Malgré leur rôle particulier, les banques centrales restent des banques. Elles émettent des passifs financiers et détiennent des actifs financiers. Ce sont généralement des institutions dont le capital est détenu par l’État et dont les bénéfices nets sont régulièrement transférés sur le compte du Trésor sous forme de dividendes. Le bilan consolidé des banques centrales de la zone euro est publié chaque semaine par la Banque centrale européenne (BCE).
Les banques centrales émettent deux types de passifs …
Les banques centrales émettent deux types de passifs, qui constituent la base monétaire : les billets en circulation et les dépôts et comptes courants.
Les billets de banque – les billets en euro dans votre portefeuille – sont imprimés par les banques centrales. Ils sont vendus sur demande aux banques de détail en échange de créances rémunérées, ce qui permet à votre banque de les mettre à votre disposition pour effectuer un retrait d’espèces.
Les billets de banque ne rapportent pas d’intérêts. Comme leurs coûts d’impression sont très bas, mais qu’ils sont échangés à leur valeur faciale, les banques centrales perçoivent des revenus de seigneuriage sur l’émission des billets car la créance financière engendre un rendement généralement supérieur au rendement nul de la monnaie. Les billets en circulation dans le monde représentent actuellement une valeur de 1 200 milliards d’euros environ. La valeur d’un billet résulte de son cours légal et de la confiance du public dans le fait que son pouvoir d’achat ne sera pas érodé par l’inflation.
Des comptes sont ouverts à la banque centrale pour les banques domestiques, les institutions financières internationales et l’État afin de faciliter les flux de paiements entre eux. Lorsque vous achetez un ordinateur portable avec une carte de crédit, le transfert de votre compte bancaire vers celui du vendeur implique un transfert de votre banque à la sienne par l’intermédiaire de leurs comptes respectifs auprès de la banque centrale. Les principales banques centrales rémunèrent ces comptes de dépôt ou comptes courants, et c’est via ces taux d’intérêt qu’elles pilotent d’autres taux d’intérêt dans l’économie et mettent ainsi en œuvre la politique monétaire. Le taux de la facilité de dépôt de la BCE est actuellement négatif (– 0,5 %), ce qui signifie que les banques payent pour détenir des réserves auprès de la banque centrale.
… adossés à une gamme d’actifs
À l’actif, les banques centrales détiennent de l’or et des réserves de change, des prêts garantis consentis aux banques et des obligations d’État et d’entreprises de la zone euro (et quelques autres éléments). Historiquement, la BCE et les banques centrales nationales (BCN) – l’"Eurosystème" – utilisaient les prêts garantis consentis aux banques (intitulés "pensions") afin de réguler le volume de réserves dans le système et d’influer sur le taux d’intérêt des emprunts entre banques. Depuis 2015, les achats d’obligations effectués par l’Eurosystème dans le cadre de son programme d’achats d’actifs (Asset Purchase Programme, APP), son instrument de politique monétaire additionnel, se sont élevés à 2 800 milliards d’euros (cf. graphique 1). Le 12 mars 2020, une enveloppe supplémentaire de 120 milliards d’euros a été consentie et, dans le cadre du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) annoncé le 18 mars 2020, l’Eurosystème fera l’acquisition d’actifs supplémentaires pour un montant de 750 milliards d’euros d’ici fin 2020.
Finances publiques et limites à la création de monnaie de banque centrale
Les achats d’actifs de l’Eurosystème recouvrent des obligations d’État, des obligations d’entreprises, des titres adossés à des actifs et des obligations sécurisées. Les achats sont répartis entre les BCN et la BCE, et les achats d’obligations d’État sont réalisés plus ou moins selon la clé de répartition des BCN au capital de la BCE. Ainsi, les obligations d’État françaises constituent 20 % environ des achats d’obligations souveraines dans le cadre de l’APP et ces achats sont principalement réalisés par la Banque de France. La répartition des achats entre pays est plus flexible dans le cadre du PEPP.
Lorsque la Banque de France achète une obligation d’État française auprès d’une banque française, elle crédite le compte de dépôt de cette banque sur ses livres. La Banque de France perçoit alors un revenu d’intérêt de cette obligation et verse un intérêt sur le dépôt créé – ces deux taux d’intérêt pouvant être négatifs. Tant que le rendement à l’échéance de l’obligation est supérieur au taux de rémunération du dépôt, la Banque de France engrange un bénéfice, qu’elle transfère ultimement sur le compte du Trésor français.
Comme la banque centrale détient la dette publique et qu’elle appartient à l’État, ne serait-il pas possible d’effacer la dette publique détenue par la banque centrale sans incidence sur le bilan agrégé du secteur public ? La réponse est non. Non seulement il est illégal d’annuler une dette souveraine dans la zone euro, mais la banque centrale est également redevable d’intérêts sur les dépôts créés. Ce n’est pas un problème actuellement car le taux de rémunération des dépôts est négatif mais cela pourrait le devenir lorsque ce taux redeviendra positif. La banque centrale devra alors de l’argent sans avoir les revenus nécessaires pour le financer. Elle enregistrera également une très forte perte en capital.
Il existe principalement deux possibilités pour remédier à ce déficit de revenu : soit les transferts entre la banque centrale et l’État servent à absorber la perte, soit la banque centrale rembourse en émettant de nouvelles réserves. Dans le premier cas, l’État doit accepter un plus faible dividende monétaire. Dans le second cas, s’il est vrai que les banques centrales peuvent toujours créer des dépôts supplémentaires afin de combler ce manque, on risque cependant d’aboutir à un schéma pyramidal, la banque centrale devant émettre des volumes croissants de dépôts afin de payer les intérêts sur ses réserves existantes. Les banques accumuleront de plus en plus de dépôts auprès de la banque centrale, avec une faible perspective d’obtenir une valeur réelle. L’inflation est la conséquence inévitable lorsque les entreprises et les ménages commencent à douter de la valeur de cette monnaie et à dépenser leur argent avant que son pouvoir d’achat ne soit réduit à néant. Cela peut enclencher une spirale inflationniste.
Le même problème se pose avec le financement monétaire : la création monétaire finance directement les dépenses publiques. Une banque centrale peut simplement créditer des fonds sur le compte de l’État. Mais lorsque cette monnaie est dépensée, les dépôts seront transférés du compte de l’État vers un compte bancaire (comme dans l’exemple de l’ordinateur portable). La banque centrale devra alors verser des intérêts sur ce dépôt mais sans détenir d’actif supplémentaire pour les financer. Cela peut également déclencher une spirale inflationniste.