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La revue du cadre opérationnel de la BCE : pourquoi ? comment ?

Mise en ligne le 16 Septembre 2024
Auteurs : Pauline Lez

Billet de blog n° 366. Le 18 septembre 2024, l’Eurosystème resserrera l’écart entre son taux de refinancement et celui de sa facilité de dépôt. Dans un contexte de normalisation de la taille de son bilan, la BCE avait annoncé en mars cette modification de son cadre opérationnel de politique monétaire, entérinant le pilotage de l’orientation de la politique monétaire via le taux de la facilité de dépôt. 

Le 13 mars 2024, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé la revue de son cadre opérationnel, un exercice auquel elle se livre pour la première fois. En effet, depuis 1999, si les instruments de politique monétaire ont fortement évolué au gré des évolutions économiques et financières – notamment via la création d’outils dits « non-conventionnels » et le passage à un régime de surliquidité – le cadre conceptuel n’avait pas été formellement révisé. Cette revue, annoncée en 2022 dans un contexte de normalisation de la politique monétaire de l’Eurosystème, est complémentaire de la revue de la stratégie de politique monétaire menée en 2021. 

Du cadre standard aux outils non-conventionnels de politique monétaire avec liquidité excédentaire

Avant 2008, la BCE s’efforçait de remplir son objectif de stabilité des prix en faisant évoluer son principal instrument : ses taux d’intérêt directeurs. Ceux-ci créaient de facto un corridor pour sa cible opérationnelle, le taux monétaire au jour le jour (graphique 1, section de gauche). En effet, les banques n’ont pas intérêt à emprunter à un taux supérieur à sa borne haute (le taux de la facilité de prêt marginal, à laquelle elles peuvent emprunter au quotidien auprès de la BCE), ni à prêter à un taux inférieur à sa borne basse (le taux de la facilité de dépôt). Entre ces deux bornes, le taux des opérations principales de refinancement était considéré comme le taux principal du cadre opérationnel, jouant un rôle d’ancrage des taux monétaires. L’Eurosystème octroyait des financements aux banques éligibles (les contreparties de politique monétaire) pour une durée de 1 semaine à 3 mois, contre collatéral, à un taux variable car déterminé à chaque opération par les offres des banques sous forme d’enchères. Dans ce modèle, le montant de liquidité mis à disposition est déterminé par la Banque centrale (on dit qu’il est « supply-driven », i.e. piloté par l’offre de liquidité). La BCE calibre ensuite le montant de liquidité alloué aux banques pour répondre aux besoins, en tenant compte de facteurs sous son contrôle (i.e. les réserves obligatoires) et hors de son contrôle (i.e. les facteurs autonomes, comme les billets de banque ou les dépôts gouvernementaux). Elle pilote ainsi le taux de refinancement moyen afin de le maintenir à l’intérieur de son corridor de taux : plus la liquidité allouée est élevée, plus le taux de refinancement diminue et réciproquement. Le pilotage en corridor voit par conséquent la cible opérationnelle de l’Eurosystème évoluer autour du taux de refinancement. 
 

Image Graphique 1 : Évolution des taux directeurs de la BCE et du taux monétaire au jour le jour (en %) Thématique Taux et cours Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France, BCE
Taux monétaire : Eonia avant octobre 2020, €STR après octobre 2020

En 2008, la crise financière s’est notamment traduite par une défiance entre les banques et un gel des échanges interbancaires non sécurisés. En réponse, les banques centrales ont procédé à des injections massives de liquidité dans le système financier. À partir d’octobre 2008, la BCE a modifié son mode d’intervention en allouant son refinancement à taux fixe et pour un montant illimité (FRFA – fixed rate full allotment). Ce modèle est dit « demand-driven » car le montant de liquidité octroyé par la banque centrale est fixé par la demande de liquidité par les banques. Par la suite, à partir de 2015, lorsque la BCE s’est retrouvée limitée dans sa capacité à baisser ses taux directeurs en territoire négatif, elle a eu recours à des instruments non conventionnels injectant de la liquidité (programmes d’achats de titres et opérations de refinancement jusqu’à 3 ans).

Le montant de liquidité fourni par l’Eurosystème via sa politique monétaire est ainsi passé de 1 000 à 7 000 milliards d’euros entre 2008 et 2021 (Graphique 2). Ceci a mécaniquement poussé les taux du marché monétaire à la baisse, les éloignant du taux de refinancement pour les amener au voisinage du taux de la facilité de dépôt de manière durable (Graphique 1, section de droite). Dans ce contexte de surliquidité, les banques n’ont plus recours au marché interbancaire non sécurisé, c’est-à-dire non intermedié par le bilan de la Banque centrale, que de façon très limitée. Les échanges subsistant concernent principalement des non-banques plaçant leurs fonds auprès de banques ayant le statut de contrepartie de politique monétaire. Ces dernières acceptent ces dépôts à un taux d’intérêt inférieur à celui de la facilité de dépôt pour les replacer auprès de la banque centrale avec une marge. Cette marge reflète la situation de surliquité et le coût réglementaire.  

Depuis 2022, la BCE a entamé une phase de normalisation de sa politique monétaire pour lutter contre les chocs inflationnistes : elle s’est traduite par une hausse des taux d’intérêt directeurs et une décroissance progressive de son bilan. En effet, la fin des opérations de refinancement à plus long terme (TLTRO III) et le non renouvellement des détentions des titres achetés dans le cadre des programmes d’achat ont pour effet de réduire la liquidité brute fournie par la banque centrale, qui est revenue à 5 000 milliards d’euros en mars 2024.
 

Image Graphique 2 : Injections brutes de liquidité par la politique monétaire de la BCE (en milliards d’euros) Thématique Taux et cours Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Banque de France, BCE

La BCE entérine un pilotage de la politique monétaire par rapport au taux de la facilité de dépôt 

Dans ce contexte, la BCE a décidé de revoir son cadre opérationnel afin d’assurer une bonne transmission de sa politique monétaire quel que soit l’environnement économique et financier, tout en s’adaptant à la diversité des modèles bancaires de la zone euro. Ce cadre respecte 6 grands principes : efficacité, solidité, flexibilité, efficience, économie de marché, prise en compte des objectifs secondaires de la BCE et notamment les risques climatiques.

Après une phase d’excédent de liquidité exceptionnellement élevé, la BCE va continuer de fournir une liquidité ample au système financier via un ensemble large d’instruments, comprenant des opérations de refinancement standard (à une semaine et à trois mois) et des opérations structurelles – sous la forme d’opérations de refinancement à plus long terme et de portefeuille de titres. Les opérations de refinancement standard seront servies en FRFA – à taux fixe et pour un montant illimité – afin de répondre aux besoins de liquidité des banques et resteront garanties par un cadre de collatéral large. Les opérations structurelles, dont les caractéristiques et la temporalité restent à définir, intégreront dans la mesure du possible des considérations liées au climat, au nom de l’objectif secondaire de la BCE.  

Concrètement, cela signifie que l’ancrage des taux monétaires au plancher du corridor, comme pratiqué depuis 2015 (graphique 1) est officialisé. Une certaine volatilité des taux du marché monétaire autour du taux de la facilité de dépôt sera néanmoins tolérée et n’entrainera pas systématiquement l’intervention de la banque centrale, tant que ces mouvements n’altèrent pas l’orientation de la politique monétaire. 

Ces modifications répondent aux évolutions du système financier depuis 2008, la banque centrale s’adaptant de manière élastique aux besoins en liquidité des banques, qui sont plus importants qu’auparavant pour des motifs réglementaires et de précaution. 

Enfin, la BCE a annoncé le resserrement de la taille de son corridor en réduisant l’écart entre le taux de dépôt et le taux de refinancement à 0,15 % (contre 0,50 % actuellement). Cette décision sera effective le 18 septembre 2024 et vise à rendre plus attractif le recours aux opérations principales de refinancement, en réduisant l’écart entre le coût auquel les banques se refinancent auprès de la banque centrale et le taux auquel elles peuvent y replacer leurs fonds. Le maintien d’un écart laisse néanmoins l’opportunité pour des échanges sur le marché monétaire et des financements de marché pour les banques. 
 

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Mise à jour le 16 Septembre 2024