Bloc-notes Éco

Bâle 3 : quel degré de contrainte sur l’offre de crédit des banques ?

Mise en ligne le 25 Avril 2025
Auteurs : Laurent Clerc, Sandrine Lecarpentier, Cyril Pouvelle

Billet de blog 403. L’accord de Bâle 3 a renforcé la réglementation bancaire après la crise de 2008, en introduisant de nouvelles exigences de solvabilité et de liquidité. Une estimation sur données françaises montre que ces exigences n’ont pas contraint l’offre de crédit. Les seules situations où leurs interactions atténuent la dynamique du crédit concernent les banques les plus fragiles durant les épisodes de tensions financières.

Graphique 1 : Croissance des crédits au secteur privé non-financier depuis 2015 

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Source : ACPR (54 banques françaises) ; calculs des auteurs
Note : Crédits aux ménages et aux entreprises non-financières accordés par les banques (en %, croissance trimestrielle).

Bâle 3, un accord renforçant le socle réglementaire visant à assurer la stabilité financière 

L’accord de Bâle 3 qui, dans ses grandes lignes, a été conclu en 2010 à la suite de la crise financière de 2008 puis mis en œuvre progressivement à partir de 2012, introduit pour la première fois au niveau international une combinaison de normes de solvabilité et de liquidité bancaires. Au ratio de solvabilité pondéré par les risques préexistant et dont les exigences ont été durcies, il ajoute un ratio de levier visant à éviter un accroissement excessif du bilan des banques par rapport à leurs fonds propres, un ratio de liquidité à court-terme visant à s’assurer que les banques ont suffisamment d’actifs liquides à 30 jours pour couvrir des sorties de trésorerie modélisées en situation de stress (le « Liquidity Coverage Ratio », LCR) et un ratio de liquidité à un an (le « Net Stable Funding Ratio », NSFR), visant à contenir le risque de transformation.

Des craintes ont été émises par l’industrie bancaire sur le caractère potentiellement exagérément contraignant de cet ensemble de normes sur l’offre de crédit des banques et sur les risques de fuite de l’activité vers des secteurs moins régulés. Alors que l’impact individuel des différents ratios a fait l’objet d’études (notamment De Nicolo et al (2014), Behn et al. (2019) and Covas and Driscoll (2014)) qui, dans l’ensemble, concluent que le calibrage actuel des ratios n’apparaît pas excessif, la littérature économique s’est peu penchée sur les effets combinés des normes de solvabilité et de liquidité, en raison de la faible profondeur historique des données, des délais et des effets d’anticipation liés à la mise en œuvre progressive et à la difficulté conceptuelle d’appréhender des interactions qui s’ajoutent aux effets individuels de chaque ratio. A titre d’illustration, le ratio de solvabilité, qui pondère les expositions des banques en fonction des risques, incite ces dernières à accroître leurs fonds propres lorsqu’elles détiennent des actifs plus risqués. Mais il peut également les inciter à détenir plus d’actifs dont les pondérations sont moins exigeantes en capital, comme le financement de l’immobilier par exemple, les détournant ainsi du financement des activités les plus productives. Le ratio de levier, qui ne prend pas en compte le caractère plus ou moins risqué des actifs, limite l’expansion excessive du bilan des banques mais les incite également à détenir relativement plus d’actifs risqués pour un montant de capital donné. C’est la raison pour laquelle le ratio de levier constitue un ratio complémentaire au ratio de solvabilité (« filet de sécurité ») ; l’application simultanée des deux ratios permet donc d’éliminer leurs effets contreproductifs par rapport à une situation où ils seraient appliqués individuellement.

Des ratios qui ne sont pas supposés être contraignants en même temps

Nous proposons, dans un document de travail récent (Clerc et al., 2025), une modélisation conjointe des contraintes réglementaires introduites par Bâle 3 et une estimation de l’effet des interactions de ces normes sur l’offre de crédit des banques.

L’idée que la mise en œuvre de Bâle 3 aurait entraîné un rationnement du crédit significatif en France apparaît a priori peu vraisemblable : à l’exception de quelques chocs exogènes tels que la pandémie de la Covid-19, la croissance des crédits au secteur privé a été constamment positive depuis le début de la mise en œuvre de Bâle 3 (graphique 1). En outre, au niveau agrégé, les exigences ne se sont pas avérées excessivement contraignantes pour les banques françaises, puisqu’en moyenne les ratios de solvabilité et de levier observés se sont constamment situés à des niveaux nettement supérieurs aux minimums réglementaires, même en début de période (graphique 2), notamment car les banques conservent un « coussin de sécurité » afin de respecter de façon permanente les contraintes réglementaires. La même observation peut être faite pour les deux ratios de liquidité (graphique 3).

 

Graphique 2 : Ratio de solvabilité pondéré par les risques et ratio de levier depuis 2014 (en %) 

Image Graph_T1_RW_LR_FR-2
Source : ACPR (54 banques françaises) ; calculs des auteurs

Graphique 3 : Ratios de liquidité LCR et NSFR depuis 2010 (en %) 

Image Graph_LCR_NSFR_FR-3
Source : ACPR (54 banques françaises) ; calculs des auteurs

Cependant, il est possible que le degré de contrainte varie en fonction du modèle d’activité de la banque, de la distance de celle-ci aux minimums réglementaires et de la position dans le cycle financier. Sur la base d’une approche théorique, nous tentons de mettre en évidence les conditions dans lesquelles un ratio serait plus contraignant qu’un autre sur l’offre de crédit.

Concernant les interactions entre ratio de solvabilité pondéré et ratio de levier, notre approche indique que l’influence relative de ces deux ratios sur l’offre de crédit dépend de la pondération moyenne des risques de crédit. En-deçà d’une valeur seuil de la pondération moyenne des risques, c’est le ratio de levier qui devient plus contraignant que le ratio de solvabilité pondéré. Sur la base des données disponibles, cette valeur seuil est estimée à 35,3% (en tenant compte du coussin de conservation de capital de 2,5%, les autres coussins et les exigences « dures » additionnelles au titre du Pilier 2 étant variables en fonction de chaque banque ou dans le temps) tandis que la pondération moyenne des risques des banques françaises depuis 2014 est comprise entre 28 et 34%. Ce résultat suggère que le ratio de levier serait plus contraignant que le ratio de capital en moyenne sur la période pour les banques françaises. Sur la période récente, une analyse des données portant sur la distance des ratios observés par rapport aux minimums réglementaires révèle que le ratio de solvabilité pondéré (avec ses coussins) est plus contraignant pour certaines banques françaises et que le ratio de levier l’est pour d’autres. Le même exercice peut être effectué pour la comparaison des effets du LCR et du NSFR.


Les interactions entre ratios ne pèsent que pour les banques les plus fragiles durant les périodes de stress

Dans Clerc et al. (2025), nous estimons un modèle empirique avec effets fixes, afin d’analyser l’effet conjoint des ratios pris deux à deux sur l’offre de crédit des banques. Nos données couvrent le panel de 54 banques françaises fournissant un reporting sur base consolidée sur la période 2014-2023 en données trimestrielles, soit 570 observations. Nous cherchons à expliquer l’impact sur la croissance des crédits au secteur privé non-financier (ménages + entreprises non-financières) des ratios bâlois pris deux à deux et de leurs interactions en contrôlant pour un certain nombre de variables économiques et financières (notamment des variables spécifiques à chaque banque -autres ratios réglementaires, taille de la banque, part des prêts dans le bilan, ratio de prêts non performants, rentabilité, des variables macroéconomiques, ainsi que des effets fixes individuels et temporels). Nous considérons que deux ratios sont complémentaires lorsque l’effet combiné des deux ratios, qui tient compte de leur interaction, est supérieur à la somme des effets individuels. Dans ce cas, le coefficient du terme d’interaction est du même signe que les coefficients de ces mêmes ratios pris individuellement. Ces ratios sont considérés comme (partiellement) substituables dans le cas contraire. Compte tenu de l’effet positif attendu des ratios individuels sur la croissance du crédit, on en déduit qu’un effet positif de l’interaction entre deux ratios reflète une relation de complémentarité, tandis qu’un effet négatif de cette interaction reflète une relation de substituabilité entre ratios.

Nos résultats indiquent que les interactions entre les différents ratios bâlois n’affectent aucunement la dynamique du crédit, sauf dans les situations très particulières d’épisodes de tensions financières et seulement pour les banques les plus fragiles (c’est-à-dire les moins capitalisées et les moins liquides). Ces banques sont en effet celles qui disposent de moins de coussins de sécurité au-dessus des normes réglementaires minimales. Elles s’avèrent donc davantage contraintes par l’effet combiné des différents ratios. Il en résulte, pour ces dernières, une progression moins dynamique de l’offre de crédit durant les périodes de stress financier.  En complément des ratios pris en compte dans notre étude, la réglementation bâloise a également introduit un « output floor », qui limite les gains relatifs en capital des banques utilisant l’approche fondée sur les modèles internes. La mise en œuvre de cette mesure débute en Europe dès 2025. Elle pourrait également interagir avec le ratio de levier car elle revient à accroitre les exigences en capital de certaines banques en limitant l’effet de la pondération des différents risques.

Mise à jour le 25 Avril 2025