Interview

La Montagne : « La dette ne peut pas continuer à croître de la sorte »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 23 Septembre 2024

François Villeroy de Galhau – Interventions

Interview du Gouverneur de la Banque de France au journal « La Montagne » du 23 septembre 2024.
 

Les déficits publics qui continuent de s’accumuler à près de 6 % par an inquiètent le gouverneur de la Banque de France. À l’occasion d’un déplacement dans le Puy-de-Dôme ce lundi, François Villeroy de Galhau livre à La Montagne son sentiment sur la situation.

 « Il faut être clair, l’accumulation des déficits publics justifie la forte mobilisation du nouveau gouvernement de M. Barnier. La dette ne peut pas continuer à croître de la sorte, et à nous coûter de plus en plus cher. Il faut revenir en dessous de 3 % de déficit, pas seulement pour être en accord avec les règles européennes, mais parce que c’est le niveau qui permettra de stabiliser le poids de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB). »
Comment y parvenir ? Le gouverneur dessine une voie qu’il estime raisonnable : « Passer de près de 6 % de déficit public à 3 % nécessite environ 100 milliards d’euros d’effort. Certains disent qu’il faudrait y parvenir d’ici 2027. Ce n’est pas crédible ni sage : fixons plutôt un cap sur cinq ans, soit un effort de 20 milliards par an. Il faudra pour cela une négociation avec la Commission européenne, mais qui peut aboutir si notre pays mène parallèlement des réformes et tient enfin ses engagements. » 


Au-delà du calendrier se pose la question des leviers à activer. « Chaque camp s’invective en plaidant soit des économies de dépenses publiques, soit des hausses d’impôts. Le bon sens serait de viser une combinaison bien proportionnée des deux, poursuit François Villeroy de Galhau. La priorité, ce doit être l’action sur les dépenses publiques, pour au moins les trois quarts de l’effort. Notre problème est en effet d’abord que notre modèle social et public coûte bien plus que chez nos voisins qui obtiennent pourtant à peu près les mêmes résultats. Pour trouver ces 15 milliards par an, il ne s’agit d’ailleurs pas de faire reculer les dépenses – ce n’est pas l’austérité – mais de freiner enfin leur croissance. C’est exigeant car il y a des facteurs de hausse comme le vieillissement de la population, les enjeux du climat ou de défense nationale ; mais on peut par exemple gagner en efficacité sur nos dépenses de fonctionnement – État comme collectivités locales –, ou sur certaines subventions. »


Pour le quart restant de réduction des déficits publics, on ne devrait selon le gouverneur de la Banque de France pas exclure l’impôt. « On peut travailler à certaines hausses d’impôts ciblées et justes. Ciblées car elles ne devraient toucher ni les classes moyennes ni les TPE-PME : sinon on nourrirait leur défiance et un certain attentisme économique.  Mais on peut réduire certaines niches fiscales qui profitent davantage aux plus favorisés ou vont à l’encontre de la transition écologique. Et à titre complémentaire et temporaire, on ne doit pas exclure un effort raisonnable des plus gros contribuables et des grandes entreprises. »
François Villeroy de Galhau le martèle, « il faut répondre à l’inquiétude de nos compatriotes sur la dette ». Et de se référer, pour espérer avancer, à l’esprit olympique de cet été. « Au moment des JO, les Français ont su s’unir et étonner le monde. Aujourd’hui, que le monde politique évite de nous jouer “Astérix et la Zizanie”. Mieux vaut s’asseoir autour de la table et travailler ensemble pour des solutions concrètes. C’est ce qui se passe ailleurs en Europe. »

Le gouverneur de la Banque de France effectue ce lundi sa première visite sur le chantier de la future imprimerie de Longues, à Vic-le-Comte, projet baptisé Refondation et qui représente un investissement de plus de 250 M€. 

Le chantier de Refondation avance-t-il comme prévu ? 
François Villeroy de Galhau : Oui ! Les travaux ont commencé en novembre dernier et l’inauguration est programmée au premier semestre 2026. Je rappelle qu’il s’agit du plus gros investissement de l’histoire de la Banque de France, soit un peu plus de 250 M€. Cela montre l’importance que nous accordons à l’activité fiduciaire et au fait de conserver dans le Puy-de-Dôme un pôle public de fabrication de billets. C’est une question de souveraineté.

Quelles seront les caractéristiques de la nouvelle imprimerie ? 
Elle constituera, avec la papeterie déjà présente, le pôle industriel le plus moderne et le plus écologique d’Europe. Nous allons gagner 20 % de capacité de production en passant à au moins 2,8 milliards de billets fabriqués par an. Mais l’imprimerie devra aussi être plus compétitive, en comparaison avec les producteurs privés. Et pour ce qui est de l’environnement, nous allons diminuer fortement nos consommations d’énergie et d’eau, et viser une réduction de 50 % de nos émissions de CO2.

Quand commencera la fabrication de billets à Vic-le-Comte ? 
Les travaux s’achèveront début 2026 avec la phase de réception. Puis il y aura celle de l’installation des équipements dans l’usine, avec un début de production et un transfert des matériels de Chamalières d’ici 2027. Nous profitons de Refondation pour renouveler en partie nos machines. Durant la phase de transfert, la production de billets continuera bien sûr, entre les deux sites.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que les billets sont en voie de disparition ?
Ils se trompent : il faut distinguer deux usages des billets. L’usage comme moyen de transaction [chez les commerçants] continue certes à reculer, mais reste un droit très apprécié : la Banque de France a donc décidé de maintenir au moins une caisse de tri par région pour les dix ans à venir. Et il y a l’usage comme moyen de détention, le stock de billets, qui ne diminue en rien : il est stable dans la zone euro et augmente sur d’autres monnaies. Près de la moitié de la détention de billets en euros se situe en dehors de la zone euro, signe de confiance en notre monnaie. C’est cette demande de stock qui est déterminante pour l’imprimerie. Je le redis : la Banque de France n’abandonnera jamais les billets.

Quelles sont les perspectives pour la future imprimerie ? 
En moyenne, nous imprimons actuellement la moitié des billets en euros, l’autre moitié en devises étrangères, avec deux principaux clients étrangers : la BCEAO pour l’Afrique de l’Ouest et la BEAC pour l’Afrique Centrale. Avec un outil plus compétitif, nous ambitionnons de gagner davantage de marchés à l’export. Sur l’euro, nous avons avec la Banque centrale européenne lancé une réflexion sur une nouvelle série de billets qui porteraient plus d’éléments de sécurité et de vraies illustrations de l’Europe. Cette réflexion pourrait aboutir dans deux ans, ce qui conduirait à imprimer de nouveaux billets.
 

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Mise à jour le 23 Septembre 2024