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Le Télégramme : « Il faut un effort juste et partagé sur les dépenses »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 23 Janvier 2025
Entretien du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, au journal Le Télégramme du 23 janvier 2025
En fin d’année, avec la censure, plusieurs responsables politiques prédisaient un chaos économique. Le chaos n'est heureusement pas venu. C’était exagéré ?
D'abord, la Banque de la France, qui est indépendante, n'a pas à faire de commentaire politique. Quand vous regardez sur la plus longue durée la signature française, le taux auquel la France emprunte s'est significativement dégradé depuis début juin et la dissolution. Nous étions proches de l'Allemagne et assez éloignés de l'Italie. Depuis, nous nous sommes beaucoup éloignés de l'Allemagne et rapprochés de l'Italie. Cela veut dire un surcoût pour le financement, non seulement de la dette publique française, mais de tous les emprunts en France. Cela veut dire aussi que nous sommes menacés d'un changement de statut et d’une perte de crédibilité en Europe.
François Bayrou a réduit l'ambition de son prédécesseur Michel Barnier en tablant désormais sur un déficit public en 2025 à 5,4 % du PIB. La France ne risque-t-elle pas de se décrédibiliser vis-à-vis de ses partenaires européens et des marchés ?
J'avais eu l'occasion de dire ces dernières semaines qu'il fallait rester aussi proche que possible de 5 % et être en-dessous de 5,5%. Le Premier ministre a annoncé 5,4 % avec une prévision de croissance révisée à la baisse de 1,1% à 0,9 %. Ce qui a été dit va donc dans la bonne direction : il faut maintenant le faire, effectivement. L'ambition initiale du projet de Michel Barnier à 5% exactement devenait difficile parce que la croissance a été révisée à la baisse et qu'un certain nombre des mesures prévues ne peuvent plus être réalisées en raison du retard pris. Aujourd'hui, la France a besoin d'un budget qui réduise clairement le déficit par rapport à l'année précédente. L’intérêt national est de dépasser les divers intérêts personnels ou les zizanies partisanes. Quand la France se réunit, elle fait des merveilles. On l’a vu en 2024 avec les Jeux Olympiques et Notre-Dame.
Vous avez des doutes sur la capacité du gouvernement à atteindre ces objectifs ?
Le Gouvernement va devoir préciser, documenter, les mesures d'économies et fiscales. Ensuite, il faut que ce soit voté par le Parlement. Enfin, ce devra être exécuté dans la réalité au long de l'année. Parce que, malheureusement, les deux années précédentes, ce qui avait été voté n'a pas été réalisé. C'est la dérive découverte en 2023 et 2024.
A propos des mauvaises prévisions de Bercy, en particulier en 2024, Pierre Moscovici plaide pour qu’elles soient désormais confiées au Haut Conseil des finances publiques, qu’il préside, ou à tout le moins organiser un travail conjoint avec Bercy. C’est une bonne idée ?
Tout ce qui peut renforcer le Haut Conseil des finances publiques va dans le bon sens. Jusqu'où aller ? Il faut regarder les modèles des autres pays. Dans la plupart, la prévision de croissance est quand même un rôle du gouvernement. Au passage, il est bon que celui-ci vienne de retenir la prévision de la Banque de France, qui est une autorité indépendante et crédible.
En matière de déficit, on met beaucoup en avant l'exemple italien, qui doit passer de 7,2 à 3,8 % en un an. Pourquoi l'Italie réussit là où la France échoue ?
En Italie, il y avait des éléments de déficit exceptionnels avec une mesure qu'on appelle super bonus. C’était un crédit d'impôt, (trop) généreux, pour des travaux de rénovation, qui a été arrêté. Mais globalement, l'Italie est en situation d'équilibre et même d'excédent primaire, c'est-à-dire le budget hors charges d'intérêts Ce doit être un signe d’encouragement pour nous. La plupart de nos voisins ont réussi à régler leurs problèmes de finances publiques sans mettre en cause le modèle social européen. En France, nous devons arriver à cet équilibre primaire d’ici 2029, ce qui suppose de ramener le déficit budgétaire total à 3 % en 2029. Nous stabiliserons alors enfin le poids de la dette par rapport au PIB. Cela passe par une meilleure maîtrise des dépenses, qui n'est pas l'austérité. Nos dépenses publiques sont les plus élevées d'Europe et du monde, mais elles ont encore augmenté l’an dernier d’environ 2 % en volume après inflation. Il faudrait ramener cette hausse vers zéro. Cela veut dire qu'il faut un effort juste et partagé sur toutes les dépenses : l’Etat, mais aussi les dépenses sociales et les collectivités locales.
Le Gouvernement table sur 30 milliards d’économies et 20 milliards de recettes supplémentaires. C’est un bon équilibre ?
Pour 2025, la marche est plus haute parce qu'on a beaucoup dérivé ces dernières années. Mais pour les années suivantes, il faudra 15 à 20 milliards d’économies par an. C'est quelque chose qui est accessible dès lors que tout le monde s'y met. C'est pour cela que je parle d'un effort juste et partagé. Pour l'instant, il porte essentiellement sur l'Etat, or celui-ci représente seulement 36% du total des dépenses publiques, et 12% seulement de leur augmentation l’an dernier. L’idée n’est pas de dire que les collectivités locales, par exemple, sont mal gérées. Les élus locaux ont un engagement remarquable. Mais il peut y avoir un effort pour freiner l'augmentation des dépenses des collectivités locales et tout autant des prestations sociales.
Les collectivités locales avaient déjà très mal vécu d’avoir été pointées du doigt par Bruno Le Maire l’an passé…
Nous sommes tous inquiets du problème de la dette et cela a d'ailleurs des conséquences économiques. Car cette inquiétude retarde les investissements des entreprises et la consommation des ménages. Mais chacun considère que la solution est chez les autres. Tout le monde est pour les économies de dépenses, mais jamais chez lui. Plus l’effort sera partagé, plus il sera facile à faire car il sera limité. Viser la stabilisation des dépenses en volume, ce n’est pas un recul, ni des effectifs, ni des investissements. Il faut simplement faire des choix de priorités.
Vous dites que ce n’est pas de l’austérité. A quel niveau considère-t-on que nous sommes dans une politique d’austérité ?
Ce serait un recul général des dépenses publiques. Ce n'est pas le cas : il s'agit de viser une meilleure efficacité. Il y a un écart d'un peu plus de neuf points de PIB entre le total des dépenses publiques en France et la moyenne des autres pays européens. Neuf points de PIB, ce sont 260 milliards d'euros chaque année. Il y a donc certains gisements d’amélioration.
L'inflation est désormais revenue à un niveau normal. Mais certains craignent que la hausse des prix aux Etats-Unis migre vers la France. Ils ont raison ?
Nous restons vigilants. Le programme de M. Trump semble, c’est vrai, plutôt inflationniste aux Etats-Unis. Mais il ne devrait pas y avoir de conséquences inflationnistes significatives en Europe. Nous avons déjà baissé nos taux directeurs de 4 % à 3 % l'année dernière. Pour la suite, nous aurons cette discussion au Conseil des gouverneurs de la BCE avec Christine Lagarde la semaine prochaine. Nous sommes en « période de silence » sur les taux à venir.
Cette baisse des taux directeurs a eu des conséquences sur les crédits à l’immobilier, dont le taux moyen est aujourd’hui de 3,4%. Les acquéreurs peuvent-ils espérer un jour un retour à 1%, comme il y a quelques années ?
C'était une période absolument exceptionnelle. On ne reviendra pas vers ces taux ultra-bas. Mais un taux de crédit immobilier entre 3 et 3,5% est proche des moyennes historiques.
Sur vos préconisations, le Gouvernement a annoncé que le taux du livret A sera ramené de 3 à 2,4 % à compter du 1ᵉʳ février. Celui du livret d'épargne populaire de 4 à 3,5 %. Ce sont des mauvaises nouvelles pour les épargnants.
C'est une bonne nouvelle pour l'économie parce que cela soutient le financement du logement social, les crédits aux collectivités locales et les crédits aux PME. Tous ces taux dépendent du taux du livret A. C’est aussi je crois une bonne nouvelle pour les épargnants car, entretemps, l’inflation a beaucoup baissé : à 2,4%, ce taux reste très supérieur à l'inflation, qui est d’1,3 %. J'ai proposé en outre qu'on donne une prime très forte au taux d'intérêt du livret d'épargne populaire. À 3,5%, c’est presque trois fois l’inflation. Le livret d’épargne populaire est potentiellement très intéressant pour 19 millions de Français. Or un peu moins de douze millions aujourd'hui en détiennent un. Bercy va relancer une campagne d'information des contribuables pouvant en bénéficier. Les banques peuvent et doivent se mobiliser pour promouvoir davantage ce LEP. Pour l’épargne populaire, c'est la meilleure opportunité.
Une croissance inférieure à 1%, comme vous le prévoyez pour 2025, cela reste faible en comparaison d'autres pays, comme les Etats-Unis.
La France a créé plus de 2 millions d'emplois depuis dix ans et plus d’un million depuis cinq ans. Il faut être attentif à la remontée modérée prévue du taux de chômage, entre 7,5 et 8 %. Mais dans le précédent ralentissement économique, il y a dix ans, on était à plus de 10 %. En matière de croissance, la France a fait plutôt mieux ces deux dernières années que la moyenne européenne.
C'est donc un problème européen ?
Oui, c'est un problème de toute l'Europe, y compris la France. Il faut vraiment que l'Europe se mobilise pour accélérer son innovation, ses investissements et du coup sa croissance. Il faudrait muscler davantage l’économie européenne, et pour cela prendre le meilleur de l'économie américaine. Il faut d’abord intégrer plus le marché unique européen, qui pèse autant que le marché américain. Mais il est beaucoup moins attractif parce qu'il est beaucoup plus divisé, cloisonné.
Cela signifie quoi concrètement ?
Diminuer un certain nombre d'obstacles qui existent, notamment dans le domaine des services à l'intérieur des frontières intérieures européennes. On peut gagner plusieurs points de croissance selon le FMI. Il faut aussi investir plus, notamment pour la transition climatique. Le rapport Draghi le dit fortement. Une partie doit être financée par des emprunts publics, mais l'essentiel doit être financé par de l'épargne privée. Il faut enfin innover plus. Regardez le numérique, tous les grands champions sont Américains. L’une des raisons qui freinent l'innovation en Europe, c'est l’excès de bureaucratie. Dans le rapport Draghi, il y a un appel à la simplification très bienvenu. Toutes nos normes ont des bonnes intentions, mais leur accumulation est devenue insupportable pour les PME, pour nos concitoyens.
On entend ça depuis des années…
Oui mais il est temps d'arrêter de parler. Il faut agir. On sait ce qu'on a à faire et ce sera efficace pour la croissance.
Mais cela prend du temps.
Raison de plus pour commencer dès cette année ! La concurrence américaine que vous releviez va devenir encore plus forte avec l'administration Trump. Raison de plus pour que l’on se réveille. La façon dont l'Europe se renforce est entre nos mains à nous.
Vous êtes optimiste ?
Il faut être déterminé. Quand nous, Français, travaillons ensemble, nous étonnons le monde. Mes collègues européens ou internationaux sont admiratifs de ce que nous avons fait aux JO ou à Notre Dame. Mais ils se demandent pourquoi ce pays qui réussit à faire des choses aussi incroyables, presque impossibles, n’est pas capable de régler ses problèmes budgétaires. La situation est difficile, bien sûr. Je pense en particulier aux chefs d'entreprise qui subissent toutes ces incertitudes. Mais nous avons les solutions.
Le 18 janvier, la Banque de France a fêté ses 225 ans. Vous avez rappelé lors de vos vœux qu'au moment de sa création, Bonaparte employait l'image d'une masse de granit qu’il voulait jeter sur le sol de France pour stabiliser les grains de sable. Le granit, on en a beaucoup en Bretagne. Pensez-vous donc que la région puisse être un modèle pour la France ?
Ah oui, au-delà même du granit ! (sourire) Regardez la façon dont la Bretagne, depuis plusieurs décennies, est passée à la pointe de la croissance française, du dynamisme de la démographie, de l'aménagement du territoire. C'est un exemple formidable ! Je rencontre très régulièrement sur le terrain les entrepreneurs. J’ai encore le souvenir du tour que j'ai fait des quatre départements bretons à l'été 2022. Même si les entrepreneurs bretons, dans l'agroalimentaire, dans le bâtiment, dans le tourisme, ne sont pas à l'abri d'un certain nombre de difficultés. Mais leur volonté d'aller de l'avant et la grande capacité en Bretagne à jouer collectif sont frappantes.
Hervé Mattei, directeur régional de la Banque de France en Bretagne, va prendre sa retraite. Par qui est-il remplacé ?
J'ai nommé pour la Bretagne une femme de très grande qualité, Claudine Hurman. Elle a déjà été directrice dans le réseau, à Angers. Elle est aussi une grande spécialiste des paiements et de leur numérisation. Elle connaît donc bien l'innovation et c'est une femme de grande qualité humaine et professionnelle.
Elle s’inscrira dans les pas d’Hervé Mattei ?
Oui, un directeur régional avec qui j'ai beaucoup travaillé. Vous savez comme il est attaché à la Bretagne et combien il a apporté dans ses presque six années à Rennes. Je l’en remercie chaleureusement.
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Mise à jour le 23 Janvier 2025