Interview

Radio Classique : « La Banque de France est indépendante. Pour réduire les incertitudes, il sera important que la France clarifie vite sa stratégie économique, en particulier sa stratégie budgétaire. »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 12 Juin 2024

François Villeroy de Galhau intervention

Le Gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale de Radio Classique

Le Gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale de Radio Classique

Passage de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale Radio Classique du 12 juin 2024.

David Abiker

Bonjour François Villeroy de Galhau. Merci d'être avec nous ce matin sur Radio Classique en direct. La Banque de France publie régulièrement une analyse de la situation économique française. Vous nous en livrez ce matin l'exclusivité et nous vous en remercions. Avant d'en parler, avant de parler des fondamentaux de l'économie française aujourd'hui et demain, une question s'impose. Avez-vous le sentiment que la période politique actuelle, celle qui s'est ouverte depuis dimanche, est un facteur de déstabilisation de l'économie française ?
 
François Villeroy de Galhau 

Avant de parler de la prévision, je veux rappeler une chose essentielle : la Banque de France est indépendante. Cela veut dire que la Banque de France appartient à tous les Français - elle est 100 % publique - et qu'elle représente tous les Français. La Banque de France n'a donc pas à faire de commentaires ou de spéculations politiques, elle n'a pas non plus à recevoir d'instructions politiques. C'est cela, l'indépendance. En revanche, elle doit des comptes aux Français : elle doit essayer d'éclairer l'environnement économique malgré l'incertitude autour de nous, c'est ce que nous faisons ce matin avec les prévisions. Et surtout, la Banque de France doit des résultats sur le mandat qui lui a été confié par la loi de la République. Notre mandat, c'est de garder la confiance dans l'euro, qui est soutenu par les trois quarts des Français, et de maîtriser l'inflation. 

J’ajoute que ces prévisions constituent une photo de l'économie française prise à fin mai, avant bien sûr l'annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Nous disions déjà qu'il y avait des aléas élevés autour de cette prévision : il y a évidemment l'incertitude géopolitique et les questions politiques en France, qui font partie de ces aléas, mais nous n’allons pas spéculer sur tel ou tel scénario. Je crois qu’il s’agit tout de même d’indications très intéressantes.
 
David Abiker

Les taux d'intérêt pourraient remonter en raison de cette incertitude politique. Est-ce une possibilité ? Est-ce que cela remet en question la baisse des taux d'intérêt décidée par la Banque centrale européenne il y a quelques jours ou pas ?
 
François Villeroy de Galhau 

Les taux d'intérêt français ont effectivement remonté depuis deux jours. Pourquoi ? Parce que les investisseurs n'aiment pas l'incertitude et qu'une période électorale s'accompagne toujours d'incertitudes. C'est le jeu de la démocratie. Mais il sera important que, quelle que soit l'issue du scrutin, la France puisse clarifier vite sa stratégie économique et en particulier sa stratégie budgétaire.
 
David Abiker 

C'est ce que réclame l'agence Moody's qui, elle aussi, est inquiète et dit : « il ne faut pas que la France renonce à ses objectifs économiques ».
 
François Villeroy de Galhau 

La Banque de France est indépendante, y compris de l'agence Moody's... Nous disons aujourd'hui que, sur la photographie à fin mai de l'économie française, il y a deux nouvelles plutôt positives. La victoire contre l'inflation est en bon chemin, ce qui explique d'ailleurs que la Banque centrale européenne ait commencé à réduire ses taux la semaine dernière. Moins d’inflation, cela signifie aussi plus de pouvoir d'achat et cela devrait nourrir une reprise progressive de l'économie française : c’est la deuxième tendance positive. Et puis nous avons deux sujets de fond à traiter, d’abord l'emploi, sur lequel nous avons fait collectivement, nous Français, des grands progrès depuis dix ans. Il faut aussi savoir dire ce qui va mieux dans notre pays. Et un sujet bien sûr qu'il faut traiter sérieusement aujourd'hui, ce sont les déficits et la dette publique. 

J'insiste sur la victoire en vue contre l'inflation. Souvenez-vous, début 2023, l'inflation en France était entre 6% et 7%. Les Français le voyaient sur les prix alimentaires, sur le plein d'essence à la pompe. Aujourd'hui, nous avons ramené l'inflation vers 2% et nous disons dans nos prévisions que l'inflation en France va passer sous 2% à partir de l'année prochaine, et même 1,7% en moyenne en 2025 et 2026. 
 
David Abiker 

Nous avions donc deux mères batailles depuis deux ans, la lutte contre l'inflation ; vous dites qu'on est en passe de la gagner. L'autre mère des batailles, elle durait depuis 40 ans, c'est la bataille contre le chômage et donc l'emploi. Est-ce que la France va vers le plein emploi ? Est-ce que malgré une croissance faible, la bataille de l'emploi est gagnée par la France ?
 
François Villeroy de Galhau 

En tout cas, dans la bataille de l'emploi, nous avons fait des progrès. Nous ne sommes pas au bout parce que notre taux de chômage est aujourd'hui entre 7% et 8% et il risque de remonter un peu compte tenu du ralentissement économique. Mais il faut se rappeler que dans le précédent ralentissement économique, en 2012-2013, le taux de chômage était au-dessus de 10 %, ceci donne la mesure de nos progrès. C'est le résultat de toute une série de dispositions prises par les gouvernements successifs et du fait que les entreprises ont embauché, que les Français sont plus qualifiés. Il y a 30 millions de Français au travail aujourd'hui, il n'y en a jamais eu autant. La force de notre économie, c’est d'abord notre travail, cela dépend de nous. Nous ne sommes pas au bout parce que malheureusement, il y a encore plus de deux millions de chômeurs. Et en face, plus d'un tiers des entreprises, 36 %, se plaignent de difficultés de recrutement, c'est un des résultats de l'étude que nous publions. Nous avons trop de chômeurs d'un côté et des difficultés de recrutement de l'autre. Cela renvoie à la grande bataille des compétences, de la qualification et de l'école.
 
David Abiker 

Est-ce que vous redoutez la suspension ou la mise en berne de la réforme de l'assurance-chômage ? Est-ce un sujet qui concerne le Gouverneur de la Banque de France ?
 
François Villeroy de Galhau 

La Banque de France se prononce toujours sur l'économie dans son ensemble, elle ne se prononce pas sur chacune des réformes prise isolément. Cela relève des choix politiques. Sur la dette, nous parlions des agences de notation tout à l'heure. La France n'est pas en faillite: nous sommes la septième économie du monde, nous avons des entreprises fortes, nous avons donc un certain nombre d'atouts. Mais il faut impérativement que nous réduisions progressivement nos déficits : notre déficit public à plus de 5 % du PIB est un des plus élevés d'Europe. Cela peut paraître abstrait mais cela a des conséquences très concrètes : si nous ne réduisons pas les déficits, notre dette va nous coûter de plus en plus cher ; ce sera le résultat mécanique de deux effets. D'abord, la taille de la dette augmente et ensuite le prix de la dette, c'est-à-dire les taux d'intérêt que nous payons, augmentent aussi. Le résultat pratique est que si la dette coûte de plus en plus cher, nous aujourd'hui et encore plus nos enfants demain, nous perdrons progressivement - comme une famille trop endettée - nos libertés de choix et notre souveraineté. Cela passe naturellement par des choix politiques : quelles sont les dépenses qu'il faut mettre en priorité, quelles sont à l’inverse les économies qu'il faut faire, quelle fiscalité? Mais il est essentiel que nous réduisions progressivement nos déficits : c’est la condition pour préserver notre souveraineté dans nos choix pour l’avenir.
 
David Abiker 

Si je vous avais posé la question sur le déficit du régime de retraite, vous m'auriez fait, j'imagine, la même réponse donc je ne vous la pose pas.
 
François Villeroy de Galhau 

Je ne veux pas commenter l'ensemble des réformes possibles. Ceci relève légitimement de choix politiques. Notre éclairage consiste à dire qu’il faut aujourd'hui réduire progressivement nos déficits avec un débat public à avoir. On parle des chiffres globaux mais très peu des priorités de dépenses. Est-ce le climat, l'éducation, la défense ? Et puis quels sont les endroits où on peut faire des économies ? Regardons ce qu'ont fait les pays européens autour de nous. Ils ont le même modèle social européen, j’y crois profondément, avec des services publics forts, avec moins d'inégalités, mais il leur coûte moins cher. Il y a donc des solutions efficaces à aller regarder chez nos voisins européens.
 
David Abiker 

Parlez-nous de la croissance. Elle est faible, elle est molle. Avons-nous l'espoir de renouer avec des taux de croissance qui redonnent confiance au pays ?
 
François Villeroy de Galhau 

Oui, il y a un espoir et c'est la deuxième nouvelle plutôt positive. Celle-là est probable alors que la victoire contre l'inflation est quasi certaine. L'espoir de reprise est la conséquence de la victoire contre l'inflation. Les salaires augmentant désormais en moyenne plus vite que les prix, cela fait du pouvoir d'achat et favorise une reprise de la consommation. Or la consommation est le premier moteur de la croissance. Si je devais résumer l'image sur notre activité, nous pourrions prendre trois R. L'économie française a échappé à la Récession, après le gros choc de l'invasion russe de l'Ukraine. Souvenez-vous il y a un an, un an et demi, on craignait beaucoup la récession. En fait, l’économie française a confirmé sa Résilience. La croissance n’est pas très forte mais elle est quand même positive: nous prévoyons 0,8% cette année. Et la prochaine étape est de passer à la Reprise soutenue par le pouvoir d'achat et la consommation. Nous prévoyons donc 1,2 % l'an prochain, 1,6 % en 2026 tout en ayant une réduction de ce fameux déficit budgétaire parce que c'est un sujet très sérieux pour l'intérêt national.
 
David Abiker 

Beaucoup de nos auditeurs ont peut-être un bien immobilier à vendre ou à acheter dans un marché qui jusqu'à présent semblait un peu gelé, un peu englué dans des sables mouvants. Est-ce que c'est le moment de s'endetter pour les acquéreurs ou est-ce le moment d'espérer pour les vendeurs ?
 
François Villeroy de Galhau 

Ce n'est pas à moi de dire aux vendeurs et aux acheteurs qui nous écoutent comment et quand réaliser leurs projets; mais il y a un certain nombre de conditions favorables. D'abord, les taux d'intérêt sur le crédit immobilier ont commencé à rebaisser un peu. Dans les chiffres que publie la Banque de France, il s’agit de moyennes, les taux sont passés de 4,2% en moyenne en janvier à 3,9% en avril, donc sous les 4%. Nous voyons aussi que les banques sont en posture de prêter. Il y avait la crainte, très répandue récemment, selon laquelle les banques ne prêtaient plus. 

Aujourd'hui, les banques souhaitent à nouveau prêter. Nous avons vu en avril un signal très encourageant, la production de crédit immobilier est repartie à la hausse, de près de 30 %, nous sommes à près de 9 milliards de crédits immobiliers nouveaux. Il faut évidemment que cela continue mais ce peut être un bon moment pour les Français pour réaliser leurs projets immobiliers.

David Abiker 

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, merci d'avoir été avec nous ce matin pour présenter les éléments en exclusivité de ces résultats mesurés par la Banque de France. Pour retrouver le détail des analyses économiques de la Banque de France, c'est simple : banque-France.fr. Merci Monsieur le Gouverneur.
 

Mise à jour le 25 Juillet 2024