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France Inter : « Pour maîtriser notre dette, il faut à la fois arrêter la croissance des dépenses et augmenter la croissance de l’économie »
Intervenant

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 14 Mars 2025

Interview du gouverneur de la Banque de France dans la matinale de France Inter le vendredi 14 mars 2025
France Inter : « Pour maîtriser notre dette, il faut à la fois arrêter la croissance des dépenses et augmenter la croissance de l’économie »
ALI BADDOU
Nous recevons ce vendredi 14 mars, dans le Grand Entretien, avec Marion L’HOUR, un grand serviteur de l'État, il est gouverneur de la Banque de France. Vos questions, vos interventions, chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'appli Radio France. François Villeroy de Galhau, bonjour.
Marion L’HOUR
Bonjour.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Bonjour Ali Baddou et Marion L’Hour.
ALI BADDOU
Bienvenue. La Banque de France a publié ses projections, c'est un rapport très attendu, à chaque fois il est scruté minutieusement, c'est un document technique mais qui a des conséquences ou qui indique à quoi ressemblera très concrètement la vie quotidienne des Français. On va rentrer dans le détail, mais d'abord de manière macroscopique, macroéconomique comme on dit, comment qualifier l'état de l'économie française, François Villeroy de Galhau aujourd'hui ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Dans les incertitudes du moment, il y a une impression de grand brouillard et peut-être même de tempête. Le rôle de la Banque de France avec son indépendance, avec la compétence des 9 000 hommes et femmes qui sont sur le terrain, c'est d'essayer d'éclairer le paysage économique. Si je devais résumer, je dirais qu'il y a du bon, du très mauvais et un espoir. On peut peut-être commencer par le bon.
ALI BADDOU
D'un mot, avant de rentrer dans le bon, le moins bon et ce qui peut me permettre d’espérer…
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Oui, le moins bon, et même le très mauvais, c'est la politique de M. Trump et l'espoir, c'est l'Europe, mais on va y revenir.
ALI BADDOU
Le maître mot pour vous, c'est l'incertitude. Nous sommes dans une période d'incertitude.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
C’est même plus que de l'incertitude, c'est de l'imprévisibilité causée par les politiques américaines. Qu'est-ce qui est solide là -dedans ? Cela, c'est le bon : c'est la victoire en cours contre l'inflation. Nos prévisions les confirment. L'inflation est revenue autour de 1 % en France. Elle va revenir vers 2 % en moyenne européenne. Je sais que ceux et celles qui nous écoutent pensent que le niveau des prix cumulés sur plusieurs années a augmenté. C'est vrai. On ne reviendra pas en arrière sur les prix, mais pendant ce temps-là , les salaires, les retraites, les prestations sociales ont aussi augmenté.
ALI BADDOU
Mais c'est le reflux des prix de l'électricité, notamment, et de certains services.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Le reflux des prix de l'électricité a aidé en France. C'est pour cela que l’inflation est moindre que la moyenne de la zone euro. Mais il y a aujourd'hui une sagesse plus grande du prix des services, du prix de l'alimentation. Cela a deux conséquences...
ALI BADDOU
Oui, mais est-ce que vous diriez aujourd'hui que l'inflation est vaincue ? Ceux qui nous écoutent ont envie de le savoir.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je dirais en gros, oui, la victoire est assurée.
ALI BADDOU
En gros, ça ne ressemble pas à votre vocabulaire extrêmement rigoureux et précis, François Villeroy de Galhau.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je vais donc prendre un vocabulaire très rigoureux et précis : la victoire est assurée en France, et c'est important ; et elle est en cours, très prochaine en Europe. Cela veut dire que nous allons ramener l'inflation à 2 % en Europe dans le courant de cette année. On est à 2,4 % aujourd'hui, en Europe. Il y a deux conséquences positives très importantes pour les Français. La première, c'est que cela nous permet, à nous Banque centrale européenne et Banque de France, de baisser les taux d'intérêt. Cela se voit par exemple dans le crédit immobilier. Il y a un an, les taux en moyenne du crédit immobilier étaient à 4,2 %. Sur le mois de janvier 2025, ils sont à 3,3 %. Et les Français ont d'ailleurs bien observé cette baisse : ils sont intelligents et aujourd'hui, ils empruntent plus. L'autre conséquence positive, c'est qu'on voit revenir du pouvoir d'achat sur les salaires, c'est-à -dire que depuis l'année dernière, les prix augmentent moins vite que les salaires. Cela devrait nourrir la consommation des ménages.
MARION L’HOUR
Ça, c'est pour le positif. Il y a aussi ce qu'on pourrait appeler le négatif. Vous avez révisé la prévision de croissance pour cette année à 0,7 %. Ça veut dire qu'on produira 0,7% de richesse en plus cette année et non pas 0,9% comme prévu au départ. Or, le Gouvernement, lui, a bâti son budget sur cette prévision de 0,9 %. Est-ce que ça veut dire qu'on ne va pas atteindre nos objectifs de déficit à 5,4 % en l'occurrence ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Non, je ne crois pas. C'est un peu l'épaisseur du trait, si vous me permettez. Pourquoi avons-nous révisé à la baisse ? Parce qu'il y a beaucoup plus d'incertitudes, comme on le disait tout à l'heure, de l'environnement international. C'est une croissance ralentie, il faut regarder les choses en face, mais cela reste une croissance positive. Souvenez-vous, il y a quelques mois, beaucoup annonçaient une récession en France cette année.
ALI BADDOU
Enfin, 0,x : il faut vraiment être optimiste pour voir ça comme une nouvelle positive.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je n'ai pas parlé de nouvelle positive. Nous ne sommes pas optimistes, nous sommes objectifs. La France devrait échapper à la récession cette année. Et pour terminer sur le relativement moins mauvais, l'emploi résiste relativement bien dans ce paysage. Il va y avoir une montée modérée du taux de chômage. Nous pensons entre 7,5% et 8%.
ALI BADDOU
Ça reste malgré tout bien au-dessus de la moyenne européenne.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Cela reste trop élevé : il faudra viser à moyen terme le plein-emploi à 5%. Mais souvenez-vous, malheureusement, il y a une dizaine d'années, le taux de chômage dépassait les 10 %. Donc, s'il y a un sujet sur lequel nous, Français, collectivement, avons fait des progrès, c'est l'emploi. Depuis dix ans, la France a créé plus de deux millions d'emplois. C'est une des meilleures performances qui soient. Il faudra qu'on continue dès que la croissance accélérera ce que nous prévoyons pour l'année prochaine.
MARION L’HOUR
Sauf que vous comptez aussi sur une consommation qui va augmenter, aussi avec ce que vous disiez, les salaires qui sont plus importants que l'inflation. Mais pour le moment, l'INSEE dit que les Français veulent épargner. C'est même un record depuis 1987.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce n'est pas tout à fait le record parce que le taux d'épargne le plus élevé qu'on ait connu en France, c'est après le Covid. Cette épargne a commencé à diminuer depuis le Covid, mais vous avez raison, elle n'a pas retrouvé son niveau pré-Covid. C'est une espèce de réserve de croissance. Ce sont les Français qui décideront d'utiliser leur épargne ou pas. Ce n'est pas du tout indépendant de ce qu'on disait sur les incertitudes. On ne va sans doute pas diminuer l'incertitude américaine. Ce qui est important, c'est qu'on construit solidement côté européen et côté français. C'est l'espoir.
ALI BADDOU
Est-ce que les Français épargnent trop ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce n'est pas à moi de juger si le niveau d'épargne de chacun est le bon. Heureusement, on vit en régime de liberté économique et il y a des Français qui peuvent avoir des projets.
ALI BADDOU
La consommation, c'est 50 % du produit d'intérieur brut.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Oui. Ce qui est sûr, c'est que cela constitue une réserve de croissance pour les années qui viennent. Au fur et à mesure qu'un peu plus de confiance et de pouvoir d'achat revient, nous nous attendons à ce que ce taux d'épargne diminue, c'est dans notre prévision. Si je regarde, néanmoins, dans la durée, le fait qu'en Europe il y ait beaucoup d'épargne, c'est un atout européen. Et le défi que nous allons avoir, ce qu'on appelle l'Union pour l'épargne et l'investissement, c'est d'utiliser mieux cette épargne pour l'innovation, pour l'investissement en Europe.
MARION L’HOUR
Et la défense peut-être ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce peut être la défense aussi, même si la défense relève in fine de financement public et pas d'épargne privée.
ALI BADDOU
Justement, merci pour la transition. Le président de la République appelait donc à muscler la défense avec des investissements supplémentaires « qui sont désormais devenus indispensables », je cite Emmanuel Macron. Première question, est-ce qu'on en a les moyens ? Et deuxièmement, comment est-ce qu'on peut trouver cet argent ? Faut-il un emprunt européen ? Faut-il consacrer le livret A à ses dépenses militaires ? Ou faut-il créer un livret spécialement dédié aux dépenses militaires ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Pourquoi cette question se pose-t-elle ? J'ai cité le très mauvais qui sont les politiques économiques de la nouvelle administration américaine, qui crée un maximum d'incertitudes sur le plan économique, on va en reparler, mais aussi sur le plan militaire. Et cela nécessite un effort de défense de la part des Européens et des Français.
ALI BADDOU
Mais vous qui avez toujours appelé à réduire la dette, c'est le retour du quoi qu'il en coûte et on peut oublier les déficits et la dette publique ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce ne peut pas être et cela ne doit pas être le retour du quoi qu'il en coûte. Ce doit être, et c'est l'espoir que je manifestais, le réveil militaire de l'Europe, mais aussi son réveil économique et financier. Et surtout, ne séparons pas les deux. Une des meilleures réponses à votre question, c'est de financer ce surcroît de dépenses par un surcroît de croissance européenne et française. Nous en avons les moyens si nous en avons la volonté.
MARION L’HOUR
Et pas en faisant disparaître la dette…
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Souvenez-vous, il y a deux-trois mois, tout le monde parlait de cette accélération de la croissance et de l'innovation en Europe, ce qu'on appelait le rapport Draghi, du nom de l'ancien Premier ministre italien. Nous savons ce que nous avons à faire ensemble pour booster, muscler la croissance européenne. Aujourd'hui, on parle de l'effort de défense, mais on risque d'oublier la deuxième jambe qui est le renforcement de la croissance européenne. Si on vient sur le financement de cet effort de défense, je pense qu'on confond un peu deux questions dans le débat des derniers jours. Il y a la question de savoir qui va vous prêter, comme quand on veut construire une maison.
ALI BADDOU
Quand on construit une maison, on investit, quand on achète des armes, est-ce que c'est pour les utiliser ou les stocker ? Ça, c’est une autre histoire.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
J'espère que ce n'est pas pour les utiliser, c'est pour quelque chose qui est vital : protéger notre liberté, la paix et nos valeurs. Ce n'est pas à moi de décider l'ampleur de cet effort de défense, c'est le débat démocratique et je le laisse aux spécialistes, mais nous avons besoin de le financer. Il y a donc la question de savoir qui prête aujourd'hui : il y a plusieurs sources possibles et, objectivement, on trouvera des prêteurs. J'entends tout le débat sur est-ce que c'est une partie des livrets d'épargne ? des banques qui doivent prêter plus ? un grand emprunt national ? Mais la vraie question, ce n'est pas de savoir qui va prêter aujourd'hui, c'est comment bien rembourser demain ? Parce que quelle que soit la source de financement, et j'en ai cité plusieurs, de toute façon, c'est du crédit et cela veut dire de la dette supplémentaire. Et pour bien rembourser cette dette demain, il faut à la fois arrêter la croissance des dépenses publiques en France et augmenter la croissance de l'économie. C'est cela les deux remèdes.
MARION L’HOUR
Et pas augmenter les impôts ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Augmenter les impôts, ce n'est pas à la Banque de France d'en décider, c'est un choix démocratique. Mais quand je regarde le paysage global, l'exception française, c’est que nous avons plus de dépenses, non seulement que tous les pays européens, mais que tous les pays du monde. Et non seulement nous avons plus de dépenses que les autres, mais elles continuent à croître. Donc la première priorité, c'est d'arrêter la croissance des dépenses.
ALI BADDOU
Et pourtant, il faut augmenter les dépenses dans l'éducation, c'est ce que vous n'arrêtez pas de dire : Il faut augmenter les dépenses dans la recherche publique.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Il faut un peu affiner. Quand je parle d'arrêter la croissance des dépenses, c'est le total des dépenses publiques. Les dépenses que vous venez de citer sont des dépenses du budget de l'État. Et l'État représente un gros tiers seulement des dépenses. Les autres dépenses publiques ce sont les dépenses sociales et les dépenses locales. Quand on regarde l'ensemble, je vais peut-être vous surprendre : alors qu'on a l'impression de sortir de deux années de grands débats budgétaires, ces dépenses continuent à croître de plus de 1 % par an en volume. Ce qu'on appelle en volume, c'est qu’on couvre l'inflation ; mais au-delà de l’inflation, il y a plus de 1 % de croissance. Les dépenses de l'État ont commencé à diminuer, mais les dépenses sociales et locales, dont je ne nie pas du tout qu'elles aient une utilité - il y a des élus locaux qui sont extrêmement engagés, il y a évidemment des prestations sociales indispensables à la solidarité -, ont augmenté de plus de 2 % par an. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Il faut un effort juste et partagé. Tout le monde doit se mettre autour de la table. Encore un mot, si vous me permettez, par rapport à l'éducation ou la recherche. De temps en temps, il s'agit de mieux dépenser. La comparaison avec nos voisins européens est intéressante. Pour avoir à peu près le même résultat, je vous donne un chiffre, nous avons, nous, 9 % du PIB de plus de dépenses publiques. Cela fait 260 milliards d'euros d'écart par rapport à la moyenne de l'Allemagne, de l'Italie, ou des Pays-Bas, qui sont aussi des sociétés qui fonctionnent. Regardons de façon très pragmatique, ce n'est pas du tout idéologique, ce qui marche le mieux sur l'éducation, la recherche ou la santé.
MARION L’HOUR
François Villeroy de Galhau, il y a une autre source de financement qui ne crée pas de dettes : c'est les avoirs russes qui ont été gelés par les sanctions. Aujourd'hui, on utilise les intérêts de ces avoirs russes. La question se pose d'utiliser les avoirs russes eux-mêmes. L'Assemblée nationale a voté pour. Le Gouvernement ne veut pas pour l'instant parce qu'il a peur de déstabiliser le système financier européen. Vous qui êtes au cœur de ce système financier, est-ce qu'utiliser, toucher à ces avoirs russes, ça déstabiliserait le système ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ces avoirs russes, vous l'avez dit, servent aujourd'hui. C'est à peu près 200 milliards.
MARION L’HOUR
C’est les intérêts qui servent.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ils sont utilisés comme garantie d'un prêt qui a été fait à l'Ukraine, effectivement, pour payer les intérêts. C'est un prêt qui a été fait par l'Europe et par les autres pays de ce qu'on appelle le G7, y compris les États-Unis, d'ailleurs. C'est en proportion des avoirs détenus.
MARION L’HOUR
Est-ce qu'il y a un risque ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Si on saisissait ces avoirs, on déstabilise le prêt qui est fait. Et c'est vrai, on déstabilise pas mal la solidité financière. Si demain, on est dans le cadre d'un accord de paix, le contexte juridique change. Peut-être cet argent pourrait-il être directement affecté à l'Ukraine, mais cela ferait partie d'un accord de paix. Le point que je souligne, c'est que ce serait de l'argent pour l'Ukraine. Ce n’est pas de l'argent qui viendrait financer les efforts de défense des différents pays européens, d'où aussi le grand changement en Allemagne. C'est un élément positif -je parlais d'espoir sur le réveil de l'Europe – que l'Allemagne, qui a une situation de dette beaucoup plus favorable que la nôtre, ait décidé de l'utiliser.
ALI BADDOU
On va y venir justement à l'Allemagne, puisqu'hier, vous dialoguiez avec votre homologue allemand, le président de la Bundesbank. Mais cette question des avoirs russes, si on doit résumer, et ce que vous venez de dire, c'est que ça ne sert à rien d'y toucher pour essayer d'améliorer la situation économique française.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce ne sera pas pour la situation économique française, mais éventuellement pour l'Ukraine. Cela fera partie des négociations à venir.
ALI BADDOU
Alors justement, Ã propos de la Russie, on a Jean-Claude au standard. Bonjour Jean-Claude.
Jean-Claude, auditeur
Bonjour. Je voulais poser la question suivante. On entend dire dans les débats multiples sur la guerre ukrainienne que le PIB de la Russie serait identique à celui de l'Espagne ou des Pays-Bas, à peu près. Donc, comment l'économie russe est-elle structurée pour pouvoir financer sur une longue durée, comme c'est le cas, un effort de guerre aussi important ? Est-ce qu'on imagine l'Espagne ou les Pays-Bas financer aujourd'hui un engagement militaire aussi important que celui de la Russie en Ukraine ?
ALI BADDOU
Merci, excellente question Jean-Claude. Et hier d'ailleurs, l'ancien commissaire européen Thierry Breton minimisait la puissance économique russe en disant après tout qu'elle n'avait que le PIB de l'Espagne. Alors, comment est-ce que la Russie, monsieur le gouverneur de la Banque de France, un peu de pédagogie, comment est-ce qu'elle fait pour financer son effort de guerre sans que le pays ne s'écroule ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Je salue la question. En gros, l'économie russe, c'est la taille que vous dites. Mais c'est du côté des recettes ou des revenus, avant tout le pétrole et les matières premières, et du côté des dépenses, avant tout la défense. Je crois qu'il ne faut pas surestimer la menace économique russe, mais il ne faut pas sous-estimer la menace militaire. L'armée russe est puissante, équipée, nombreuse, et d'où la nécessité d'augmenter l'effort de défense en Europe. J'appelle au réveil militaire et économique européen. Notre force relative, aujourd'hui, c'est l'économie, notre faiblesse, c'est le militaire.
ALI BADDOU
Mais il y a les très mauvaises nouvelles dont on doit parler et notamment les Trumponomics, comme on dit, ça veut dire protectionnisme commercial des Américains, droit de douane punitif, et en l'occurrence, quelles conséquences sur nous et sur la croissance, notamment en France, quand vous entendiez le journal tout à l'heure de Florence Paracuellos et cette menace par le président américain d'imposer des droits de douane à 200 % sur les vins spiritueux, champagne. Est-ce que l'UE a les moyens de se défendre ? Est-ce qu'elle a vraiment un colt dans sa poche, comme le dit Pascal Lamy, l'ancien directeur général de l'OMC ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
L'Union européenne a les moyens de répondre. Il faut souhaiter que l'escalade commerciale s'arrête. Mais j'ai parlé d'espoir européen.
ALI BADDOU
Ça, c'est une très mauvaise nouvelle.
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Si ce qui se passe aux États-Unis, qui est évidemment une très mauvaise nouvelle, d'abord pour l'économie américaine, a une vertu en Europe, c'est de nous amener à un surcroît de volonté européenne. Militaire, mais aussi économique. Je ne sépare jamais ces deux jambes. Il y a une brutalité côté américain, de M. Trump et de M. Musk. Il ne faut pas répondre à la brutalité par une espèce de passivité ou de fatalité. Il faut répondre par un surcroît de volonté.
MARION L’HOUR
Donc, il faut maintenir ces droits de douane ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Il est important de dire pourquoi c'est d'abord une mauvaise nouvelle pour l'économie américaine. Cette montée des droits de douane et du protectionnisme, c’est la vision de l'équipe Trump sur l'économie, au fond comme celle d'un plateau de Monopoly, c'est-à -dire que ce que gagne l'un, c'est forcément ce que perd l'autre. J'échange un quartier, un hôtel, etc. Mais c'est un jeu à somme nulle. L'économie, ce n'est pas cela. L'économie, c'est qu'on crée de la prospérité ensemble, parce qu'on échange des talents, des idées, des produits, des innovations. C'est tout cela dont on est en train de se priver. Je vais vous citer un exemple qui est frappant. Hier, quand M. Trump menace de droits sur le champagne et les spiritueux européens, la bourse européenne et française baisse de 0,6 %, mais la bourse américaine baisse davantage, à 1,4 %. Et on a aujourd'hui cette situation stupéfiante, alors que l'économie américaine allait très bien en début d'année, que certains, non seulement révisent à la baisse leur prévision de croissance américaine, mais commencent à parler de risque de récession aux États-Unis. C’est donc une politique perdante. C'est un exemple de but contre son camp, mais c'est une politique qui est très mauvaise aussi pour le reste du monde. Nous répondons non pas par la brutalité, mais par un surcroît de volonté européenne, plus de défense et plus de croissance. J'y insiste, il faut qu'on travaille plus, qu'on travaille mieux et qu'on fasse les réformes proposées notamment par le rapport Draghi.
ALI BADDOU
Il reste très peu de temps. Bonjour Michel et bienvenue sur France Inter.
Michel, auditeur
Bonjour France Inter, bonjour Monsieur le gouverneur. Est-ce que vous ne pourriez pas faire comme nous, qui boycottons les USA, c'est-à -dire vendre les bons du trésor américain que vous détenez et proposer à la Banque centrale européenne de faire pareil, pour arrêter de financer leur déficit ?
ALI BADDOU
Très bonne question. Merci Michel, c'est une manière de contraindre les États-Unis, même si, combien de bons du trésor détenez-vous à la Banque De France ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Nous en avons vendu une partie, pas pour des raisons politiques, mais parce que c'était un bon arbitrage financier. Et évidemment, le devoir que nous avons à la Banque de France, c'est de placer le mieux possible l'argent des Français. Il se trouve que l'essentiel de nos réserves, aujourd'hui, est en or et l'or s'apprécie ; pour le reste, c'est largement en obligations en euros, donc, en obligations françaises et européennes.
ALI BADDOU
Monsieur le Gouverneur, vous avez dans vos coffres 2 430 tonnes d'or massif. Les Français le savent peu. L'or qui a atteint un record...
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Ce chiffre est pourtant tout à fait public.
ALI BADDOU
… Historique, c'est une valeur refuge. À quoi ça sert ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Cela sert à garantir la signature de la France et la confiance dans la Banque de France. Nous n'en achetons pas, nous n'en vendons pas, nous le gardons. Et on s'en est bien porté jusqu'à présent. Mais ce n'est pas cela qui va résoudre le problème des finances publiques françaises. Quand j'insiste sur la maîtrise des dépenses, disons-le très clairement, nous ne pouvons plus tout nous payer comme avant. Il va donc falloir faire des choix.
MARION L’HOUR
Justement, dernière question, puisqu'on arrive à la fin de cet entretien. L'agence Fitch doit noter aujourd'hui la dette de la France. On craint une dégradation. Elle est actuellement notée AA-, c'est une sorte de 17 sur 20. Est-ce que vous craignez cette dégradation et ses conséquences ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
Les agences de notation sont une chose. Il y en a trois. Fitch est une des trois agences. La semaine dernière, Standard & Poor's qui est la plus importante a confirmé la notation française. Je crois que ce qui est important, c'est surtout le jugement des investisseurs, ceux qui nous prêtent. Et ceux-là , malheureusement, depuis juin dernier, ont fait payer plus cher, relativement, les emprunts français. Ce qu'on appelle le spread, l'écart des taux intérêts avec l'Allemagne, s'est beaucoup accru. Et donc, quand je parlais d'arrêter la croissance des dépenses publiques et d'augmenter la croissance de l'économie, c'est la meilleure réponse sur le fond.
ALI BADDOU
Il y a une question de confiance. On a beaucoup parlé d'argent. François Villeroy de Galhau, on va terminer en parlant latin : « non aes, sed fides ». Traduction ?
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
« Ce n'est pas du bronze. C'est de la confiance ».
ALI BADDOU
Et donc, vous dites aux Français, la pièce de monnaie en euros...
FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU
C'est une devise qui existait sur une pièce à Malte, vers le XVIe siècle. Elle est citée par un philosophe allemand qui s'appelle Simmel. Mais derrière ce symbole, ce n'est pas le métal qui compte, c'est la confiance. Il y a le fait que les Français peuvent faire confiance à la Banque de France, à la Banque centrale européenne pour garder l'inflation à bas niveau, c'est-à -dire autour de 2%, et en conséquence pour avoir les taux d'intérêt les plus bas possibles. Cela, c'est un élément de solidité, de stabilité dans ce paysage très incertain dans lequel nous vivons. Et je redis ce matin l'engagement de la Banque de France à le tenir.
ALI BADDOU
Ce sera le mot de la fin. Merci infiniment François Villeroy de Galhau d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.
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Mise à jour le 24 Mars 2025