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« 10 ans de l’Observatoire de l’inclusion bancaire : un exemple d’efficacité collective »
Mise en ligne le 31 Mars 2025

Paris – 31 mars 2025
Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, cher Pierre,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d’être parmi vous pour célébrer le dixième anniversaire de l’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB). C’est un grand plaisir d’accueillir le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui, en tant que Ministre des Finances, a porté la loi bancaire de 2013 à l’origine de l’Observatoire.

J’ai modestement apporté ma pierre à cet édifice collectif en présidant 21 des 25 réunions de l’OIB depuis septembre 2014. L’Observatoire était né d’une conviction forte, à rebours peut-être de la vue commune : la finance, les banques, peuvent être un levier d’inclusion sociale. Je le dis clairement : la Banque de France, qu’on associe souvent à des missions régaliennes (la monnaie, la stabilité financière) est fière d’avoir aussi des missions sociales, essentielles pour notre Réseau et pour le Gouverneur que je suis.
En 10 ans, l’Observatoire a permis des avancées significatives. En France comme en Europe, à la différence des États-Unis, nous sommes malheureusement plus prompts à déplorer nos échecs qu’à reconnaître nos succès. Il est donc bon ce matin de célébrer une fierté collective, et permettez-moi d’en tirer quelques leçons plus larges pour l’action publique dans notre pays, à l’heure où celui-ci est en plein doute. À l’efficacité publique, il faut au moins trois ingrédients : la durée (I), l’évaluation chiffrée (II), une démarche partenariale et territoriale (III). Mais il n’est pour autant pas question de s’assoupir, et je terminerai par quelques vues prospectives (IV).
I. La durée et la persévérance
La création de l’OIB en 2014 s’insère dans l’histoire longue de l’inclusion bancaire et financière en France sous deux grands volets : l’accès aux services bancaires et la protection des consommateurs de services financiers les plus fragiles.

Dès la loi bancaire de 1984, portée par Jacques Delors – soit près de 30 ans avant le lancement du dispositif européen équivalent –, la procédure de droit au compte (DAC) est créée pour garantir un accès aux services bancaires à tous. La Banque de France met en œuvre cette procédure qui permet à toute personne à laquelle une banque a refusé l’ouverture d’un compte, d’obtenir la désignation d’un établissement pour la fourniture gratuite de services bancaires de base. Même si la France bénéficie d’un des taux de bancarisation les plus élevés d’Europe, à 99,2%, le DAC répond encore aujourd’hui à un besoin réel : 29 300 désignations ont été opérées en 2024. Je note que ce nombre est en diminution régulière (-57% par rapport au pic de 2015), ce qui atteste d’un meilleur accès.
L’inclusion bancaire, c’est aussi protéger les consommateurs de services financiers en situation de fragilité. La loi Neiertzi a institué en 1989 une procédure collective tendant à traiter les situations de surendettement d’ensemble des particuliers. Cette procédure a ensuite été régulièrement améliorée, avec une grande continuité transpartisane, avec les lois Lagardeii en 2010 – sur le crédit renouvelable notamment – puis Hamoniii en 2014 sur la recherche de solutions pérennes pour limiter les redépôts. Aujourd’hui, nous disposons ainsi en France du dispositif de prévention et de traitement du surendettement le plus abouti d’Europe.
II. L’évaluation chiffrée : des engagements et des résultats sur les frais bancaires
J’ai parlé de la longue durée ; venons-en au présent et aux progrès significatifs permis par l’OIB en trois temps : des chiffres, des engagements et des résultats.
Les chiffres sont tout d’abord essentiels : la fragilité financière des particuliers est détectée par les établissements de crédit grâce à des mécanismes mis en place sous l’impulsion de l’Observatoire. Ainsi, 4,3 millions de personnes étaient identifiées comme fragiles financièrement en décembre 2023 (+86% par rapport à 2015). Cette quantification plus élevée ne traduit pas une dégradation, mais une bien meilleure identification des situations de fragilité ; et elle est une étape préalable à la mise en œuvre de mesures de protection adaptées, notamment en termes de frais bancaires. Ces chiffres ont suscité des engagements des établissements de crédit et des pouvoirs publics. Plusieurs exemples récents en sont la preuve. En 2018, la profession bancaire s’est engagée à mieux diffuser l’offre clientèle fragile (OCF) et à appliquer un plafonnement des frais d’incidents bancaires. En 2020, ces engagements ont été intégrés à la deuxième version de la Charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement, qui prévoit des plafonds de 20 euros par mois et 200 euros par an pour les bénéficiaires de l’OCF, et de 25 euros par mois pour la population identifiée comme fragile financièrement. Le décret du 20 juillet 2020iv a aussi permis de modifier les critères de la détection des situations de fragilité financière en permettant une identification plus précoce et plus large des clients concernés.
Ces engagements ont permis des résultats concrets. La détection des clients en fragilité financière est de plus en plus précoce; et davantage de personnes en situation de fragilité financière souscrivent à l’OCF. Les bénéficiaires de cette offre, qui protège les clients fragiles qui acceptent d’y souscrire, étaient plus d’un million fin 2023, soit +320% par rapport à 2015.

Les frais bancaires des clients fragiles financièrement ont connu une baisse significative : -32% entre 2018 et 2023 sur l’ensemble des frais bancaires liés au compte, passant de 304 euros à 207 euros par an ; et -25% entre 2019 et 2023 sur les frais d’incidents bancaires, passant de 151 euros à 113 euros.

Le problème des frais bancaires était extrêmement sensible ; la presse s’en est fait souvent l’écho. Il n’a pas disparu mais il s’est significativement réduit.
III. Une démarche partenariale et territoriale
L’OIB incarne également la réussite d’une démarche partenariale et territoriale pour prévenir l’exclusion financière. Il n’est pas si usuel, ni si facile, de réunir régulièrement trois parties très différentes : les six principaux établissements bancaires ; six associations et organismes sociaux et les pouvoirs publics. Permettez-moi de saluer trois de leurs succès communs.

La création en 2022 des conseils départementaux d’inclusion financière (CDIF), a tout d’abord permis de relayer efficacement au niveau des territoires les actions de l’OIB, et de mieux capter les difficultés et initiatives locales. Les actions EDUCFI de la Banque de France, opératrice de la stratégie nationale d’éducation financière depuis 2016, procèdent aussi d’une démarche partenariale. Elles ont permis de sensibiliser un grand nombre d’acteurs de l’inclusion financière aux outils et à l’offre EDUCFI : 9 600 enseignants, 30 000 intervenants sociaux et 3 500 accompagnateurs d’entreprises en 2024. Durant la semaine de l’éducation financière, qui s’est tenue cette année du 17 au 23 mars, la Banque de France et ses partenaires se sont mobilisés pour animer plus de 500 ateliers d’éducation budgétaire et financière sur tout le territoire. Cette semaine – dont le thème incitait en particulier les jeunes à la vigilance concernant leurs finances – a bénéficié d’une forte visibilité dans les médias et sur les réseaux sociaux, preuve de l’intérêt accru des Français pour développer leurs connaissances financières. Je mentionnerai enfin les 500 points conseil budget (PCB) implantés en France depuis 2021 : ces structures d’accueil labellisées par l’Etat et portées, entre autres, par des associations ou CCAS membres de l’OIB, permettent à toute personne intéressée de bénéficier d’orientations de façon personnalisée, gratuite et confidentielle.
IV. Construire pour l’avenir
Nous devons désormais pérenniser les acquis considérables issus des actions de l’OIB, tout en restant vigilants face à la conjoncture du surendettement et aux risques émergents.

Je commencerai par une nouvelle plutôt encourageante sur le nombre de dossiers de surendettement déposés. Sur les deux premiers mois de l’année 2025, la hausse du nombre de dépôts confirme sa décélération observée en fin d’année 2024, à +3% par rapport à la même période début 2024. Nous anticipons une hausse limitée de cet ordre sur l’ensemble de l’année 2025. Les effets positifs du recul de l’inflation – avec les gains de pouvoir d’achat associés – devraient contrebalancer des perspectives moins favorables sur le marché du travail. Ces évolutions s’inscrivent néanmoins dans un mouvement de baisse des dépôts de dossiers de surendettement sur le long terme : leur nombre en 2024 était sensiblement inférieur à celui de la période pré-pandémique (- 6%) et très en-deçà du niveau d’il y a 10 ans (- 42% par rapport à 2024)vi.

Au-delà de ces éléments de conjoncture, je mentionnerai trois points d’attention. La diffusion croissante de nouveaux produits, comme les mini-crédits ou les paiements fractionnés, fait peser des risques accrus sur les publics fragiles, dont les plus jeunes. La transposition de la récente directive sur le crédit à la consommation devrait permettre de mieux encadrer ces nouvelles formes de crédit. Et je recommande la consultation systématique du FICPvii par tous les acteurs avant l’octroi d’un crédit : cela irait dans le sens d’une meilleure protection du consommateur et de la prévention des difficultés financières et du surendettement. Le microcrédit est aussi un outil efficace d’inclusion financière dont les encours ont dépassé les 2 milliards d’euros fin 2023. Nous suivons donc avec une vigilance particulière les évolutions de l’écosystème ainsi que les récentes alertes sur le financement de son accompagnement. Cet accompagnement est réalisé aujourd’hui par des associations et des structures sociales qui suivent le bénéficiaire tout au long de son parcours ; il est, je le rappelle, la caractéristique essentielle et la clé de la réussite du dispositif français de microcrédit. Enfin, concernant le droit au compte, la Banque de France est désormais prête à dématérialiser les courriers de désignation – ce qui avait été recommandé en 2021 par la Cour des comptesviii – pour accélérer encore une procédure déjà considérablement simplifiée ces dernières années : les acteurs bancaires doivent maintenant faire leur part en adhérant à ce projet d’ici la fin de l’année 2025. J’espère ici que le volontariat nous évitera d’avoir recours à l’obligation.
Je finirai par ces mots de Victor Hugo: « Tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli »ix . Nous vivons aujourd’hui, dans le monde un retournement historique ; et la réponse de notre pays risque de ne pas être à la hauteur de l’histoire, ni de notre devoir, je le dis avec un peu de gravité. À sa modeste place, cette décennie d’OIB nous apprend pourtant les ressorts du sursaut pour élever notre niveau de débat et d’action : la durée et la persévérance ; l’évaluation chiffrée, du constat ex ante aux résultats ; une démarche partenariale et territoriale ; et une vigilance en éveil pour l’avenir. L’OIB a su allonger l’horizon de temps, au-delà des fixations successives de l’instant ; et l’OIB a su rassembler, au-delà des zizanies franco-françaises. Comptez plus largement sur la Banque de France – et sans doute, cher Pierre, sur la Cour des comptes – pour inspirer cet esprit plus que jamais, forte de son indépendance et de ses missions de stabilité.
iLoi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers
iiLoi n°2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation
iiiLoi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
ivDécret n°2020-889 du 20 juillet 2020 modifiant les conditions d'appréciation par les établissements de crédit de la situation de fragilité financière de leurs clients titulaires de compte
vCentre communal d’action sociale
viBanque de France, Enquête typologique sur le surendettement des ménages en 2024, février 2025
viiFichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers
viiiCour des comptes, « Les politiques publiques en faveur de l’inclusion bancaire et de la prévention du surendettement : des outils adaptés, une mise en œuvre à conforter », Rapport public annuel 2021 – Tome II, avril 2021
ixHugo (V.), « Détruire la misère », discours, 9 juillet 1849
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Mise à jour le 3 Avril 2025