lié à leur relation avec leur établissement bancaire.

La lisibilité des libellés et tarifs des services bancaires faisant l’objet d’une interrogation persistante au sein des membres du CCSF, la Fédération bancaire française (FBF) a proposé de revenir vers le CCSF d’ici fin 2025 après avoir établi un constat avec l’ensemble de la profession bancaire au sujet de la lisibilité des principaux services bancaires utilisés par les professionnels, dont les entrepreneurs individuels. Ce constat lui permettra d’apprécier si un effort particulier est à mener, par exemple, par l’établissement d’un éventuel glossaire commun, pour améliorer la lisibilité et la compréhension des professionnels.

L’accès au crédit

Les encours de crédits aux entrepreneurs individuels octroyés par les six grands groupes bancaires2 s’élèvent à fin 2023 à 28,9 milliards d’euros. Ces encours sont en croissance depuis 2019.

On constate également, même s’il reste marginal, une utilisation croissante du microcrédit professionnel par certains entrepreneurs individuels, en particulier les micro-entrepreneurs (avec un encours total de microcrédit professionnel de 81,9 millions d’euros à fin 2023, les EI pesant 77,3 % de ce total).

Les micro-entrepreneurs peuvent se trouver en difficulté, en l’absence de documents comptables certifiés, pour illustrer la réalité de leur activité et de leur situation. Les membres du CCSF recommandent donc d’étudier l’opportunité d’étendre l’obligation de tenue d’un registre des charges d’exploitation à l’ensemble des micro-entrepreneurs, ce qui, sans imposer un formalisme excessif, les aiderait notamment pour leur gestion comptable et financière, dans leur parcours d’accession au crédit et les protègerait dans le cadre d’éventuelles procédures collectives.

Dans le cadre des crédits qu’elles octroient aux entrepreneurs individuels, les banques recherchent avec leurs clients la possibilité de garanties adaptées en fonction du client, de son activité et de ses capacités. Ces garanties peuvent être liées au patrimoine professionnel et peuvent aussi prendre en compte des garanties d’autres personnes (morales ou physiques). Par ailleurs, les banques peuvent accepter des garanties sur le patrimoine personnel apportées par l’entrepreneur individuel sous forme de sûretés conventionnelles, comme cela était déjà le cas avant la loi API (cette possibilité ne constituant pas une novation, la documentation de ces garanties – chiffrage, modalités de recours – n’entrait pas dans l’objet du présent rapport). Enfin, sur la base des informations communiquées par la FBF, on observe que les banques et les entrepreneurs individuels ont peu recours au nouveau dispositif de renonciation à la séparation du patrimoine. Ce constat est positif au regard des interrogations du législateur sur de possibles usages excessifs de cette nouvelle procédure. Les membres du CCSF ont estimé qu’une vision complète des deux dispositifs de levée de la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, renonciation et sûretés conventionnelles sur un bien personnel, pourrait être intéressante, avec un recul suffisant, pour permettre d’apprécier l’impact réel du dispositif de séparation des patrimoines introduit par la loi API.

 

Enquête ISM pour l’U2P – Situation économique et modes de financement des entreprises de proximité, 10 mars 2025.
2 BNP Paribas, Société générale, groupe BPCE, groupe Crédit agricole, groupe Crédit mutuel et La Banque Postale.

Récapitulatif des propositions

Le Comité identifie sept propositions, selon les axes suivants :

  • mieux appréhender les entrepreneurs individuels dans leur diversité, afin d’éclairer les politiques publiques en faveur de cette catégorie d’entrepreneurs ; 
  • informer et former les entrepreneurs individuels sur leurs responsabilités dans l’exercice de leur activité ;
  • faciliter l’accès au crédit bancaire et l’accompagnement des EI ;
  • simplifier le parcours des entrepreneurs en difficulté.

Axe n° 1 : Mieux appréhender les entrepreneurs individuels dans leur diversité

1) Analyser les raisons qui expliquent l’écart important entre EI immatriculés et EI cotisants (ministère en charge de l’Économie et des Finances, INPI, Insee, Urssaf, MSA, DGFiP).
 

2) Réaliser une cartographie annuelle des entrepreneurs individuels (ministère en charge de l’Économie et des Finances).

Axe n° 2 : Informer et former les entrepreneurs individuels sur leurs responsabilités dans l’exercice de leur activité

3) Veiller à ce que les EI soient informés de leurs obligations en tant que professionnels lorsque leurs activités impliquent un consommateur (ministère en charge de l’Économie et des Finances).

Axe n° 3 : Faciliter l’accès au crédit bancaire et l’accompagnement des entrepreneurs individuels

4) Étudier l’opportunité d’étendre l’obligation de tenue d’un registre des charges d’exploitation à l’ensemble des micro-entrepreneurs (ministère en charge de l’Économie et des Finances).

5) Analyser la pratique de prise de garantie et les recours à la renonciation (ministère de la Justice, ministère en charge de l’Économie et des Finances).

Axe n° 4 : Simplifier le parcours des entrepreneurs en difficulté

6) Mener une étude approfondie sur l’accès des entrepreneurs individuels aux dispositifs de prévention des difficultés (ministère en charge de l’Économie et des Finances, ministère de la Justice, Banque de France).

7) Simplifier et clarifier le parcours des entrepreneurs individuels en difficulté après le point d’entrée unique (ministère de la Justice, ministère en charge de l’Économie et des Finances).

Mise à jour le 3 Avril 2025