Interview

Le Parisien : « Il faudra lever le tabou sur les hausses d’impôts »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 18 Septembre 2024

François Villeroy de Galhau – Interventions

Interview du Gouverneur de la Banque de France au journal « Le Parisien » du 18 septembre 2024

Vous publiez vos prévisions économiques de la France pour 2024-2026. Sont-elles bonnes ?


FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU : Il y a une bonne nouvelle confirmée, c’est le recul de l’inflation. À la fin août, la hausse des prix est revenue en dessous de 2 % dans l’indice national. On sera bien durablement à notre cible de 2 % au premier semestre de l’an prochain. La conséquence favorable, c’est que même si ce n’est pas encore la perception, le pouvoir d’achat des Français s’améliore progressivement : désormais les prix augmentent moins vite que les salaires. Ceci devrait nourrir la consommation et donc la croissance économique. Nous restons cependant prudents : l’économie française résiste avec une croissance un peu supérieure à 1 % mais nous ne voyons pas encore une reprise nette. Il y a un certain attentisme aussi bien des ménages que des entreprises qui tient à l’incertitude autour du contexte politique et international.

Une bonne nouvelle aussi au niveau du chômage : vous prédisez qu’il y en aura moins que prévu…

Si on regarde sur le temps long, les réformes faites depuis dix ans paient. La France est le grand pays européen qui a créé le plus d’emplois. Sur le temps court, le taux de chômage remonte un peu, mais moins que nous ne le craignions. On devrait se situer autour de 7,5 %. L’emploi va marquer une pause en 2025 mais devrait reprendre en 2026.

À la fin du quinquennat, nous n’atteindrons donc pas le plein-emploi, c’est-à-dire 5 % ?

Le temps de l’économie n’est pas celui des élections. Le ralentissement économique diffère un peu la perspective du plein-emploi, mais cela doit rester notre ambition dans cette décennie. Et cela changerait tout : le plein-emploi, c’est du pouvoir d’achat supplémentaire, une meilleure cohésion sociale. Et cela permettrait de muscler notre économie parce que la France aurait plus de talents au travail.

Quelle réforme est nécessaire pour y parvenir ?

La clé, c’est l’éducation et les bonnes compétences. Il y a encore plus de 2 millions de chômeurs et pourtant plus d’un tiers des entreprises ont des difficultés de recrutement ! Pourquoi un tel écart ? Parce que souvent ces demandeurs d’emploi n’ont pas été formés aux compétences nécessaires. De gros progrès ont été réalisés sur l’apprentissage pour les jeunes mais il faut poursuivre sur la formation professionnelle des adultes. Et sur le long terme, l’école est la mère de toutes les batailles.

« L’économie française sort de la maladie aiguë dont elle souffrait depuis deux ans : l’inflation. Il faut maintenant s’occuper de nos deux maladies chroniques, à savoir trop de dette et pas assez de croissance. »
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Le niveau de la dette vous inquiète-t-il ?

L’économie française sort de la maladie aiguë dont elle souffrait depuis deux ans : l’inflation. Il faut maintenant s’occuper de nos deux maladies chroniques, à savoir trop de dette et pas assez de croissance. Les déficits et la dette nous coûtent de plus en plus cher. Sur les seuls intérêts de la dette — je ne parle même pas de son remboursement — nous allons dépenser plus que pour l’école ! Si on continue ainsi, on condamne le futur de la France et la liberté des Français. Le déficit doit donc revenir sous les 3 %. Mais en trois ans, d’ici 2027, ce ne serait pas réaliste et cela mettrait un coup d’arrêt à la croissance. Mieux vaut se fixer un cap de cinq ans, qui reste compatible avec les règles européennes. Il est temps de parler avec vérité, puis de tenir nos engagements avec crédibilité.

Comment réduit-on le déficit ? En baissant les dépenses ou en augmentant les impôts ?

Pour commencer à réduire la dette comme l’ont fait la plupart de nos voisins, il faut trouver 100 milliards d’euros sur cinq ans, soit 20 milliards d’euros par an. L’essentiel de cet effort doit être fait sur les dépenses. Nous avons le même (bon) modèle social que nos voisins européens, mais il nous coûte beaucoup plus cher, 10 % de notre PIB en plus, soit un écart de près de 300 milliards d’euros chaque année ! La reconduction provisoire des réductions de dépenses de l’État est un bon début, mais pas très satisfaisant. L’effort doit être juste et partagé, y compris sur certaines dépenses sociales et locales. Mais il faudra aussi à titre complémentaire lever le tabou sur les hausses d’impôts, sans toucher si possible les classes moyennes ni les PME.

Les impôts ont-ils trop baissé depuis 2017 ?

La France n’a plus les moyens de ces baisses d’impôts non financées. Elles creusent encore plus les déficits ce qui augmente l’inquiétude des Français, des acteurs économiques. Cela n’apporte pas du coup la stimulation attendue.

Les plus aisés en paient-ils suffisamment ?

Je me méfie des jugements généraux. Mais dans la justice fiscale, un effort exceptionnel et raisonnable sur certaines grandes entreprises et certains gros contribuables ne doit pas être exclu, tant qu’on n’est pas revenu sous 3 % de déficit.

À quels avantages fiscaux faut-il s’attaquer ?

Ce sera au Parlement de choisir. Mais certaines niches fiscales profitent plus aux grands groupes et aux ménages les plus favorisés. Et certaines exonérations « brunes » (sur les carburants) encouragent en fait la consommation d’énergie fossile.

Faut-il revenir sur des niches fiscales comme la TVA à 5,5 % dans la restauration ?

La Banque de France n’est pas le ministère des Comptes publics. Mais de façon générale, il vaut mieux qu’un impôt ait une assiette large — sans trop de trous et à taux plus bas.

Où trouve-t-on 20 milliards d’économies par an ?

On doit améliorer l’efficacité des dépenses de fonctionnement tout en préservant les dépenses qui préparent l’avenir. Il ne s’agit d’ailleurs pas de faire globalement reculer les dépenses — ce n’est pas l’austérité —, mais de freiner enfin leur croissance. Il faut également accélérer sur la simplification. Chaque norme est justifiée, mais leur accumulation bureaucratique ne l’est plus du tout. C’est une attente extrêmement forte de nos concitoyens et des entrepreneurs. Cette simplification ne coûte rien et peut même rapporter.

Pensez-vous que l’Assemblée nationale arrivera à s’entendre sur la réduction de la dette ?

C’est une inquiétude croissante des Français. On leur doit le respect, et donc de répondre à leur attente. Les respecter, c’est dire la vérité : on ne peut plus continuer de creuser la dette. Si chaque camp pense avoir à lui seul la solution miracle, on n’y arrivera pas. Il faut combiner réduction des dépenses — pour des raisons pratiques, pas idéologiques — et certaines mesures fiscales. Soit on continue à se jeter des remèdes simplistes et des lignes rouges à la figure, soit on se met au travail autour de compromis.

À quoi pensez-vous ?

Il y a un risque que les discussions politiques de court terme, certes légitimes, nous fassent oublier les actions de long terme. Or, nous devons vraiment muscler la capacité de production de notre économie. Le rapport récent rendu à la Commission européenne par Mario Draghi (ancien président de la BCE) dresse le diagnostic : l’Europe est en train d’accumuler un retard grave par rapport aux États-Unis et à l’Asie. Le réveil passe par trois grands axes : l’innovation et les start-up, la transition énergétique et la simplification de la bureaucratie. Il serait bon que la politique française s’en inspire. Mettons-nous autour d’une table, et essayons de dégager trois ou quatre réformes prioritaires et sans doute assez consensuelles. L’école en fait bien sûr partie.

Avez-vous été approché pour entrer au gouvernement ?

Je suis très heureux à la Banque de France et je crois y être utile pour servir l’intérêt général.

Les Français épargnaient en moyenne 14 % de leur revenu avant le Covid. C’est aujourd’hui 17 %. Est-ce qu’ils mettent trop d’argent de côté ?

Au moment du Covid, c’était une épargne forcée : nous ne pouvions plus consommer. Aujourd’hui, l’épargne n’est pas revenue au niveau pré Covid et il reste donc un supplément d’épargne dans l’économie française : ceci freine la reprise de la consommation et donc de l’économie. La baisse des taux d’intérêt devrait aider à réduire ce surplus. Mais c’est surtout le retour de la confiance qui va être la clé pour que les Français épargnent un peu moins : lever leurs incertitudes actuelles, en donnant vite de la clarté économique et budgétaire.

Les taux d’emprunts, dans la lignée des taux de la BCE, devraient baisser. La crise immobilière est derrière nous ?

Les taux ont baissé d’à peu près 0,5 % depuis le début de l’année, en passant de 4,1 % à 3,6 % en moyenne. Les Français se remettent du coup à emprunter : en juillet, il y a eu une forte augmentation de la production de crédits immobiliers à un peu plus de 11 milliards d’euros. Reste sans doute pour surmonter la crise du logement à travailler sur d’autres freins que le crédit : les normes, la rareté du foncier, ou certaines locations de tourisme…
 

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Mise à jour le 18 Septembre 2024