Interview

France Info « Que chacun arrête de jouer au chamboule-tout avec toutes les pistes d’économies »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 9 Octobre 2024

François Villeroy de Galhau intervention

L’intervention de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans la matinale de France Info, le 9 octobre 2024.

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France Info « Budget : pour que l'effort soit juste et efficace, il faut qu'il soit partagé »

L’intervention de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans la matinale de France Info, le 9 octobre 2024

Jérôme CHAPUIS

Notre grand témoin ce matin sur France Info est le Gouverneur de la Banque de France. Bonjour François VILLEROY de GALHAU. Instabilité politique, finances publiques en berne, tensions internationales, tout cela devrait concourir à ce que l'économie se dégrade, et à la lecture de la dernière note de conjoncture de la Banque de France sortie hier soir, on se dit : et pourtant, elle tourne, on se trompe ?

François VILLEROY de GALHAU

Je dirais que l'économie française, sans être brillante, est résiliente. Et il y a effectivement un socle de croissance. On pensait entre 0,1 et 0,2 % par trimestre. Nous avons un peu réévalué, à 0,2. Et puis, sur ce troisième trimestre qui s'est terminé fin septembre, il y a un effet exceptionnel des Jeux olympiques, Donc cela devrait redonner un bon troisième trimestre. Ceci dit, ce chiffre reste cohérent avec notre prévision de croissance sur l'année de 1,1 %.

Jérôme CHAPUIS

Vous ne relevez pas vos prévisions de croissance ?

François VILLEROY de GALHAU
Non. Nous les actualisons tous les trimestres. Nous avons publié nos prévisions mi-septembre, nous les maintenons. Je note au passage que cette conjoncture est aussi cohérente avec la prévision de croissance qui sous-tend le budget pour l'an prochain de la part du gouvernement, à 1,1%.

Jérôme CHAPUIS

Le budget, on va en parler, mais vous nous parliez de l'effet positif des Jeux olympiques. Effet positif également de la mauvaise météo. C'est dans votre note. Le secteur de l'habillement, qui n'allait pas très bien, se porte finalement plutôt pas mal ce dernier mois.

François VILLEROY de GALHAU

La mauvaise météo, qui marque nos vies à tous, est bonne pour certains secteurs, comme l'habillement, moins bonne pour d'autres, comme le tourisme. Nous l’avons vu cet été dans les régions qui ont été les plus arrosées. Globalement, sur l'ensemble de l'économie, je ne crois pas que la météo ait en effet énorme.

Jérôme CHAPUIS

Parlons de l'inflation à présent. L'inflation, c'est fini.

François VILLEROY de GALHAU

En tout cas, la victoire contre l'inflation est en vue. L’inflation est descendue à 1,5 % pour l'ensemble de la zone euro, comme pour la France en indice européen. Cela veut dire deux bonnes nouvelles : du pouvoir d'achat qui revient, parce que les prix progressent aujourd'hui moins vite que les salaires, et que nous allons poursuivre la baisse des taux d'intérêt, que nous avons commencée depuis le mois de juin.

Jérôme CHAPUIS

Ça veut dire que la semaine prochaine, les taux d'intérêt vont baisser ?

François VILLEROY de GALHAU

Nous déciderons la semaine prochaine, où nous avons une réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE. Mais je dis ce matin qu'une baisse est très probable, et que ce ne sera d'ailleurs pas la dernière. Le rythme suivant dépendra de l'évolution du combat contre l'inflation. Il peut y avoir encore des hauts et des bas dans les mois qui viennent. Nous pouvons prendre cependant l'engagement que, sauf grosse surprise, nous serons à 2 % d'inflation durablement en France au début de l'année prochaine et en Europe, dans le courant de l'année prochaine.

Jérôme CHAPUIS

La baisse des taux sera quel ordre ?

François VILLEROY de GALHAU

Réponse la semaine prochaine. Nous avons pris l’habitude d'agir avec gradualisme, c'est-à-dire résolument, mais sans faire des pas trop importants.

Jérôme CHAPUIS

Des conséquences évidemment pour l'économie, cette baisse des taux, elle entraîne, elle aussi, l'économie de manière favorable ?

François VILLEROY de GALHAU

Effectivement cela aide l'économie. Je vais prendre un exemple très important pour les Français, c'est le crédit immobilier : les taux du crédit immobilier ont recommencé à baisser depuis le début de cette année, et nous avons vu les volumes d'emprunts des Français depuis le mois de juillet redevenir significatifs. Je redis aussi que les banques sont en posture aujourd'hui d'offres de crédits, et qu'il faut, si on a des projets, en profiter.

Jérôme CHAPUIS

Ça, c'est une bonne nouvelle pour l'économie. Vous disiez que vous étiez encore quand même attentif à un certain nombre de signaux concernant les prix. La tension entre Israël et l'Iran, et donc sur le Golfe Persique provoque des tensions sur le prix du pétrole. La remontée des cours, est-ce qu'elle vous inquiète ?

François VILLEROY de GALHAU

Nous regardons effectivement cela avec attention. Les prix du pétrole avaient baissé jusque fin septembre, notamment parce que l'Arabie Saoudite veut augmenter sa production. Depuis début octobre, nous avons effacé la baisse de septembre. Si la baisse des prix du pétrole reste relativement limitée et temporaire, elle ne devrait pas avoir d'effets trop négatifs sur l'inflation et sur la croissance. Mais nous sommes vigilants.

Jérôme CHAPUIS

Alors, le budget, on en parlait. Vous avez souvent répété que la priorité des prochaines lois de finances devait être la baisse des dépenses. Les maires disent : pas touche à nos dotations. Le RN et d'autres partis disent : pas touche aux retraités. Les PME disent : pas touche aux exonérations. On ne veut pas qu'on baisse ces exonérations. Personne, en fait, ne veut faire d'efforts ?

François VILLEROY de GALHAU

Ce que vous dites montre que c'est compliqué, mais je vais essayer de donner un ou deux repères simples. D'abord, il fallait absolument inverser cette tendance qui affaiblit la France, où on avait toujours plus de déficits, qui donnent toujours plus de dettes, qui donnent toujours plus d'intérêts à payer. De ce point de vue, je crois que le projet de budget va dans la bonne direction.

Jérôme CHAPUIS

Oui, mais vous voyez bien qu'il n'y a pas forcément de majorité pour l'adopter.

François VILLEROY de GALHAU

Je n'ai pas à faire de commentaire politique. La Banque de France est indépendante.

Jérôme CHAPUIS

Oui, mais vous pouvez avoir des inquiétudes…

François VILLEROY de GALHAU

Clairement, cela n'est pas facile à faire. Notre pays, il faut le dire très directement, est dans la situation d'une famille qui vit au-dessus de ses moyens ; et donc il doit réduire ses dépenses, et puis, un peu augmenter ses revenus. Effectivement d'abord maîtriser ses dépenses, parce que lorsque l’on compare la France à nos voisins européens, nous avons le même modèle social, le même modèle de services publics, mais il nous coûte beaucoup plus cher, l'équivalent de 260 milliards d'euros de plus que chez nos voisins. Nous avons un écart d'efficacité qu'il faut traiter. D'où la priorité aux économies de dépenses. Il faut cependant que tous ceux qui les souhaitent, il y en a beaucoup, soient cohérents : chacun a tendance à avoir des idées d'économies chez les autres, et à les refuser chez lui. Il faut que nous arrêtions de jouer au chamboule-tout, si vous me permettez l'expression, avec toutes les pistes d'économies qui sont sur la table. Parce que si on continue, à la fin, nous ferons zéro économie, et nous continuerons cette spirale infernale de la dette.

Jérôme CHAPUIS

Message pour les élus locaux notamment qui sont mis à contribution ?

François VILLEROY de GALHAU

Ce n'est pas un message pour tel ou tel. Pour que l'effort soit juste et efficace, il faut qu'il soit partagé. Donc, il faut un effort d'un peu tout le monde. Si personne ne fait d’effort, à la fin, nous allons continuer cette tendance qui affaiblit la France.

Jérôme CHAPUIS

Il faut revenir avec vous sur ce qui s'est passé cette année, la dérive des comptes publics. Parce que certains disent : on ne l'avait pas forcément vue venir. Écoutez cette déclaration de Bruno LE MAIRE, ministre de l’Économie en mars dernier. « Effectivement, ce que nous avions peut-être sous-estimé, c'est que le fait que l'inflation baisse plus vite que ce à quoi nous nous étions attendus, ça fait moins de recettes de TVA, ça fait moins de recettes aussi sur la masse salariale, moins d'impôts sur le revenu, moins d'impôt sur les sociétés, la perte de recettes fiscales, au total, elle est de 21 milliards d'euros. » Sauf que le chiffre dans la presse de ce matin, c'est plutôt 100 milliards, 100 milliards de dérive en neuf mois. Comment a-t-on pu en arriver là ?

François VILLEROY de GALHAU

C'est une question à poser du côté de Bercy et du gouvernement passé ou présent.

Jérôme CHAPUIS

Mais ce dérapage de 2024 est spectaculaire, inédit…

François VILLEROY de GALHAU

Je suis d'accord avec vous, il est spectaculaire, et évidemment très malvenu, parce qu'il augmente encore notre dette. Il diminue la crédibilité de la France en Europe, il augmente les inquiétudes des investisseurs. Nous l'avons vu sur le fameux « spread », c'est-à-dire l'écart de taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne. Il faut absolument redresser la trajectoire. Le dérapage n'est pas dû qu'à la moindre inflation, parce que celle-ci est plutôt une bonne nouvelle ; elle diminue aussi l'évolution des dépenses publiques et apporte du pouvoir d'achat. Il faut que nous nous reprenions, que nous fassions l'effort. Ce n'est pas facile, mais c'est nécessaire, et c'est possible si c'est un effort partagé.

Jérôme CHAPUIS

Il y a eu du flottement dans les nominations de ministres aux Comptes publics en janvier dernier, puis, après la dissolution. Est-ce que ça peut aussi expliquer les choses, ce relâchement ?

François VILLEROY de GALHAU

Vous m'entraînez sur un terrain de commentateur politique où je suis peu qualifié. La séquence électorale n'a certainement pas aidé. Mais il y a des explications techniques et sans doute un peu de laisser-aller collectif. Ce n'est pas que l'Etat, cela concerne aussi les autres sources de dépenses publiques, les dépenses sociales, les dépenses locales. Nous avons eu un laisser-aller collectif, il est temps que nous nous reprenions collectivement. Et nous, Français, nous pouvons le faire, nous ne sommes pas plus bêtes que nos voisins européens. La plupart de nos voisins européens, y compris les Italiens, ont réussi à redresser leur situation. Nous devons réussir à le faire, ensemble.

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Mise à jour le 21 Octobre 2024