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Ouest France : « Un net ralentissement plutôt qu’une récession »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 31 Août 2022
Ouest France
Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Vous qui avez le tableau de bord économique de la France sous les yeux concernant l’inflation, quels sont les indicateurs ?
Depuis le choc de la guerre russe en Ukraine, l’Europe fait face à plus d’inflation et à moins de croissance. L’activité reste plutôt résiliente, malgré le choc sur le prix de l’énergie et les matières premières: mais nous sommes encore loin d’être sortis de ce choc. C’est un coût significatif pour l’ensemble des entreprises et des ménages. Le vrai sujet est de savoir comment nous nous mobilisons pour le répartir de façon équitable, et pour renforcer la capacité de résistance de l’économie française.
L’inflation en France à fin août a un peu reculé, et est la moins élevée de la zone euro, à 5, 8% en indice “national” ou 6,5 % en indice européen harmonisé. La moyenne en zone euro atteint elle 9,1 % : on voit là l’efficacité des mesures dites de bouclier tarifaire prises pour protéger le pouvoir d’achat des Français.
Mais 6 % de hausse des prix, c’est trop. Nous sommes résolus à la Banque de France et la Banque centrale européenne, à combattre cette inflation et à la ramener vers 2 % d’ici 2024.
L’État doit-il continuer à creuser ses dépenses publiques pour absorber ce nouveau choc ?
Non, on ne peut pas faire porter intégralement ce choc par la dette publique, qui a atteint déjà des niveaux trop élevés. Ce nouveau choc est différent du Covid: moins violent mais plus durable. Il ne peut pas y avoir de « quoi qu’il en coûte » : chacun doit prendre un peu sa part de l’effort, en protégeant les plus défavorisés de nos concitoyens.
Quels sont vos outils pour abaisser l’inflation vers 2 % d’ici à 2024 ?
Cela consiste à « normaliser » la politique monétaire, c’est-à-dire sortir de taux d’intérêt exceptionnellement bas. Pour simplifier quand il n’y avait pas assez d’inflation, ce qui était la situation de l’économie jusqu’au choc COVID inclus, il fallait appuyer sur l’accélérateur, c’est-à-dire avoir une politique monétaire très accommodante, des taux d’intérêt très faibles et de l’injection de liquidités dans l’économie.
Quand il y a trop d’inflation comme aujourd’hui, la première chose à faire, c’est de lever le pied de l’accélérateur en ramenant les taux d’intérêt à un niveau normal ou « neutre ». Après un premier relèvement de taux en juillet, nous déciderons la semaine prochaine une nouvelle étape : nous devrons le faire avec détermination mais de façon ordonnée et prévisible.
La Banque de France a déjà pris des mesures pour freiner l’inflation. Observez-vous déjà des premiers effets ?
Les effets de ces mesures prennent du temps. Ce que nous commençons à voir, indépendamment, c’est que sur certaines matières premières hors énergie, les choses commencent à s’apaiser, voire à s’inverser. En revanche, l’inflation se diffuse sur le reste de l’économie, y compris sur le secteur des services. Ceci justifie notre mobilisation.
La spirale prix salaire est-elle enclenchée selon vous ?
Il y a des augmentations de salaire assez significatives dans les entreprises, et une hausse encore plus nette du SMIC. Mais il n’y a pas à ce jour de spirale prix salaire, au sens où réapparaîtraient des clauses d’indexation systématique. Ceci serait extrêmement défavorable pour tout le monde, car cela nourrirait durablement l’inflation. Or nous voulons au contraire la casser.
La lutte contre l’inflation en Europe et plus particulièrement en France, va-t-elle “faire souffrir les ménages et les entreprises” comme l’a déclaré le président de la FED Jérôme Powell, à Jackson Hole, samedi ?
Cette expression a été prononcée dans le contexte américain, et avec beaucoup plus de nuances. Soyons clairs. Il ne s’agit évidemment pas de faire souffrir les ménages ou les entreprises. Il s’agit de vaincre une maladie qui menace aujourd’hui tout le monde : l’inflation.
Si on la laissait s’installer trop longtemps, comme cela avait été le cas dans les années 70, avec un niveau à deux chiffres pendant plusieurs années, cela demanderait ensuite un coup de frein extrêmement brutal entraînant une récession forte, et une montée du chômage… C’est-ce que nous voulons éviter. Lorsque vous traitez à temps une maladie, le traitement est beaucoup moins lourd.
Comment se porte le crédit immobilier en France ?
Il y a une augmentation qui reste forte des volumes de crédits immobiliers. Selon les chiffres pour juillet que nous venons de publier, la croissance sur un an est de 6,4 %. Les taux remontent très progressivement mais ils sont en moyenne à 1,45% en juillet (hors frais et assurance). C’est moins que la moyenne de la zone euro, actuellement à 2 %. C’est beaucoup moins que ce que nous avons observé par le passé: sur les quinze dernières années en France, la moyenne des taux immobiliers, était à 2,7 %. Et c’est évidemment beaucoup moins que l’inflation. Cela reste donc des taux très favorables.
Le secteur immobilier est aujourd’hui correctement financé.
Dans quelle proportion les taux du crédit immobilier vont-ils remonter ?
Ils doivent remonter progressivement. Cela dépendra des banques et de la concurrence.
Le taux d’usure fait l’objet de nombreuses critiques. Est-ce que vous pouvez rappeler son intérêt ?
Le crédit immobilier est un sujet de préoccupation légitime des Français. La Banque de France y est très attentive. Le taux d’usure, c’est une législation qui est faite pour protéger les emprunteurs parce que c’est un taux plafond des crédits. Disons-le clairement : les prêteurs qui réclament un relèvement supplémentaire du taux d’usure sont ceux qui veulent pouvoir prêter plus cher aux Français.
Certains courtiers qui réclament ce relèvement de taux de l’usure avancent un taux d’éviction de plus de 40 % du crédit immobilier. Ces chiffres sont peu crédibles. D’ailleurs, aucune association représentant les emprunteurs et les familles n’a demandé le relèvement du taux d’usure. Nous sommes là aussi pour protéger les ménages et les emprunteurs.
Néanmoins, la production de crédit immobilier est en baisse. La production totale s’élevait à 26,8 milliards d’euros en mai contre 21,8 milliards d’euros en juillet…
C’est le chiffre de mai qui était exceptionnel ! Pour une raison assez logique, c’est que les Français attendaient une hausse des taux de crédit immobilier, et ils ont accéléré leurs projets.
Vous n’observez donc pas d’exclusion des ménages les moins aisés, ni des primo-accédants du crédit immobilier ?
Nous n’en voyons pas de signe convaincant. Nous restons néanmoins attentifs et si cela changeait, nous n’hésiterions pas à réagir. Les primo-accédants, qui sont souvent des ménages un peu moins aisés, gardent une part très significative dans les nouveaux crédits immobiliers, avec près de la moitié des nouveaux crédits à l’habitat pour l’acquisition d’une résidence principale, sur 2022.
La méthode de calcul du taux d’usure doit-elle être révisée ?
Elle est fixée par la loi. Le taux d’usure représente 4/3 de la moyenne des taux de prêt observés. Quand ces derniers remontent progressivement, comme c’est le cas, le taux plafond remonte lui-même progressivement comme fin juin, et à nouveau fin septembre. Il n’appartient pas à la Banque de France de changer la loi.
Comment se portent les entreprises françaises ?
Nous avons eu une bonne surprise sur l’activité au 2e trimestre puisque la croissance française a été de 0,5 % alors qu’on attendait moins de la moitié. Pour ensuite la période estivale, l’activité est porteuse dans le secteur des services grâce notamment au tourisme. Mais les entreprises font face à des problèmes variés d’offre, de capacité de production : difficulté d’approvisionnement, augmentation du prix des matières premières, et surtout problèmes de recrutement pour 58 % des entreprises!
Comment devrait se comporter la croissance au troisième trimestre ?
Elle devrait être légèrement positive. La Banque de France a fait en juin une prévision de croissance de 2,3 % pour l’ensemble de l’année 2022. Aujourd’hui, nous estimons que ce sera au moins ce chiffre. Les Français ont toujours envie de consommer, les entreprises ont toujours envie d’investir: la demande semble résister, mais il faut prendre au sérieux les problèmes d’offre. C’est pour cela que nous devons muscler l’économie française et européenne, c’est-à-dire renforcer notre capacité de production. C’est la priorité numéro 1.
Comment ?
Pour cela il y a trois transformations exigeantes à réussir. La transformation énergétique et écologique, afin que nous puissions diminuer notre dépendance aux énergies fossiles, et en particulier au gaz russe. La transformation numérique pour accélérer l’innovation. Le troisième enjeu concerne le travail et les compétences. Nous avons encore plus de 7 % de taux de chômage, dont hélas des centaines de milliers de jeunes peu formés … et en face, il y a des difficultés de recrutement qui n’ont jamais été aussi élevées. Même si l’emploi est en France à un plus haut historique, il nous faut donc encore développer l’apprentissage, la formation professionnelle, et bien sûr l’éducation …. C’est une bataille centrale pour muscler notre capacité productive et augmenter l’égalité des chances.
Les entreprises françaises sont particulièrement endettées, à hauteur de 2000 milliards d’euros, comparées à celles américaines ou allemandes. Comment l’expliquez-vous ? Avec la hausse des taux d’intérêt, n’est-ce pas inquiétant ?
La bonne nouvelle, c’est que la situation financière des entreprises est favorable à la sortie du Covid. Le “quoiqu’il en coûte” a été efficace pour cela. Le taux de marge des entreprises fin 2021 est à un niveau solide à 32%. Elles abordent donc cette nouvelle phase, faite de beaucoup d’incertitudes, avec une structure solide. Néanmoins, les fonds propres des entreprises ne sont pas assez développés en France comme en Europe. Ils sont pourtant la meilleure façon de financer leurs investissements, en particulier l’innovation.
Devons-nous redouter d’importantes défaillances d’entreprises prochainement ?
Globalement, non. Nous ne sommes pas face à un mur de la dette. Nous continuons à voir un taux de défaillance des entreprises qui est significativement inférieure à l’avant COVID. À fin juillet, un peu moins de 35 000 défaillances sur les 12 derniers mois ont été enregistrées par la Banque de France, contre plus de 50000 par an avant 2020. Il faut bien sûr rester attentifs aux difficultés de certains secteurs ou entreprises.
À propos des PGE, observez-vous des difficultés pour leur remboursement ?
En règle très générale, ce remboursement se passe bien. Cela doit continuer ainsi parce que si les PGE n’étaient pas remboursés, ce sont les contribuables qui devraient payer à la place des entreprises : c’est notre intérêt à tous. Il y a près de 700 000 PGE pour un montant global de 143 milliards d’euros. Or sur les difficultés de remboursement, nous avons reçu seulement un peu plus de 400 dossiers depuis le début de l’année.
Pour 2023, certains économistes parlent “de choc sur l’économie”, des politiques parlent plutôt de “graves crises à venir”. Comment qualifieriez-vous 2023 ?
Le rôle de la Banque de France, c’est d’apporter un éclairage indépendant et crédible plutôt que des formules choc. Nous vivons un temps de défis économiques et sur 2023, l’incertitude s’est accrue cet été à cause de la montée des prix du gaz et de l’électricité. Nous publierons d’ici mi-septembre nos prévisions pour la zone euro puis pour la France.
Une récession en Europe en 2023 est-elle envisageable ?
Pas sur 2022, très clairement. Pour 2023, rien ne peut être exclu dans la période de grandes incertitudes que nous vivons, mais nous nous attendons pour la France à un net ralentissement plutôt qu’à une récession.
Est-ce que selon vous, la bonne résistance de 2022 va permettre d’accumuler des forces aux ménages, aux entreprises pour affronter 2023 ?
C’est ce que l’on avait vu de 2021 sur 2022. Le rebond économique observé à la sortie de la crise Covid avait donné un élan très fort qui nous a aidés sur l’ensemble de l’année. Début 2023, il n’y aura pas le même élan pour l’économie française qui a commencé à ralentir, même si elle a résisté plutôt mieux que prévu.
Comment est le niveau d’épargne des Français ?
L’épargne supplémentaire accumulée durant la période Covid demeure aujourd’hui, pour environ 150 Mds. Pour les Français qui le peuvent, ils n’ont guère puisé dans leur épargne pour soutenir leur consommation en 2022. Cela reste donc un réservoir de croissance pour l’avenir. Mais d’expérience, l’épargne des Français ne diminuera que quand l’incertitude diminuera.
La situation économique et politique de l’Italie est chahutée. Sa crise de la dette peut-elle avoir des conséquences endémiques en Europe ? Comment y remédier ? D’autant plus que des fonds spéculatifs auraient déjà investi sur la vente à découvert de la dette italienne…
Face à ce que vous évoquez sur une éventuelle spéculation, notre Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé en juillet, la mise en place d’un instrument de protection (TPI). Il est destiné à protéger l’ensemble des pays de l’euro, pas seulement l’Italie, contre d’éventuels mouvements excessifs et injustifiés des marchés. L’annonce de cet instrument a eu un effet stabilisateur sur les coûts d’emprunt en Italie.
Concrètement, comment cela fonctionne ?
Pour l’instant, cela n’a pas eu à jouer. Mais si le Conseil des gouverneurs estimait qu’il y a des écarts de taux d’intérêt excessifs sur certains pays, nous aurions la capacité d’intervenir en achetant de la dette du pays considéré, tout en neutralisant les effets de ces achats afin de ne pas alimenter l’inflation. C’est un signal de solidarité fort: nous sommes unanimement engagés à protéger la zone euro.
Comment se porte l’activité économique dans l’Ouest et plus particulièrement en Bretagne où vous participerez au forum économique breton ce jeudi 1er septembre ?
La Bretagne suit les tendances nationales mais avec des indicateurs un peu plus dynamiques dans tous les grands secteurs dont les services, avec un tourisme très important. Comme ailleurs en France, la région fait cependant face à de fortes difficultés de recrutement. Le secteur agroalimentaire, particulièrement important pour la Bretagne, subit lui une forte hausse de ses prix de revient. On observe néanmoins un début d’amélioration sur le prix des matières premières, et la proportion d’industriels qui augmentent leur prix de vente a baissé depuis deux mois consécutifs.
Mise à jour le 25 Juillet 2024