Billet de blog n° 346. Cet article analyse l’écart femme-homme concernant les rémunérations en France et montre comment les différences d'heures travaillées, de fonctions occupées et de pratiques d’entreprise ont influé sur les écarts de revenus de 2002 à 2019. La réduction de l’écart provient de la proportion croissante de femmes dans des secteurs et des professions mieux rémunérées. L'écart au sein des entreprises n'a que légèrement diminué et reste significatif.
Note : Le salaire journalier brut et le salaire horaire brut correspondent au salaire brut annuel divisé respectivement par le nombre de jours et d'heures travaillés dans l'année.
La compréhension des causes des écarts de rémunération entre femmes et hommes a suscité de nombreuses recherches économiques depuis des décennies. Si l'on utilise les différences de qualification comme variable de contrôle, l'écart tend à s’élargir, car les femmes ont aujourd'hui tendance à être plus qualifiées que les hommes. L’écart tient en partie au fait que les femmes sont plus susceptibles d’exercer moins d’heures et des professions moins bien payées dans des entreprises qui rémunèrent moins bien, et dans de nombreux pays, la majeure partie des inégalités se concentre au sein même des entreprises (OCDE, 2021).
Palladino, Roulet and Stabile (2023) étudie comment les écarts de rémunération femme-homme et leurs composantes emploi et entreprise ont évolué au fil du temps en France. Cette étude utilise une base de données employeurs-salariés nouvelle et exhaustive (Babet et al., 2023), dérivée de la Base Tous Salariés, pour examiner les écarts de salaires bruts selon le genre dans le secteur privé de 2002 à 2019. Cette base de données fournit un panorama complet indiquant, pour chaque emploi, non seulement les revenus qui y sont associés, mais aussi des détails sur le nombre de jours travaillés, le nombre d'heures travaillées, le type de profession et l'employeur.
Le rôle du temps de travail et de la profession
Toutes ces informations sont d'abord utilisées pour élaborer une mesure de la rémunération journalière, correspondant au ratio revenus bruts annuels/nombre de jours travaillés. L'écart de revenus journaliers selon le genre s’est réduit de plus de 30 % à moins de 25 % entre 2002 et 2019. Il existe une composante « volume » qui peut s'expliquer en examinant le nombre d’heures travaillées. La figure 1 montre que les différences de volume de travail quotidien, liées en grande partie au travail à temps partiel, contribuent de manière significative aux écarts bruts de rémunération moyenne par jour travaillé, mais que leur poids n'a pas évolué de manière significative dans le temps : l'écart de rémunération horaire femme-homme est revenu de 18 % à 11,5 % entre 2002 et 2019.
Après correction des différences d'heures de travail, il est possible d'évaluer l'impact de la ségrégation professionnelle, mesurée par la différence entre les courbes orange et verte de la figure 1. Au fil du temps, une convergence s’installe : les femmes sont relativement plus susceptibles d'occuper des emplois mieux rémunérés que par le passé, ce que confirme déjà largement la littérature. La composante profession expliquait un tiers de l'écart de salaire horaire femme-homme au début de la période, mais seulement un cinquième en 2019.
Le rôle des entreprises
Même après prise en compte des différences d'heures travaillées et de la ségrégation professionnelle, l'écart de salaire entre les genres reste important (9,3 % en 2019). Un axe de recherche plus récent a adapté le modèle Abowd, Kramarz et Margolis (1999) pour étudier la contribution des entreprises à cet écart résiduel (voir, par exemple, Card, Cardoso et Kline, 2016). Ce cadre permet de décliner le rôle des entreprises en une composante inter-entreprises et une composante intra-entreprise. La première composante mesure si les femmes travaillent dans des entreprises ou des secteurs qui les rémunèrent moins bien que les hommes à tâches et responsabilités similaires. La seconde examine si les hommes et les femmes sont rémunérés différemment au sein d'une même entreprise, en raison de tâches et de responsabilités différentes tout en exerçant la même profession, ou en raison de différences de négociation et/ou de pratiques salariales déloyales, c'est-à-dire discriminatoires (OECD, 2021).
La différence entre les courbes verte et jaune de la figure 1 mesure la composante inter-entreprises, laquelle peut être décomposée en deux sous-composantes intersectorielle et intrasectorielle, comme le montre la figure 2. La composante inter-entreprises totale, déjà modeste en début de période, commence à se réduire progressivement à partir de 2014, réduction qui se poursuit jusqu'à la fin de la période. La majeure partie, c'est-à-dire 75 %, de la baisse de la composante inter-entreprises au cours de la période d'analyse s'explique par une baisse du canal intersectoriel. En d'autres termes, cela est davantage dû à la proportion croissante de femmes dans les secteurs à haut niveau de rémunération qu’à un meilleur accès à des entreprises à plus haut niveau de rémunération au sein de chaque secteur.
Note : L'écart inter-entreprises total est l'écart de rémunération attribuable au fait que les femmes travaillent dans des entreprises ou des secteurs moins bien rémunérés que les hommes.
Enfin, reste à évaluer l'écart intra-entreprise, lequel est significatif tant au début qu'à la fin de la période d'analyse (environ 10 % en 2002 et 8 % en 2019). Reposant sur certaines hypothèses du modèle économétrique sous-jacent, l'évaluation de l'évolution dans le temps de ses deux composantes (à savoir les différences de tâches et de responsabilités dans le cadre d'une profession donnée et les canaux de négociation/discrimination) ne peut être ici exhaustive (Palladino, Roulet and Stabile, 2023). La figure 3 montre les limites inférieure et supérieure crédibles de la composante négociation/discrimination pour la dernière année disponible. Nous observons que cette composante, qui approche autant que possible de l’écart salarial pour un travail équivalent, se situe entre 1 % et 4 %, ce qui explique entre 10 % et 40 % de l'écart salarial horaire total en France en 2019.
Note : L'écart intra-entreprise total est l'écart de rémunération attribuable au fait que les hommes et les femmes sont rémunérés différemment au sein d'une même entreprise.
Le rôle des politiques publiques
En 2019, la France a introduit une importante réforme de la transparence salariale visant à corriger les disparités salariales femme-homme au sein des entreprises. Dans le cadre de cette réforme, les entreprises de 50 salariés et plus sont tenues de réaliser régulièrement des audits d'égalité salariale et de rendre publiques des informations sur l'écart de rémunération entre les genres (appelé «Index de l'Égalité Professionnelle entre les Femmes et les Hommes»). Plusieurs autres pays ont instauré des mesures similaires.
Bien que ces actions jouent un rôle important pour rendre les écarts de rémunération entre les genres plus visibles, ce billet de blog prouve que leur mise en œuvre s’avère complexe. Il est difficile de déterminer si les différences de rémunération femme-homme au sein d'une entreprise donnée sont dues à des disparités systématiques entre les tâches et les responsabilités ou à une inégalité de rémunération à travail équivalent.
Cette discussion met en évidence le fait que les mesures ciblant les écarts de rémunération au sein des seules entreprises, bien qu'elles soient utiles, restent probablement à elles seules insuffisantes. Pour faire bouger significativement les choses, il est essentiel de s'attaquer aux causes sous-jacentes des différences liées au genre s’agissant de la demande de travail flexible et de mobilité inter-professionnelle, inter-fonctionnelle, inter-sectorielle et inter-entreprises.
Télécharger la version PDF de la publication
Mise à jour le 25 Juillet 2024