Bloc-notes Éco

La titrisation verte : un levier pour financer la transition

Mise en ligne le 25 Mars 2025
Auteurs : Feyrouz Djabali, Nadia Laut, Aubert Massengo

Billet de blog 399. Ces derniers mois, plusieurs propositions ont émergé pour favoriser la mise en œuvre de l’Union pour l’épargne et l’investissement. Dans ce cadre, la Banque de France a identifié la titrisation dite « verte » comme un levier permettant de dégager des financements significatifs en faveur de la transition écologique. Elle pourrait être encouragée par la mise en place d’une plateforme européenne. 

Graphique 1 : La titrisation verte – cadre règlementaire européen et enjeux

Image Graphique 1 : La titrisation verte – cadre règlementaire européen et enjeux Thématique Finance verte Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France

La titrisation peut être mise au service des objectifs de l’Union pour l’épargne et l’investissement

L’Union pour l’épargne et l’investissement (UEI) répond au constat des avancées insuffisantes du projet d’Union des marchés de capitaux (UMC) en matière d’intégration financière, ainsi qu’aux nombreux appels en faveur d’une relance de l’UMC autour d’une finalité plus mobilisatrice : celle du financement des transitions écologique et numérique (F. Villeroy de Galhau, 2024). L’Europe dispose d’un excédent d’épargne pour y faire face, à condition de se doter des instruments permettant d’organiser la réorientation de ces ressources vers les besoins d’investissements additionnels significatifs (graphique 1), estimés pour la transition durable à 620 Mds d’euros par an par la Commission européenne (F. Villeroy de Galhau, 2024). 

Ces besoins d’investissements supplémentaires impliquent de mobiliser des sources de financement additionnelles à celles que les banques offrent déjà actuellement. Deux voies complémentaires ont été identifiées dans le débat public : d’une part, renforcer le financement par fonds propres, en particulier au service du financement de l’innovation, d’autre part, permettre aux banques d’accroître leurs capacités de prêt. Au titre de cette dernière piste, la revitalisation du marché de la titrisation a été identifiée par beaucoup comme une priorité (notamment Noyer, 2024). Cette ambition, qui n’est pas nouvelle (plan d’action sur UMC, 2015), peut s’appuyer sur le bon fonctionnement  des titrisations européennes durant la Grande crise financière (2007-2008) ainsi que sur le renforcement et l’harmonisation  de l’encadrement de la titrisation depuis 2019 en Europe.

Malgré tout, une utilisation plus importante de la titrisation semble difficilement réalisable sans adaptation du cadre prudentiel actuel ou des exigences de transparence associées à l’émission des titres (Banque de France/ACPR, 2025).  Une autre question, à laquelle ce billet est consacré, est relative à la manière de s’assurer que les fonds libérés au capital des banques soient alloués au service des nouveaux objectifs de l’UEI. À la différence des instruments de financement durables classiques (obligations vertes, sustainability-linked bonds), la titrisation n’a pas été créée en considération de cette finalité spécifique. C’est en ce sens que la titrisation verte apparaît comme une adaptation particulièrement pertinente, dans la mesure où, outre l’allègement du bilan des banques, elle repose sur un mécanisme permettant de flécher les capacités de financement libérées vers la transition écologique.

La titrisation verte bénéficie désormais d’un cadre européen harmonisé 

La titrisation verte ne fait pas l’objet d’une définition univoque dans le monde car elle s’est développée au départ hors de tout cadre règlementaire : le caractère durable peut faire référence soit à la nature verte des sous-jacents (par exemple, cession de prêts finançant la rénovation d’un bâtiment), ou à l’emploi des fonds dégagés par le refinancement des sous-jacents (non nécessairement verts) en faveur de prêts verts. Le législateur européen a clarifié la définition en privilégiant la seconde acception. Ainsi, avec l’adoption du règlement sur les obligations vertes européennes (European green bond standard, ou « EuGB »), applicable depuis décembre 2024, la titrisation peut être qualifiée de « verte » et bénéficier du label « EuGB », même lorsqu’elle repose sur une cession de créances non durables (à l’exception des prêts finançant des énergies fossiles), à condition que la banque originatrice utilise au moins 85% des sommes issues de la cession des créances au financement d’activités conformes aux exigences de la Taxonomie européenne, principe dit du « use-of-proceeds ». Pour garantir l’effectivité du « use-of-proceeds », plusieurs mesures sont prévues, en particulier des exigences de publication et de vérification de l’allocation des fonds à la transition durable par un examinateur externe enregistré et supervisé par l’Autorité européenne des marchés financiers.

La titrisation verte est un segment de marché naissant

Ainsi conçu, le cadre réglementaire « EuGB » vise à favoriser l’essor de la titrisation verte en Europe, alors que ce segment de marché s’est jusqu’à maintenant davantage développé ailleurs dans le monde. Bien que la comparaison internationale soit rendue imparfaite par l’absence de définition commune de la titrisation verte, elle reste possible grâce aux déclarations des émetteurs indiquant se conformer pour leurs émissions au moins au critère du use-of-proceeds fixé par le standard de l’ICMA (Montant (déclaratif) des émissions respectant au moins le critère du Use-of-Proceeds d’après Bloomberg) . Sur ce périmètre, il apparaît ainsi que sur la période 2015-2023, le volume cumulé mondial de titres verts émis adossés à des actifs s’est élevé à 217 Mds de dollars, contre 6 Mds de dollars entre 2007 et 2015, traduisant un essor récent de ce marché (graphique 2). Ce dynamisme est très largement porté par des émetteurs américains, qui concentrent 78% des émissions cumulées de ce type de titres depuis 2019, la Chine en représentant 16% (graphique 3).

Graphique 2 : Émissions annuelles de titres verts adossés à des actifs (principe du « use of proceeds ») entre 2007 et 2023 au niveau mondial (en milliards d’euros)

Image Graphique 2 : Émissions annuelles de titres verts adossés à des actifs (principe du « use of proceeds ») entre 2007 et 2023 au niveau mondial (en milliards d’euros) Thématique Finance verte Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Bloomberg, Banque de France

Graphique 3 : Principaux émetteurs de titres verts (principe du « use of proceeds ») adossés à des actifs depuis 2019 (émissions cumulées de titres au niveau mondial, en milliards d’euros)

Image Graphique 3 : Principaux émetteurs de titres verts (principe du « use of proceeds ») adossés à des actifs depuis 2019 (émissions cumulées de titres au niveau mondial, en milliards d’euros) Thématique Finance verte Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Bloomberg, Banque de France

Vers une plateforme européenne d’émission des titrisations vertes ? 

Le label « EuGB » constitue à ce stade le seul outil, rapidement mobilisable et commun, permettant d’organiser un fléchage explicite du financement libéré par les opérations de titrisation vers le financement de la transition écologique. Par ailleurs, il pourrait constituer une première strate de standardisation des opérations de titrisations européennes. Son impact pourrait être accru si le développement de ce label se doublait de la création d’une plateforme européenne d’émissions communes pour la titrisation verte. C’est également la position défendue par la BCE dans sa réponse à la consultation publique ouverte par la Commission européenne : elle estime qu’une telle plateforme, centrée sur la titrisation verte, serait la mesure la plus significative . D’ailleurs, aux États-Unis, Fannie Mae – une plateforme, entité émettrice à capitaux privés bénéficiant du soutien fédéral –  réalise plus de la moitié des émissions de titrisations vertes américaines depuis 2019. En Europe, une plateforme d’émission permettrait de réaliser des économies d’échelle et d’étendre la base d’investisseurs et d’émetteurs aux places financières les moins liquides. Il faudrait pour cela définir des mécanismes de structuration standardisés, tant sur les créances sous-jacentes éligibles que sur la subordination des différentes catégories de porteurs de titres. Les crédits immobiliers pourraient constituer le gisement principal de créances sous-jacentes afin de favoriser la création d’un large gisement, relativement homogène et peu risqué (La très forte diversification des prêts immobiliers titrisés permettrait de réduire l’exposition aux risques physiques. La BCE a par ailleurs développé un indicateur relatif aux risques physiques qui démontre que ce risque reste limité pour le secteur immobilier) . À ce titre, la Banque européenne d’investissement pourrait être un acteur clé, du fait de son rôle sur le marché de la titrisation (ENSI) . La mise en place d’une telle plateforme commune d’émission demeure néanmoins un objectif à moyen terme compte tenu d’un certain nombre d’obstacles structurels, au premier rang desquels la fragmentation européenne des dispositions contractuelles s’appliquant aux prêts et des règles d’insolvabilité (Gosse, Jamet, Lamy, Massengo, 2023). 

Mise à jour le 25 Mars 2025