Billet n°319. L’accélération de l’inflation a des effets différenciés selon les catégories d’assurance. Les assureurs doivent faire face à l’érosion de la valeur des actifs non indexés sur l’inflation et de leur rendement réel, combinée pour certains à une augmentation de leur passif. Ils possèdent toutefois différents leviers pour s’adapter à cet environnement et répondre aux engagements envers les assurés.
Source : ACPR – Tables des placements S.06.02 des remises ARS/AES du 31/12/2022
Note : Les calculs ont été effectués sur l’ensemble des obligations y compris celles détenues au travers de fonds d’investissement.
En 2022, l’indice des prix à la consommation harmonisée a augmenté de 5,9% sur un an, avec une accumulation régulière de hausses sur l’ensemble de l’année, alors que depuis 1997, l'inflation en France n’a été supérieure à 2% que ponctuellement et de manière très modérée. Selon les prévisions de la Banque de France, l'inflation reviendrait vers 2% d’ici fin 2024-2025.
Les assurances de dommages sont plus particulièrement exposées à l'inflation
Comme souvent en assurance, il faut s’attendre à des impacts très différents entre les catégories d’assurance (épargne/retraite, assurance de personnes, assurance de responsabilité, incendies, accidents et risques divers...). En assurance vie, il n’y a pas en général d’indexation des rentes et capitaux sur l'inflation. En assurance de dommages et de responsabilité, les événements sous-jacents à l'inflation actuelle ont accru une tension déjà présente sur certains postes de dépenses depuis plusieurs années : rupture des chaines d’approvisionnement et de production, indisponibilité de certaines pièces de réparation, raréfaction des matériaux (métaux, bois, ...), hausse du coût de la main d'œuvre et des frais d'expertise. Une forte hétérogénéité est cependant observée dans l’évolution des éléments constitutifs des coûts des sinistres (matériaux de construction, pièces automobiles, frais de santé...). Il est par conséquent difficile de dresser un tableau général de la situation.
À cette dérive des coûts des sinistres, s’ajoute parfois une hausse du nombre des sinistres, notamment en matière de sinistralité climatique, comme en 2022. Les actions menées pour réduire le coût des sinistres (prévention, recyclage des pièces détachées, tarifs réglementés ou négociés auprès de réseaux de professionnels...) et maîtriser les frais (que ce soit par des solutions internes ou externes) seront donc déterminantes pour permettre aux assureurs non-vie de limiter les hausses de primes à venir.
L’impact pourrait être plus marqué sur les « branches longues »
Le risque de désajustement entre une prime calculée sur la base d’anticipations d’inflation insuffisantes par rapport à l’évolution réelle des coûts des sinistres est d’autant plus sensible que les cadences de règlement s’échelonnent dans le temps. En effet, à niveau d'inflation donné, l’effet sur le coût moyen des sinistres est amplifié pour les contrats qui donnent lieu à un règlement plusieurs années après la souscription de celui-ci. L'inflation est donc avant tout un défi pour les assureurs non-vie exerçant dans les branches à garanties longues pour lesquelles l’inflation peut peser sur plusieurs années sur des primes ne pouvant pas être révisées et ajustées.
Le ratio comparant le montant des provisions techniques constituées pour pourvoir au règlement de tous les sinistres survenus et non payés (les provisions pour sinistre à payer - PSAP) au montant des primes perçues chaque année est un indicateur de la longueur des engagements pris par les assureurs (Graphique 2). Il fait apparaître que les assurances de responsabilité ont les durées de règlement les plus longues. Il s’agit en particulier des assurances de responsabilité décennale en construction, des garanties responsabilité civile automobile et des couvertures en responsabilité civile pour les professionnels (RC générale ou professionnelle).
Source : ACPR – Tableaux synthétiques de décomposition du résultat FR.13.02 et FR.13.03 des États Nationaux Spécifiques
L’inflation affecte de façon différenciée le rendement réel des actifs
La hausse de l’inflation impacte également les placements des assureurs. Les assureurs investissent les primes payées par les assurés dans des actifs financiers variés : obligations de plusieurs natures, actions, parts d’organismes de placements collectifs (OPC), titres non cotés, immobilier, liquidités. Les portefeuilles sont structurés de manière à ce que les flux perçus des actifs (dividendes, coupons, loyers, remboursements d’obligations, reventes de titres) s’adaptent le mieux possible, en termes de durée et de montant, aux flux sortants générés par les garanties offertes. Or, si certaines prestations à verser sont sensibles à l’inflation, le rendement de la plupart des actifs financiers ne s'ajuste pas mécaniquement avec l'inflation.
Fin 2022, les obligations représentaient 57% de la valeur des placements des assureurs français (après mise en transparence des actifs des OPC). Les actions en représentaient quant à elles 24% dont 11% de participations intra-groupe (Graphique 3).
Source : ACPR – Tables des placements S.06.02 des remises ARS/AES du 31/12/2022
Note : Après mise en transparence des Organismes de Placement Collectif (OPC)
L'inflation a un effet négatif sur les actifs proposant un rendement à taux fixe, comme par exemple les obligations à coupons fixes dont les revenus ne s'ajustent pas avec l'inflation. Deux options existent pour protéger l’investissement obligataire de l'inflation. La première consiste à acheter des obligations à taux variable dont le montant du coupon est indexé sur un taux fluctuant, généralement à court terme. Ce type d’obligation permet de percevoir des coupons plus élevés lorsque les taux remontent, ce qui est généralement le cas en période d’inflation. La deuxième option consiste à détenir des obligations indexées sur l'inflation dont le coupon et le principal s'ajustent directement avec l'évolution des prix. Toutefois, l’offre d'obligations indexées sur l'inflation est limitée à quelques émetteurs en mesure de résister à un choc inflationniste, principalement des États.
À la fin de l’année 2022, l’encours obligataire détenu par les assureurs français se composait de seulement 11% d’obligations à taux variable et 3% d’obligations indexées. Les obligations zéro-coupon et à taux fixe représentaient 84% du portefeuille obligataire (Graphique 1).
Des effets indirects pourraient apparaître en raison de changements de comportement des assurés
Au-delà des effets directs en assurance dommage décrits plus haut, compte tenu des pressions sur leurs marges, les entreprises pourraient choisir de réduire leurs couvertures.
Par ailleurs, en assurance vie individuelle, une modification du comportement des épargnants pourrait exposer les assureurs à :
- une désépargne du fait de la hausse du coût de la vie ;
- un mouvement des épargnants vers d’autres produits indexés ou mieux rémunérés (comme les livrets bancaires) ;
- des arbitrages entre contrats en unités de compte, pour lesquels le risque est porté par l’assuré, et contrats en euro, pour lesquels les engagements de l’assureur sont beaucoup plus importants, notamment en termes de revalorisation.
Afin d’inciter les assurés à ne pas se détourner de leurs contrats d’assurance vie, les assureurs ont néanmoins la faculté de revaloriser les taux versés en utilisant le solde significatif de provisions pour participation aux bénéfices constitué ces dernières années.
Si le choc inflationniste impacte la souscription et la rentabilité des assureurs, ceux-ci possèdent différents leviers pour s’adapter. En assurance, les échelles de temps demeurent longues, ce qui donne le temps de faire évoluer les produits et la gestion des actifs avec, par exemple, davantage de produits indexés sur l'inflation et une réduction de la duration des portefeuilles.
Mise à jour le 25 Juillet 2024