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BFM TV : « Nous ne pouvons plus tout nous payer comme avant, il faut faire des choix »
Intervenant

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 20 Mars 2025

Interview du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sur BFM TV jeudi 20 mars
Retraites, effort de défense...L'interview en intégralité de François Villeroy de Galhau
Apolline DE MALHERBE
Bonjour François VILLEROY DE GALHAU
François VILLEROY DE GALHAU
Bonjour Apolline DE MALHERBE
Apolline DE MALHERBE
Vous êtes le gouverneur de la Banque de France, au fond c'est la tour de contrôle de l'économie française. Perspective de croissance à la baisse, contexte international menaçant, est-ce qu'on a les moyens de redresser notre économie et de muscler notre défense ? Voilà l'une des questions que je voudrais vous poser, ce matin. Mais avant de parler de la France, je voudrais quand même qu'on parle de vous, enfin de vous, c'est-à-dire de la Banque de France, parce que la Banque de France a publié, mercredi, une perte nette record pour l'année 2024 : 7,7 milliards d'euros. Je vous avoue que ce n'est pas très rassurant quand son banquier ne va pas très bien.
François VILLEROY DE GALHAU
Cela ne nous a pas inquiétés, c'était prévu et cela se passe d'ailleurs pour toutes les grandes banques centrales dans le monde. Ces pertes sont liées à notre lutte contre l'inflation, qui a été efficace. Dans un paysage économique qui est difficile à l'échelle internationale, vous en avez parlé, il y a un élément de confiance, c'est que nous avons ramené l'inflation à 2 %. Pour cela, nous avons dû faire un certain nombre d'opérations de politique monétaire, je ne rentre pas dans les détails, qui ont entraîné des pertes, mais que nous pouvons parfaitement absorber dans une situation financière très solide de la Banque de France. Il n'y aura pas d'appel aux contribuables, il n'y aura pas de recapitalisation, et par ailleurs, ces pertes seront très diminuées dès cette année.
Apolline DE MALHERBE
Je vous repose la question, vous dites qu'il n'y aura pas d'appel aux contribuables, ces 7,7 milliards, est-ce qu'ils s'ajoutent au déficit de l'État ? Est-ce qu'ils sont sur une sorte d'autre ligne à côté ?
François VILLEROY DE GALHAU
Non, parce que nous les prenons dans le bilan de la Banque de France. Ces pertes sont beaucoup moins élevées que celles de la Bundesbank allemande, qui est à 19 milliards de pertes, ou probablement la Banque centrale américaine, qui sera à plus de 60 milliards. Donc, c'est normal, parce que c'est le cycle de la politique monétaire. L'objectif de la Banque centrale, ce n'est pas de faire des profits, ni encore moins de faire des pertes, c'est de ramener l'inflation à 2 %. Objectif atteint, ce qui est une bonne nouvelle.
Apolline DE MALHERBE
Objectif atteint, prévision de croissance, en revanche à la baisse, vous tabliez initialement sur une croissance française à 0,9 %, vous l'avez revue à la baisse à 0,7 %, on va essayer de voir quelles sont les conséquences, mais d'abord, dans un contexte où aujourd'hui même, il y a à nouveau à Bercy une grande réunion sur la question du financement de notre industrie de défense et de l'effort de défense demandé, cette réunion sur ce qu'on peut appeler l'économie de guerre ou l'effort de guerre, est-ce qu'on aura les moyens de mener ce réarmement, et que faudra-t-il sacrifier ?
François VILLEROY DE GALHAU
D'abord, un petit mot sur la croissance, vous avez dit tout à l'heure que j'étais optimiste…
Apolline DE MALHERBE
Vous restez quelqu'un, je crois, dans le caractère optimiste, je ne sais pas si vous le restez dans le contexte actuel.
François VILLEROY DE GALHAU
Si vous me permettez, je me méfie de ce mot. Je suis déterminé, parce que nous sommes dans un environnement international, à cause des politiques de M. Trump, qui est négatif pour la croissance : d'abord aux Etats-Unis, mais c'est vrai par contrecoup en Europe, d'où notre révision à la baisse. Sur la question de la défense que vous posez, d'abord, je crois qu'il faut un effort de défense ; ce n'est pas à moi de décider sa taille, mais il est légitime pour que l'Europe retrouve la maîtrise de son destin militaire, mais aussi économique, on en parlera. Malheureusement, le retournement américain pousse à une souveraineté militaire européenne. Maintenant, la question qu'on voit ces jours-ci, et ce sera la réunion d'aujourd'hui, c'est une première question, peut-être un peu plus facile : qui va prêter au début aux industries de défense ? On trouvera l'épargne qui peut s'investir, c'est encore mieux d'ailleurs si cela se passe sous forme de fonds propres, de capitaux renforcés des entreprises de défense. Mais la question plus difficile qui viendra ensuite, c'est qui va payer à la fin ? Et là, la réponse est malheureusement claire, c'est forcément de la dépense publique, il n'y a que l'Etat qui puisse acheter le matériel militaire, ou payer la solde des militaires. Ceci pose de façon encore plus aiguë la question de la reprise de contrôle de nos finances publiques et de nos déficits.
Apolline DE MALHERBE
Et qui est d'ailleurs ce que vous disiez depuis bien longtemps et bien avant le contexte international immédiat.
François VILLEROY DE GALHAU
Je n'étais d'ailleurs pas le seul à le dire, Pierre Moscovici, Premier Président de la Cour des Comptes et pas mal d'observateurs. Nous en avons le devoir, nous en avons aussi les moyens, on va y revenir, mais il faut que nous en ayons la volonté.
Apolline DE MALHERBE
On peut y arriver mais avec exigence, c'est ce que je comprends bien en vous écoutant et en analysant et en ayant préparé cette interview, en analysant aussi les rapports que vous remettez régulièrement, c'est qu'au fond vous dites, « L'un ne va pas sans l'autre », c'est-à-dire nous ne pourrons pas défendre si on ne fait pas les réformes nécessaires et la réduction des dépenses. Au fond, la situation internationale ne rend que plus urgente ce que vous dites depuis longtemps. Mais vous avez parlé à l'instant de la question des fonds propres. Bercy annonce, ce matin, par la voix de son ministre de l'économie, la création d'une sorte de fonds propres justement qui serait dédié au financement de ces entreprises de défense auxquelles tous les Français pourraient participer en mettant à partir de 500 euros. C'est un véritable appel aux Français pour qu'ils mobilisent leur épargne ?
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, on va voir les détails, aujourd'hui, puisque cette réunion a lieu à Bercy. Je souligne que ce n’est que la première question, qui va financer au début.
Apolline DE MALHERBE
Mais ça veut dire que c'est vous et moi, ça veut dire que c'est tous ceux qui nous écoutent potentiellement, c'est les Français.
François VILLEROY DE GALHAU
Ce sont ceux qui le voudront. Personne ne sera obligé de le faire. Participer à cet effort civique peut avoir un vrai sens pour retrouver la maîtrise de notre destin. Mais qu'on n'oublie surtout pas la deuxième question : qui va payer à la fin ? Et ça, c'est la dépense publique.
Pour revenir sur cette exigence dont vous parliez, au fond, si je regarde l'économie mondiale et européenne aujourd'hui, nous avons quelqu'un qui marque des buts contre son camp, c'est M. Trump. Ses politiques sont mauvaises pour tout le monde, mais d'abord pour les États-Unis. Mais nous, il faut, en face de ce joueur qui joue contre son propre camp, que nous montions notre propre niveau de jeu. Ça ne va pas se faire tout seul. Si nous jouons bien, ce peut être le moment de l'Europe et ce peut être l'occasion pour notre pays de retrouver la maîtrise de son destin. Parlons du destin militaire, mais aussi du destin économique. Cela commence effectivement par régler ce problème de finances publiques. Et à cette fin, il faut à la fois arrêter la croissance de nos dépenses publiques en volume…
Apolline DE MALHERBE
Ce n’est toujours pas fait.
François VILLEROY DE GALHAU
C'est possible, mais il faut que nous fassions des choix. Donc, arrêter la croissance des dépenses publiques et de l'autre côté, augmenter la croissance de l'économie. Vous voyez, il y a un stop et il y a un accélérateur. Arrêter la hausse des dépenses publiques, cela veut dire quoi ? Ce n'est pas l'austérité, on ne les fait pas reculer, mais on constate que nous avons déjà les dépenses publiques non seulement les plus élevées d'Europe, mais les plus élevées du monde, des grands pays avancés. Beaucoup de nos voisins européens ont le même modèle de société que nous, j'y crois, le modèle social européen, mais nettement moins cher. Quand on regarde ces dépenses publiques, il y a trois acteurs. Il y a l'État, on parle beaucoup du budget de l'État : celui-ci a commencé à faire reculer ses dépenses publiques en volume. Et puis, il y a deux autres acteurs, ce sont les dépenses sociales et les dépenses locales. Elles représentent, en fait, la majorité de ces dépenses publiques, plus de 60% du total. On ne peut donc pas faire porter l'effort sur le seul État. Si on a un effort juste et partagé, nous pouvons arriver à stabiliser ces dépenses publiques, arrêter leur croissance.
Apolline DE MALHERBE
Quand vous dites juste et partagé, ça veut dire qu'à vos yeux, lorsque l'équation commence à se poser entre des canons et des pensions, c'est-à-dire, est-ce qu'on peut dans ce contexte-là, au fond c'est la lecture que fait François Bayrou, quand il dit que le contexte international ne nous permet plus d'envisager un retour à la retraite à 62 ans, c'est aussi ce que dit d'ailleurs le président du COR, le Conseil d'orientation des retraites, qui dit que ce débat est même presque dérisoire désormais au regard de la menace internationale. Est-ce qu'en effet, vous estimez que le poids des dépenses sociales, dont les dépenses de retraite qui sont la majeure partie de ces dépenses sociales, doit être réduit ?
François VILLEROY DE GALHAU
Ce n'est pas à la Banque de France de faire ce choix. Nous, nous éclairons le débat économique. Je dirais d’abord que, sur la défense, il ne peut pas y avoir de nouveau « Quoi qu'il en coûte ». Il y a un effort légitime, mais il doit être mesuré et il doit être financé. Et sur le reste, je vais simplement dire une évidence : nous ne pouvons plus tout nous payer comme avant ! La France va devoir faire des choix. Ce doit être l'objet de notre débat démocratique, au Parlement, avec le Gouvernement, mais disons-le avec lucidité. C'était vrai avant même l'effort de défense, parce que nous devons enfin stabiliser notre dette publique. Nous sommes un des rares pays dont la dette publique continue à augmenter. Ça veut dire que nous transférons aux générations futures un sac à dos qui est de plus en plus lourd quand ils entrent dans la vie. Les générations futures, ce n’est pas une abstraction : ce sont nos enfants ou nos petits-enfants. Donc, il faut y être très attentif à ça. Or il y a une espèce d'équivalence dans notre économie. Stabiliser la dette publique, cela veut dire réduire le déficit à 3 % en 2029, d'ici 4 ans, et cela veut dire aussi stabiliser les dépenses publiques en volume après inflation. Donc, c'est exigeant, mais c'est possible. D'ailleurs, dans notre histoire, par exemple entre 2014 et 2018, sous deux quinquennats différents, nous nous sommes approchés de cette stabilité, mais parce qu'il y a eu un effort de tous : Etat + social + local.
Apolline DE MALHERBE
François VILLEROY DE GALHAU, je rappelle pour ceux qui nous écoutent que vous êtes le gouverneur de la Banque de France. Je parlais de cette perspective de croissance que vous avez revue à la baisse, de 0,9 à 0,7. Si je vous entends, ce que je comprends, c'est que c'est moins dû, pour une fois j'allais dire, à nos propres possibilités ou impossibilités, qu'à un contexte international qui a changé, et notamment à l'incertitude que représente un Donald TRUMP. Sauf que le Gouvernement, il a construit son budget avec une perspective de croissance qui était celle de 0,9. Puisque ça change entre temps, est-ce que ça ne va pas entraîner, à nouveau mécaniquement, un problème, un problème tout simplement de trésorerie ?
François VILLEROY DE GALHAU
Non, je ne crois pas, parce que cette révision de 0,9 à 0,7, est relativement limitée. Il y aura peut-être quelques bonnes nouvelles dans l'autre sens, le déficit 2024 sera peut-être un peu moins fort que prévu. Il faut tenir le déficit à 5,4 %, et pour cela, il faut faire preuve de ténacité. Je crois que le ministre Éric Lombard a manifesté cette ténacité. Ce n'est pas gagné, mais ...
Apolline DE MALHERBE
Mais c'est encore possible, pour vous, c'est encore possible ?
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, le vrai sujet, il est celui que vous disiez au début, c'est qu'il y a des politiques américaines qui marquent un retournement, et qui sont extrêmement négatives pour la croissance partout, à commencer par celle des États-Unis.
Apolline DE MALHERBE
Prenez le temps, c'est très important de comprendre. On parle beaucoup du chaos diplomatique, parlons aussi du chaos économique.
François VILLEROY DE GALHAU
Vous avez parlé d'incertitude, c'est plus que ça, c'est de l'imprévisibilité et même de l'irrationalité. D'habitude, l'économie, le commerce, c'est un jeu gagnant-gagnant. On échange des produits, des idées, des talents, des innovations, et on s'enrichit ensemble. Le protectionnisme de M. Trump, puisque c'est le cœur de sa politique, fait exactement le contraire. Il transforme un jeu gagnant-gagnant en un jeu perdant-perdant, où tout le monde perd, à commencer par les États-Unis. Il y a quelque chose qui est très frappant, c'est qu'hier soir, la Banque centrale américaine, la Federal Reserve, se réunissait et a publié ses nouvelles prévisions. Ils ont abaissé la prévision de croissance aux États-Unis, nettement plus que nous n'avons abaissé la prévision pour la France. Nous, c'était 0,2, eux c’est 0,4, et ils ont augmenté l'inflation. Donc les politiques Trump, c'est plus d'incertitude, moins de croissance et plus d'inflation.
Apolline DE MALHERBE
Mais alors pourquoi ?
François VILLEROY DE GALHAU
Alors ça, je ne sais pas expliquer la rationalité des politiques de M. Trump. Ne me demandez pas l'impossible...
Apolline DE MALHERBE
Il doit bien y avoir un intérêt.
François VILLEROY DE GALHAU
Je crois, hélas, qu'il y a pas mal d'idéologie. Il y a une forme de nationalisme en disant, « Voilà, on va protéger l'Amérique du reste du monde ». Et puis, je crois qu'il y a une vision fausse de l'économie. M. Trump semble voir l'économie mondiale comme un plateau de Monopoly, d'où sa fixation sur les déficits commerciaux. Ce que gagnerait l'un, c'est forcément ce que perd l'autre. Face à cela, nous, nous devons avoir une bonne politique. Nous devons monter notre niveau de jeu. Ce peut être le moment de l'Europe.
Apolline DE MALHERBE
Ça veut dire quoi, ça, « Monter notre niveau de jeu ? »
François VILLEROY DE GALHAU
Alors, monter notre niveau de jeu, si je pousse l'image du foot et d'une équipe...
Apolline DE MALHERBE
Ça me va très bien et je pense que nos auditeurs de RMC en sont ravis.
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, moi, j'aime beaucoup le football. D'abord, cela commence par jouer plus collectif, de savoir se réunir et dépasser les zizanies gauloises dont nous donnons entre nous des exemples très remarquables depuis un an…
Apolline DE MALHERBE
Je sens votre ironie.
François VILLEROY DE GALHAU
Ensuite, avoir la bonne stratégie. Et puis enfin, être capable de l'appliquer avec ténacité pendant toute la durée du match. Mais si j'insiste un peu sur la bonne stratégie, j'ai dit « Arrêter la croissance des dépenses publiques, l'effort juste et partagé, Etat + social + local, sur plusieurs années ». Et puis, augmenter la croissance de l'économie. Nous avons un certain nombre de leviers qui dépendent de nous. Il faut qu'on se rassemble en France et en Europe pour les activer.
Apolline DE MALHERBE
Quel est, d'abord, l'objectif de croissance qui vous paraîtrait réalisable ? À combien est-ce que vous considérez qu'on serait dans un bon chemin possible dans les mois ou les années qui viennent ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je vais raisonner sur les années qui viennent, parce qu'on ne peut pas changer ça d'un claquement de doigts. Et un match, cela se gagne dans la durée, j'ai parlé de ténacité. Mais nous sommes aujourd'hui autour de 1 % de croissance à peu près, ce que les économistes appellent la croissance potentielle, c'est-à-dire la vitesse de croisière de l'économie. La France est un tout petit peu au-dessus, l'Europe en moyenne est à 1. Je crois que nous pouvons porter ce 1 %, d'ici quelques années, à 1,5 %.
Apolline DE MALHERBE
Vous espérez 1,5% de croissance ?
François VILLEROY DE GALHAU
Quand je parle de monter notre niveau de jeu, il faut activer un certain nombre d'accélérateurs. Il y en a qui dépendent de nous, c'est notre travail. Et puis, il y en a qui dépendent de l'Europe, c'est muscler l'économie européenne. L'économie européenne, elle pèse autant sur le papier que l'économie américaine. Nous n’avons pas de complexe à avoir.
Apolline DE MALHERBE
Quels sont les outils que nous, on a d'abord ?
François VILLEROY DE GALHAU
Sur le travailler plus et travailler mieux, nous avons fait des très grands progrès sur l'emploi en France depuis des années. Apolline DE MALHERBE…
Apolline DE MALHERBE
Finalement, vous êtes optimiste ?
François VILLEROY DE GALHAU
Non, je suis déterminé. Et comme la Banque de France est indépendante, il faut voir aussi nos succès. Au passage, j’ai dit un peu de mal de certaines dérives américaines. Mais s'il y a une vertu américaine qu'il faudrait que nous adoptions, c'est la confiance en nous-mêmes, une forme de fierté. Vous savez, les Américains parlent spontanément de leurs succès, nous, Européens et Français, parlons spontanément de nos échecs. Un succès français, c'est que depuis 10 ans, notre économie a créé plus de 2 millions d'emplois. Et depuis cinq ans, depuis le Covid, plus de 1 million d'emplois. Alors, le taux de chômage remonte un peu entre 7,5 et 8%, mais dans le précédent ralentissement économique, il y a 10 ans, il était au-delà de 10 %. Il faut continuer ces progrès, travailler plus collectivement :c'est la question des jeunes, et notamment des non qualifiés, développer l'apprentissage, réformer l'école ; et puis le travail des seniors, nous sommes en retard. Et puis, essayer de travailler mieux, c'est-à-dire augmenter ce que les économistes appellent la productivité. Par heure de travail, produire plus. Là, j'espère que l'intelligence artificielle va nous aider. Ce sont des leviers qui sont dans nos mains : celles des entreprises, des salariés, et le dialogue social est très bien venu là-dessus.
Apolline DE MALHERBE
Qui, vous l'avez vu, sur le fameux conclave, est quand même un peu fragilisé. Alors, ce n'est pas sur ces questions de compétitivité, mais sur les questions aussi de travailler plus longtemps.
François VILLEROY DE GALHAU
En France, le dialogue social fonctionne quand même plutôt mieux que le dialogue politique. Quand je parlais de nous rassembler, je crois que c'est bien d'essayer par le dialogue social. Mais cela ne peut pas creuser davantage le déficit des retraites, parce qu'on accroîtrait encore notre problème de dettes et de charges transférées à nos enfants.
Apolline DE MALHERBE
Alors, est-ce que ça veut dire qu'il faut augmenter les impôts ? Est-ce qu'il faut jouer sur les impôts ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je ne veux pas préjuger du résultat du conclave. Il y a diverses choses qui sont sur la table…
Apolline DE MALHERBE
Mais en tout cas, la question des impôts doit pouvoir exister comme outil ? On a l'impression que ça a été exclu de la table dès le départ par le Gouvernement.
François VILLEROY DE GALHAU
Souvenez-vous du débat de l'automne dernier.
Apolline DE MALHERBE
Oui, vous faisiez partie de ceux qui disaient qu'il faut peut-être augmenter les impôts.
François VILLEROY DE GALHAU
D'ailleurs, il y en a eu. J'avais parlé de hausse d'impôt ciblée sur les grandes entreprises ou sur ceux qui avaient les plus gros revenus...
Apolline DE MALHERBE
Ça vous avait été un peu reproché, on peut même le dire.
François VILLEROY DE GALHAU
Moi, je ne suis pas là pour éviter les critiques, ni d'ailleurs pour les chercher. Je suis là pour être indépendant et aider à trouver un équilibre. J'avais dit à l'époque qu'il fallait que l'essentiel de l'effort public porte sur les dépenses, parce que nous avons beaucoup plus de dépenses que les autres. Donc, aujourd'hui, l'essentiel doit porter sur les dépenses. Il y a divers curseurs qui sont dans le dialogue du conclave, mais on ne peut pas augmenter le déficit des retraites. Il faut au contraire le diminuer. Je vous rappelle, c'est 15 milliards en 2030 ! Et on ne peut pas, non plus, diminuer la quantité de travail dans l'économie française parce que là, on serait sûr de perdre le match économique. Travailler plus, c'est mieux.
Apolline DE MALHERBE
C'est ce que j'allais vous demander.
François VILLEROY DE GALHAU
Ce qui dépend de l'Europe, c'est réveiller l'Europe, en faire enfin une puissance économique autonome. Le rapport Draghi l'a très bien dit, l'ancien Premier ministre italien. En masse, la taille de l'économie américaine et la taille de l'économie européenne sont équivalentes. Simplement, l'économie américaine va nettement plus vite, jusqu'à M. Trump en tout cas, et elle est beaucoup plus attractive parce que c'est un marché intégré. Je résume donc ce qu'il faut faire, ce qu'a proposé la Commission, d'ailleurs, dans ce qu'on appelle la « boussole de compétitivité », à trois I, trois impératifs. Il faut Intégrer plus le marché unique, en supprimant les obstacles internes. Il faut Investir mieux dans les technologies d'avenir. Nous avons beaucoup d'épargne : utilisons l'épargne européenne pour l'avenir européen. Et enfin, il faut, troisième I, innover plus vite. Cela veut dire supprimer ou alléger un certain nombre de réglementations. Il y a trop de bureaucratie. Tout ceci est sur le papier : maintenant, mettons-nous d'accord et surtout, appliquons-le.
Apolline DE MALHERBE
On peut le faire et ce ne sera alors pas juste de l'optimisme, ce sera du réalisme.
François VILLEROY DE GALHAU
C'est ce que j'appelle la détermination. Et si, je vais insister sur ce « Si », si nous le voulons - il faut de la volonté - à ce moment-là, la très mauvaise nouvelle que sont les politiques de M. Trump peut devenir une bonne nouvelle pour l'Europe. Ce peut et ce doit être l'heure de l'Europe.
Apolline DE MALHERBE
Merci François VILLEROY DE GALHAU d'être venu répondre à mes questions, ce matin. Gouverneur de la Banque de France.
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Mise à jour le 20 Mars 2025