Bloc-notes Éco

Dans quelle mesure les revenus financiers ont-ils soutenu le taux d’épargne en France ?

Mise en ligne le 21 Mars 2025
Auteurs : Alice Carroy, Camille Thubin

Billet de blog 397. Après son pic historique atteint durant la crise sanitaire, le taux d’épargne des ménages a diminué mais reste supérieur de plus de 3 points à son niveau pré-Covid. Nous montrons que les changements dans la composition du revenu des ménages, induits notamment par la hausse des revenus financiers nets en lien avec l’évolution des taux d’intérêt, expliquent une grande part du maintien du taux d’épargne à un niveau élevé en 2023-2024. 

Graphique 1 : Évolution du taux d’épargne depuis le premier trimestre 2023 et contribution de l’effet de composition (points de pourcentages)

Image Évolution du taux d’épargne depuis le premier trimestre 2023 et contribution de l’effet de composition (points de pourcentages) 2023-2024 Thématique Épargne Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Insee (comptes trimestriels du 28 février 2025) et calculs Banque de France

Les revenus du patrimoine ont évolué plus rapidement que les autres composantes du revenu sur la période récente

Au sens de la comptabilité nationale, le revenu disponible brut des ménages (RDB) est le revenu dont disposent les ménages pour consommer ou investir, après opérations de redistribution. Les revenus d’activité, qui incluent les salaires et l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entrepreneurs individuels, en constituent la part la plus importante. Il y a ensuite, par ordre de contribution, les prestations sociales en espèce, les revenus du patrimoine (dont les revenus financiers nets et les revenus immobiliers) et les autres transferts. Les impôts et cotisations sociales sont ensuite retranchés à ces différentes sources de revenu pour obtenir le revenu disponible brut. 

Sur la période 2023-2024, les revenus du patrimoine ont fortement contribué à la croissance du revenu disponible brut nominal des ménages, plus particulièrement en 2023 (croissance de 17,1 % contre 8,0 % pour le RDB nominal), tandis que la progression des revenus d’activité (masse salariale et EBE des entrepreneurs individuels) a été inférieure à celle du RDB (Graphique 2). Ce dynamisme des revenus du patrimoine a entrainé une augmentation de leur poids dans le revenu disponible des ménages qui est passé de 21% à 23%. La part des revenus d’activité a quant à elle baissé, passant de 71% à 68% du revenu disponible brut. 

Cette augmentation soutenue des revenus du patrimoine provient en partie de la réponse de la politique monétaire à la forte hausse de l’inflation observée dès début 2022. En effet, l’augmentation des taux directeurs par la Banque centrale s’est reportée sur les taux de rémunération des dépôts à terme et de l’assurance-vie en euro, alors que les intérêts versés par les ménages sur leurs crédits, contractés majoritairement à taux fixe, ont moins progressé. D’autre part, certains livrets d’épargne des ménages ont des taux de rémunération dont le calcul dépend de l’inflation (livret A, Livret d’épargne populaire (LEP) ou encore Livret de développement durable et solidaire (LDDS)). Par ailleurs, les autres revenus financiers (dont les dividendes) ont également augmenté sur la période

Graphique 2 : Taux de croissance annuel des composantes du revenu disponible brut des ménages (%)

Image Taux de croissance annuel des composantes du revenu disponible brut des ménages (%) 2023-2024 Thématique Salaire Catégorie Bloc-notes Éco
Source : Insee (comptes trimestriels du 28 février 2025) et calculs Banque de France

L’effet de composition du revenu via la hausse des revenus financiers se traduit mécaniquement par une hausse du taux d’épargne

Au sein du revenu disponible des ménages, les différentes sources de revenu ne sont pas épargnées dans les mêmes proportions. En particulier, les revenus financiers sont davantage épargnés que les revenus d’activité et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour un ménage donné, sa propension à consommer est plus basse pour les revenus financiers que pour les autres revenus, car les actifs financiers détenus sont destinés à financer des besoins exceptionnels (épargne de précaution) ou à long terme (comme la retraite). D’ailleurs, une large part des revenus financiers (notamment ceux liés à l’assurance vie) se trouve en pratique immédiatement et automatiquement réinvestie. Ensuite, les différents revenus ne sont pas détenus dans les mêmes proportions au sein des différentes catégories de ménages. Les revenus financiers sont généralement détenus par les ménages se situant en haut de la distribution des revenus, dont la propension marginale à épargner est généralement plus élevée. Enfin et plus spécifiquement sur cette période, une bonne part de l’augmentation faciale des revenus financiers a reflété la compensation de la dévalorisation par l’inflation des actifs financiers correspondants, et n’a donc pas été considérée comme un gain susceptible d’être dépensé. 

Le mécanisme derrière l’impact des revenus financiers sur le taux d’épargne est donc le suivant : si la hausse du revenu disponible venait seulement des revenus financiers (qui sont largement ré-épargnés), alors la consommation n’augmenterait quasiment pas et le taux d’épargne monterait. Le phénomène inverse jouerait en cas de repli des revenus financiers.  

Afin d’illustrer ce point, nous considérons une décomposition de l’évolution du taux d’épargne en fonction de deux contributions. La première contribution correspond à l’évolution qui aurait eu lieu si la masse salariale avait gardé un poids constant dans le revenu disponible. Il s’agit d’une sorte de taux d’épargne sous-jacent dont l’évolution ne dépendrait que du rapport entre la consommation et la masse salariale, composante stable du revenu ayant une propension à consommer proche de la moyenne. La seconde contribution s’intéresse à l’évolution du poids de la masse salariale dans le revenu disponible brut, en maintenant constant le ratio entre la consommation et la masse salariale : une augmentation de cette contribution correspondrait à des changements de composition du revenu des ménages au profit par exemple des revenus du patrimoine, à taux d’épargne « sous-jacent » constant. La hausse des taux d’intérêt ayant débuté en 2022, et compte tenu de délais de transmission aux placements et emprunts des ménages, les calculs de contributions prennent ici le premier trimestre 2023 comme point de départ.

Graphique 3 : Décomposition de l’évolution du taux d’épargne depuis début 2023   

Image Décomposition de l’évolution du taux d’épargne depuis début 2023 Thématique Épargne Catégorie Bloc-notes Éco
Note : Par construction, la variation du taux d’épargne (courbe noire) n’est pas strictement égale à la somme des deux contributions. En pratique, l’écart est très faible (inférieur à 0.1 point).
Source : Insee (comptes trimestriels du 28 février 2024) et calculs Banque de France

Le graphique 3 montre que la hausse du taux d’épargne entre début 2023 et fin 2024 (de +1,5 point) provient essentiellement des effets de composition du revenu. La part épargnée de la masse salariale a même initialement baissé avant de revenir fin 2024 à son niveau du 1er trimestre 2023. Autrement dit, la hausse du taux d’épargne observée depuis 2023 serait principalement liée à la déformation de la composition des revenus, au profit des revenus financiers, plutôt qu’à un changement dans la relation sous-jacente entre consommation et revenus d’activité.

Une approche économétrique pour quantifier l’effet de composition

L’impact des effets de composition du revenu présenté ci-dessus est purement comptable, au sens où aucune hypothèse n’est faite sur le comportement économique des ménages face à la déformation de la structure du revenu. Par ailleurs, la contribution de la composante liée à l’évolution du poids de la masse salariale dans le revenu calculée dans l’approche comptable a tendance à surestimer l’effet de composition car elle repose sur l’hypothèse implicite que tous les revenus hors masse salariale sont intégralement épargnés. Afin de quantifier plus finement cet effet dans la hausse actuelle du taux d’épargne, nous utilisons une équation économétrique de consommation similaire à celle présentée dans Ouvrard et Thubin (2020). Cette modélisation fait intervenir les parts de certaines composantes du revenu des ménages afin de capter les effets de structure. Nous retenons, plus particulièrement, les parts des revenus du patrimoine (revenus immobiliers et financiers), des prélèvements obligatoires et de l’excédent brut d’exploitation des entrepreneurs individuels dans le revenu des ménages. Selon cette équation, une déformation de la structure des revenus provenant des revenus du patrimoine (augmentation de 1 point de RDB des revenus du patrimoine, à revenu total inchangé) induirait une hausse du taux d’épargne de l’ordre de 0,4 point. 

Nous réalisons ensuite un exercice de simulation sur la période 2023-2024, où nous comparons deux scénarios. Dans le premier scénario, les poids des différentes composantes du revenu évoluent comme observé dans les données publiées par l’INSEE. Dans le second scénario, ces poids sont maintenus à leurs niveaux du premier trimestre 2023, tout en conservant une évolution identique du revenu total. Nous interprétons ensuite la différence de taux d’épargne entre ces deux scénarios comme la contribution de l’effet de composition du revenu à l’évolution de taux d’épargne sur cette période. 

Le résultat de ces simulations montre que l’effet de composition du revenu aurait contribué à hauteur de 0,7 point à la hausse de 1,5 point du taux d’épargne en 2023-2024.  La totalité de cet effet viendrait de l’augmentation des revenus du patrimoine (Graphique 1). 

En 2025, nous anticipons un début de retournement à la baisse du taux d’épargne, avec une évolution de la composition du revenu des ménages qui serait plus favorable à la consommation qu’à l’épargne. En effet, la part des revenus financiers dans le revenu disponible brut des ménages devrait diminuer avec le repli des taux d’intérêt. Dans le même temps, l’ajustement retardé des salaires nominaux à la hausse passée de l’inflation devrait soutenir le pouvoir d’achat des revenus d’activité, et donc aussi la consommation.
 

 

Mise à jour le 21 Mars 2025