Le taux de pénétration de l'assurance récolte est faible en France. Seules 13,3 % des exploitations agricoles étaient assurées en 2020, et les chiffres sont stables, voire en légère augmentation, par rapport aux 12 % de 2016. Pourtant, l'agriculture est une activité à risque et le climat, qui est à l'origine des variations annuelles de rendement, évolue vers des extrêmes plus fréquents. On peut donc se demander pourquoi la souscription d’assurance est si étonnamment limitée. Non seulement la nécessité d'une protection par l’assurance est évidente, mais les primes d'assurance sont fortement subventionnées et l'assurance a un impact positif net sur les revenus, selon la littérature. La principale motivation de cet article est de comprendre ce paradoxe.
Tout d'abord, nous réalisons une nouvelle évaluation de l'impact de l'assurance récolte sur la moyenne et la variance des revenus des agriculteurs afin de déterminer dans quelle mesure la souscription est un choix intéressant. Deuxièmement, nous expliquons le faible taux d'adhésion par une analyse des déterminants observables de la souscription à l'assurance-récolte. Nous allons au-delà de l'effet de traitement en explorant l'hétérogénéité dans la mesure où elle s'explique en partie par des éléments observables, comme prévu, mais aussi par des éléments non observables structurés. Troisièmement, nous effectuons des analyses contrefactuelles des politiques afin d'explorer leur efficacité à augmenter le taux d'adhésion et à produire des bénéfices élevés pour les agriculteurs.
Nous combinons diverses méthodes économétriques, y compris le modèle de sélection le plus flexible et le plus adéquat pour analyser, conjointement et distinctement, le choix et les bénéfices attendus : le cadre de l'effet marginal de traitement (« Marginal Treatment Effect », MTE) à la Heckman & Vytlacil. L'approche MTE n'a, à notre connaissance, jamais été utilisée dans le contexte de l'assurance-récolte. Elle permet des analyses contrefactuelles et fournit des informations clés sur les politiques appropriées pour maximiser l'adhésion à l'assurance et le bien-être social.
Grâce à notre méthodologie et à nos données, nos résultats sont donc plus précis, plus réalistes et plus faciles à mettre en œuvre que ceux des études précédentes. Nos résultats sont généralement conformes à la littérature antérieure en ce qui concerne les moyennes (c'est-à-dire que la souscription d'une assurance est généralement bénéfique pour les agriculteurs), mais les détails sont extrêmement intéressants et ils ont été négligés jusqu'à présent. Tout d'abord, nous montrons qu'en France, tout le monde ne bénéficie pas de l'assurance. Les grandes exploitations et celles qui adoptent d'autres comportements de protection tirent notamment des bénéfices beaucoup plus faibles, voire négatifs, de leurs souscriptions. Deuxièmement, nous constatons une sélection contraire où, dans la plupart des cas, les agriculteurs qui bénéficieraient le plus de l'assurance ont tendance à s'assurer le moins. Cette sélection est vérifiée à la fois selon les caractéristiques observables et aussi selon des caractéristiques inobservables, c’est-à-dire que même en conditionnant sur les caractéristiques observables, la sélection contraire se produit toujours, ce qui signifie qu'il existe des barrières non observables à la souscription (croyances, barrières non financières, etc.). Troisièmement, nous montrons que le niveau des subventions à l'assurance n'est pas la cause de la faible souscription d'assurance, car une augmentation des subventions à l'assurance n'entraînerait pas une forte augmentation de la souscription, et les agriculteurs nouvellement assurés ne tireraient en fait que peu d'avantages de leurs contrats. Au contraire, surmonter les obstacles non financiers à l'assurance (c'est-à-dire l'information, la paperasserie) en ciblant directement le score de propension (probabilité de s'assurer) semble être le meilleur moyen de résoudre ce problème. La poursuite d'un objectif de 100 % d'agriculteurs assurés n'est peut-être ni réalisable ni souhaitable, et il conviendrait plutôt de cibler les exploitations plus petites et plus spécialisées.
Pour réaliser cette analyse à grande échelle à travers la France métropolitaine sur une période de 20 ans, nous produisons un ensemble de données unique et très granulaire composé de données individuelles sur les agriculteurs. Cet ensemble de données combine plusieurs sources ; il comprend des variables agronomiques et financières provenant du Réseau d'Information Comptable Agricole français (qui fait partie du « European Farm Accountancy Data Network »), des données météorologiques à une résolution de 0,1°×0,1° (provenant de Copernicus) et des données administratives sur les catastrophes naturelles (provenant du réassureur public français, la Caisse Centrale de Réassurance).
Mots-clés : assurance, agriculture, effets marginaux de traitement, variable instrumentale.
JEL classification: G22; Q10; Q12; Q14