Bloc-notes Éco

Le marché des NEU CP au service du financement de l’économie européenne

Mise en ligne le 23 Septembre 2024
Auteurs : Alice Algot-Samé, Benoît Usciati

Billet de blog n° 367. Le marché français des Negotiable EUropean Commercial Paper (NEU CP) est le premier marché de dette à court terme au sein de l’Union européenne. Il joue un rôle clé en matière de financement de l’économie. De par son positionnement et son caractère innovant, il a vocation à servir le développement d’une véritable Union pour l’épargne et l’investissement en Europe. 

Image Graphique 1 – Encours de titres sur le marché des NEU CP et NEU MTN (en milliard d'équivalent EUR) Thématique Marché des TCN Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France

Les Negotiable EUropean Commercial Paper (NEU CP – maturités inférieures à un an) désignent les titres de créances négociables de maturité inférieure à un an émis sur le marché français. Le marché comporte aussi un segment de titres de maturité supérieure à un an, les Negotiable EUropean Medium Term Note (NEU MTN). Crée en 1985 et profondément réformé en 2016 pour accroître son ouverture internationale, il constitue le plus important marché de dette à court terme au sein de l’Union européenne avec des encours en circulation d’environ 320 milliards d’euros à date (360 milliards d’euros en intégrant les NEU MTN). Ces encours ont connu une progression près de 25% entre janvier 2022 et juillet 2024 (contre +11% pour l’encours total de titres de court terme émis par l’ensemble des résidents de l’Union européenne). À titre de comparaison, selon CMDportal (un fournisseur de données privé), les encours de titres de dette de court terme sur les marchés allemands et belges seraient de l’ordre de, respectivement, 100 milliards d’euros (à fin mars 2024) et 50 milliards d’euros (à fin mai 2024). 

Un marché clé pour le financement de l’économie et la transmission de la politique monétaire

Le marché des NEU CP constitue un outil de diversification des ressources empruntées par les acteurs de l’économie pour financer leurs activités : tant du point de vue des maturités utilisées (les emprunts de court terme complétant la dette de long terme), que de celui des canaux de financement (emprunts effectués directement sur le marché, à côté des financements intermédiés). Les NEU CP jouent ainsi un rôle clé dans la gestion actif-passif des émetteurs, qui sont des établissements financiers, des entreprises non financières, des entités publiques, ou des organismes de titrisation (graphique 1). Ces émetteurs sont localisés en France et également, au sein et en dehors de l’Union européenne (pour environ 15% du total).

S’agissant des entreprises non financières françaises, les encours de titres NEU CP et NEU MTN représentent un montant d’environ 60 milliards d’euros soit un peu moins de 10% du total de la dette qu’elles lèvent sur les marchés (voir Banque de France). Les investisseurs les plus actifs (les fonds monétaires) étant en général à la recherche de transactions de montants élevés, le marché a la capacité d’absorber d’importants besoins de trésorerie émanant des émetteurs. Par ailleurs, il offre une grande souplesse s’agissant tant de la maturité des titres que du type de taux d’intérêt proposé aux investisseurs ou encore de la devise d’émission, permettant aux émissions d’être ajustées au gré des besoins de l’émetteur et des conditions de marché.

En raison du rôle qu’il joue en matière de financement de court terme des banques et des entreprises, le marché des NEU CP appelle une vigilance particulière des autorités monétaires sous le double rapport de la stabilité financière et de transmission de la politique monétaire. Par exemple, en mars 2020 lors de la crise du COVID, l’Eurosystème est intervenu en réponse à un assèchement de la liquidité de marché et au renchérissement des primes de risque, diagnostiqués notamment grâce aux données fines collectées quotidiennement par la Banque de France dans le cadre de sa mission de surveillance du marché NEU CP. L’intervention a consisté à acheter des titres de court terme émis par les entreprises dans le cadre d’une décision du Conseil des gouverneurs de la BCE d’étendre le périmètre du Corporate Sector Purchase Programme (voir de Guindos et Schnabel, 2020). Indépendamment de ce type de mesures, ponctuel et ciblé, le marché des NEU CP est reconnu par l’Eurosystème dans le cadre permanent de sa politique de collatéral : les titres émis, dès lors qu’ils respectent l’ensemble des critères d’éligibilité (notamment en termes de qualité de crédit), sont ainsi directement acceptés comme garanties aux opérations de refinancement.

Sur la période récente, marquée par la normalisation de la politique monétaire de la BCE, le marché des NEU CP, en tant que segment du marché monétaire, a contribué à assurer la transmission à l’économie de la remontée des taux directeurs (hausse 450 points de base entre juillet 2022 et septembre 2023) (voir graphique 2). 
 

Image Graphique 2 – Rendement des titres NEU CP émis par les banques (en %) Thématique Marché des TCN Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France

Un marché « modèle », atout pour l’Union de l’épargne et de l’investissement


Dans un récent rapport, le Conseil de Stabilité Financière (FSB) met en avant plusieurs leviers d’amélioration du fonctionnement et de la résilience des marchés de financement de court terme. Le FSB met l’accent sur (i) la modernisation des pratiques de marché par l’accroissement de la digitalisation, le raccourcissement des délais de règlement-livraison et la génération rapide des codes d’identification des transactions (ou codes ISIN) et (ii) le renforcement du reporting réglementaire des acteurs de marché et de la transparence statistique.
 
Le marché des NEU CP apparaît, relativement aux marchés de même type en Europe et au-delà, bien positionné eu égard aux préconisations du FSB. Cela découle pour partie des missions confiées à la Banque de France par le Code monétaire et financier : celles-ci consistent à contrôler la conformité réglementaire des émetteurs et à assurer la transparence du marché par le biais en particulier de publications statistiques. S’agissant des pratiques de marché, la Banque de France met à disposition des émetteurs un outil permettant la digitalisation complète des prospectus d’émission. Les opérateurs de marché ont aussi l’option de demander des codes ISIN via un outil dédié qui permet leur génération rapide et des émissions en « valeur jour ». En outre, le règlement des transactions s’effectue en monnaie de banque centrale via le système T2/T2S de l’Eurosystème (système de paiement et de règlement-livraison de titres)

Le marché des NEU CP, qui innove pour intégrer de nouvelles formes de financement, constitue un atout au plan européen dans la perspective d’une Union de l’épargne et de l’investissement. En matière de finance durable, de plus en plus d’émetteurs intègrent les instruments de court terme dans leur cadre global d’émission, par exemple pour pré-financer des projets durables ou compléter le financement d’investissement durables de montants élevés. Le marché des NEU CP dispose d’un cadre formalisé de bonnes pratiques permettant à ces émetteurs de communiquer de façon transparente et standardisée sur leurs émissions (normes suivies, seconde opinion, reporting et vérification ex post) et partant de faciliter l’analyse des investisseurs. À titre d’exemple, en mai 2024, le groupe Électricité de France (EDF) a adapté son prospectus d’émission de NEU CP pour permettre, à côté des émissions finançant ses besoins généraux à court terme, des émissions destinées à financer des activités alignées sur la taxonomie de l’Union européenne

Le marché s’ouvre aussi aux innovations technologiques, telles que la « tokenisation » des actifs (émission d’actifs financiers sous forme de jeton numérique, appelé « token », grâce à l’usage de technologies de registre distribué), que la Banque de France, en tant qu’acteur de l’écosystème, souhaite accompagner (voir Banque de France, 2023). Cette évolution est porteuse d’opportunités en matière de réduction du risque opérationnel et de facilitation du suivi des transactions, de la réconciliation des flux par les acteurs de marché et de la transmission de reportings (notamment en matière de performance extra-financière). On peut citer à cet égard l’exemple du projet JURA, expérimentation ayant porté sur la monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de gros et impliqué un titre NEU CP émis sous forme tokenisée.  
 

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Mise à jour le 23 Septembre 2024