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Les avantages d’un ancrage solide des anticipations d’inflation

Mise en ligne le 20 Mars 2025

Billet de blog 396. Les anticipations d’inflation observées lors de la poussée inflationniste de ces dernières années sont restées beaucoup mieux ancrées que cela n’avait été le cas dans les années 1970 en raison de la plus grande crédibilité des banques centrales. Ce billet de blog présente des contrefactuels montrant que l’inflation aurait été plus haute plus longtemps si les anticipations d’inflation avaient été aussi mal ancrées que dans les années 1970.

Graphique 1 : Contrefactuel sous l’hypothèse d’anticipations moins bien ancrées

Image hypothèse d’anticipations moins bien ancrées d'inflation, taux d'intérêt, d'inflation de long terme et d'output gap Catégorie Bloc-notes Éco
Note : Les graphiques montrent la trajectoire réalisée de l’inflation, du taux directeur, des anticipations d’inflation à long terme et de la production (en noir), sous la politique monétaire optimale pour un gain de 0,01 (en bleu clair) et 0,145 (en bleu foncé). Calculs des auteurs.

Des anticipations bien ancrées : une contribution invisible de la politique monétaire

En 2021-2023, l’économie mondiale a connu des chocs d’offre et des niveaux d’inflation d’une ampleur inédite depuis les années 1970. Les banques centrales ont réagi en prenant des décisions de politique monétaire d’une ampleur également inédite depuis plusieurs décennies. Entre juillet 2022 et septembre 2023, la BCE a relevé ses taux directeurs de 450 points de base, soit la hausse la plus rapide depuis sa création. Selon l’estimation de Lhuissier (2025), l’inflation s’en est trouvée réduite de 2,5 à 3 points de pourcentage en 2024.

Toutefois, cette estimation ne représente qu’une partie de la contribution de la politique monétaire à la baisse de l’inflation. Elle mesure la contribution des décisions de politique monétaire prises à partir de 2021, en supposant que les anticipations d’inflation seraient restées bien ancrées même si la BCE n’avait pas du tout réagi. Pourtant, l’ancrage solide des anticipations d’inflation (Burban et al., 2024) est la conséquence des décennies précédentes d’inflation faible et stable, un environnement que les banques centrales ont mis en place grâce à leur indépendance, au renforcement de leur transparence et de leur communication, et à leur engagement en matière de stabilité des prix (Bignon and Gautier, 2023). Les bons résultats de leurs politiques passées leur ont permis de maintenir des anticipations solidement ancrées, un atout décisif pour atténuer l’effet des importants chocs d’offre de 2021-2023.

Le gain d’apprentissage pour mesurer l’ancrage des anticipations

Une hypothèse communément admise sur la façon dont les ménages et les entreprises forment leurs anticipations consiste à supposer qu’ils essaient de déduire l’inflation future à partir de son niveau passé. Dans cette hypothèse, les ménages et les entreprises relèvent leurs anticipations d’inflation chaque fois que l’inflation s’avère plus élevée que prévu. Mais l’ampleur de cette augmentation peut être plus ou moins importante. Un moyen simple de mesurer le degré d’ancrage des anticipations d’inflation à long terme consiste à estimer dans quelles proportions elles augmentent en fonction de l’inflation récemment réalisée.

Cela peut être mesuré par le gain d’apprentissage, qui est supposé constant au fil du temps (hypothèse du gain d’apprentissage constant). Si le gain d’apprentissage est faible, les anticipations d’inflation à long terme, qui dépendent peu des réalisations très récentes de l’inflation, sont principalement déterminées par l’évolution de l’inflation sur longue période : les anticipations sont bien ancrées. Si le gain d’apprentissage est important, les anticipations d’inflation à long terme dépendent fortement des récentes réalisations de l’inflation, et sont très peu affectées par le passé plus lointain : les anticipations sont alors mal ancrées. De bons résultats de la banque centrale peuvent non seulement permettre une inflation basse, mais également un faible gain d’apprentissage, garantissant qu’une poussée d’inflation de courte durée n’ait qu’un effet limité sur les anticipations d’inflation à long terme. 

Depuis la création de la zone euro, le gain d’apprentissage est estimé comme faible. À l’aide des anticipations d’inflation moyennes à cinq ans tirées de l’enquête auprès des prévisionnistes professionnels (EPP) sur la période 1999-2024, nous estimons un gain trimestriel de 0,01. Cela signifie que si l’inflation pour un trimestre donné est supérieure d’un point de pourcentage aux anticipations, les prévisionnistes professionnels augmentent leurs anticipations d’inflation d’un point de base en moyenne. Le graphique 2 montre comment les estimations d’anticipations d’inflation à long terme avec un gain d’apprentissage de 0,01 suivent l’évolution des anticipations d’inflation moyennes à cinq ans de l’EPP.
 

 Graphique 2 : Anticipations d’inflation à long terme dans la zone euro

Image anticipations d'inflation de long-terme Thématique Inflation Catégorie Bloc-notes Éco
Note : Anticipations d’inflation moyennes à cinq ans dans la zone euro (1999-2024) et approximation en partant de l’hypothèse que les anticipations augmentent de 1 point de base lorsque l’inflation trimestrielle est supérieure de 100 points de base aux anticipations, tel que calculé à partir de nos propres estimations pour cette période. Source : EPP, calculs des auteurs.

Toutefois, rien ne garantit qu’un gain d’apprentissage faible se maintiendra dans la durée. Si ce faible gain n’est pas fondé sur un engagement de longue date en faveur de la stabilité des prix, ou si les entreprises et les ménages commencent à douter de cet engagement, des chocs inflationnistes importants peuvent pousser les entreprises et les ménages à passer à un gain plus élevé. Selon Carvalho et al. (2023), c’est ce qui s’est produit dans les années 1970. Ils estiment que le gain trimestriel des entreprises et des ménages s’est établi au niveau élevé de 0,145. 

Contrefactuels si les anticipations avaient été moins bien ancrées

Quelle augmentation de l’inflation aurait été observée si les anticipations avaient été moins bien ancrées ? À quel niveau la BCE aurait-elle dû porter son taux directeur ? Et de combien le PIB aurait-il baissé ? Pour répondre à ces questions, nous fournissons des contrefactuels basés sur Dupraz and Marx (2024), eux-mêmes fondés sur le modèle de Woodford (2019). Ces travaux analysent la politique monétaire dans un cadre où les ménages et les entreprises forment des anticipations d’inflation à long terme via un gain d’apprentissage constant. Cela contraste avec une grande partie de la littérature sur la politique monétaire, qui, en faisant l’hypothèse que les anticipations sont rationnelles, suppose que les anticipations d’inflation à long terme demeurent toujours parfaitement égales à la cible. Par conséquent, nos contrefactuels capturent la contribution d’anticipations plus ou moins bien ancrées, ce qui n’est pas le cas d’autres estimations de la contribution de la politique monétaire basées sur des modèles (par exemple, Lane 2024).

Le graphique 1 présente les résultats. En noir figurent les trajectoires réalisées de l’écart de production (mesuré par la Commission européenne), de l’inflation mesurée par l’IPCH et du taux directeur de la BCE. En bleu clair apparaît la recommandation de politique optimale du modèle à partir du troisième trimestre 2021, en supposant que le gain d’apprentissage est à sa valeur estimée de 0,01. La politique optimale dépend des préférences de la banque centrale, que nous calibrons pour reproduire approximativement la trajectoire réalisée du taux directeur. Dès lors, par construction, les recommandations de politique optimale sont proches de leurs valeurs réalisées. 

En bleu foncé figure la recommandation optimale dans le contrefactuel où, à partir du troisième trimestre 2021, le gain d’apprentissage des entreprises et des ménages se serait établi au niveau beaucoup plus élevé de 0,145. Selon le modèle, l’inflation aurait été nettement supérieure, de +1,4 point de pourcentage en 2022 et +3,5 points de pourcentage en 2023, en raison d’une hausse importante des anticipations d’inflation à long terme. La BCE aurait augmenté son taux directeur beaucoup plus fortement, jusqu’à 8,5 % au lieu de 4 %. Et la production aurait par conséquent été plus faible, de – 1,4 point de pourcentage en 2022 et de – 2,2 points de pourcentage en 2023.
Une contribution importante mais non visible de la politique monétaire pendant la poussée inflationniste de 2021-2023 a donc été de garantir que les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises restent bien ancrées.

La crédibilité de la BCE ayant permis de maintenir cet ancrage a été acquise en grande partie avant même les chocs de 2021-2023, grâce à ses performances antérieures de maintien de l’inflation à un niveau proche de la cible. Néanmoins, une réaction décisive face à la poussée initiale de l’inflation restait nécessaire pour maintenir cette crédibilité et cette dernière aurait pu être rapidement perdue si la détermination de la BCE avait été remise en cause. Ces actions décisives auront également un effet bénéfique durable en contribuant à maintenir l’ancrage des anticipations d’inflation à l’avenir.
 

Mise à jour le 20 Mars 2025