Note : Volume journalier moyen échangé entre paires [USD : Dollar, BTC : Bitcoin, ETH : Ethereum, ADA : Cardano, USDT : Tether, USDC : USD Coin, BUSD : Binance USD], sur un an (septembre 2020-septembre 2021), d’après les données Cryptocompare, agrégées depuis 70 plateformes d’échange. Tous les volumes sont convertis en US dollar. L’épaisseur de chaque corde reflète le volume échangé sur une paire, en milliards de dollars. À titre d’exemple, le volume moyen de Bitcoin échangé quotidiennement est de 10 milliards de dollars dont 6 le sont contre des Tether et 1 contre des Ethereum.
Plusieurs stratégies sont déployées par les émetteurs de stablecoins pour en assurer la stabilité. Dans le cas des deux plus grands stablecoins que sont Tether et USD Coin qui visent à maintenir une parité stable contre le dollar (ie. 1 Tether = 1 dollar), l’émetteur déclare détenir en face de chaque jeton des actifs en réserve libellés en dollar et se tenir prêt à convertir les jetons à une parité fixe de 1 pour 1 dollar.
Si cela est le cas, cela veut dire que les fluctuations de la demande des principaux stablecoins – liées par exemple à la volatilité du Bitcoin - entraînent des variations de la quantité d’actifs en réserve des émetteurs de stablecoins et sont de nature à modifier brutalement la demande en actifs financiers de court-terme libellés en dollars, avec des effets potentiellement déstabilisateurs. Une demande brutale de conversion des stablecoins en dollar se traduirait par une vente de leurs actifs en réserve et toute chose égale par ailleurs une hausse de leur taux d’intérêt.
Les stablecoins, interfaces avec le système financier
Jusqu’à très récemment, les émetteurs de stablecoins n’offraient aucune transparence sur la nature des actifs détenus à titre de réserve. Cet été, Tether (USDT) et Circle (USDC) ont rendu publique la composition de leurs actifs, révélant une large part de papiers commerciaux émis en dollar (billets de trésorerie à court terme émis par les entreprises et les banques – les "commercial papers" ci-après CP). Certains émetteurs de stablecoins seraient ainsi devenus parmi les plus gros détenteurs de CP aux États-Unis, au même titre que les principaux fonds monétaires (Fitch Ratings, 2021).
Même si à ce stade, l’encours de CP reste bien plus large que la capitalisation des stablecoins, le marché des CP en dollars a d’ores et déjà des liens avec la demande de stablecoins. Dans une étude récente, Barthélemy et al. (2021) confirment par une analyse économétrique un lien statistique entre certaines nouvelles émissions de CP en dollars et la capitalisation des stablecoins ; ils vérifient que ce résultat ne s’explique pas par d’autres facteurs, comme une simple tendance temporelle, la croissance sur cette période des actifs boursiers (Nasdaq…), ou encore la politique monétaire de la Fed. L’analyse suggère également que les taux de certains CP réagiraient à la baisse à une croissance des stablecoins.
Un tel mécanisme pourrait devenir une source d’instabilité financière via le marché des dettes à court terme. Premièrement, une partie du financement actuel des banques et des entreprises pourrait être sensible aux fluctuations des cours des crypto-actifs par l’intermédiaire des mouvements sur les actifs de réserve des émetteurs de stablecoins. Deuxièmement, la pression exercée à la baisse sur les taux des CP par la demande en forte croissante d’actifs de réserve des émetteurs de stablecoins est de nature à inciter les banques et entreprises à recourir davantage à ce type de financement de court terme, renforçant leur exposition indirecte aux mouvements sur les cryptoactifs.
Quel encadrement pour les stablecoins ?
Les liens tissés entre les cryptoactifs dans leur ensemble, les stablecoins et le financement de l’économie soulignent l’importance d’encadrer ces marchés. Les économistes dressent par exemple des parallèles entre l’activité des stablecoins et des expériences historiques ayant in fine nécessité l’intervention des régulateurs (Gorton et Zhang, 2021), et participé à définir, par exemple pour les banques des obligations réglementaires comme la garantie des dépôts, ou pour les fonds monétaires la publication très précise de la composition et la valorisation de leurs actifs.
Dans ce contexte, l’encadrement des cryptoactifs se développe dans de nombreuses juridictions. Au niveau international, la régulation des stablecoins selon le principe de "même activité, même risques, même règles" vis-à-vis des intermédiaires financiers traditionnels a été actée, avec la définition en cours d’un cadre règlementaire harmonisé (Conseil de Stabilité Financière, 2020). Dans l’Union européenne, le projet de règlement sur les marchés de crypto-actifs ("Markets in Crypto-assets", ou MiCA), actuellement en cours de négociation, vise à établir un cadre règlementaire européen encadrant les émetteurs de crypto-actifs et les prestataires de services sur crypto-actifs, comme les plateformes d’échange.
Note : Les auteurs remercient Thomas Argente, Adeline Bachellerie, Jean-Bertrand Lesparre, Alexandre Stervinou et Déborah Zribi. Les données de Coinmarketcap et Messari ne font l’objet d’aucun contrôle par une autorité de régulation. Leur utilisation dans le cadre de cet article ne vaut en aucun cas reconnaissance de leur fiabilité par la Banque de France.