Interview

France Inter : « Quand une banque voit son cours baisser, cela ne change en rien sa solidité »

Intervenant

François Villeroy de Galhau – Interventions

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mise en ligne le 20 Mars 2023

François Villeroy de Galhau intervention

L'INVITE DE 7H50 – Le 20/03/2023
Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

 

Léa SALAME

Bonjour François VILLEROY DE GALHAU.

François VILLEROY DE GALHAU

Bonjour Léa SALAME.

Léa SALAME

Merci d’être avec nous ce matin. Beaucoup de questions à vous poser sur la situation économique avec la parution aujourd’hui de vos projections macro-économiques à la Banque de France, mais d’abord, évidemment, un mot sur la crise bancaire, si vous le voulez bien, on a appris hier soir que UBS avait accepté, sous pression du gouvernement fédéral suisse, d’acheter le CREDIT SUISSE en perdition. Est-ce que ça va suffire à éviter la faillite du CREDIT SUISSE, et surtout, à apaiser, à rassurer les marchés, la clôture des marchés asiatiques, là, il y a quelques minutes, à Tokyo et à Hongkong, ils terminent en baisse, ils clôturent en baisse.

François VILLEROY DE GALHAU

Je crois qu’il faut revenir sur ce qui s’est passé la semaine dernière : il y a deux séries de problèmes bancaires, tous les deux en dehors d’Europe, et qui ne concernent pas les banques françaises et européennes. Il y a d’abord un problème aux Etats-Unis : il se trouve qu’il y a nombre de banques moyennes qui n’ont pas été soumises aux Etats-Unis aux règles de sécurité qui ont été adoptées après 2008, vous vous souvenez peut-être, c’est ce qu’on appelle « Bâle 3 ». Bâle 3 en Europe s’applique à plus de 400 banques. Aux Etats-Unis, cela s’applique seulement à 13 banques.

Léa SALAME

Oui, c’était une décision de Donald TRUMP qui avait dit…

François VILLEROY DE GALHAU

Malheureusement, c’est une décision de l’administration TRUMP…

Léa SALAME

Pour les petites et les moyennes banques.

François VILLEROY DE GALHAU

Et cette Silicon Valley Bank, dont on a parlé la semaine dernière, n’était pas soumise aux règles de Bâle 3. Et puis, il y a le problème spécifique de CREDIT SUISSE. On savait depuis quelques années que c’était une banque à problèmes : c’était une banque qui perdait de l’argent, qui avait pris beaucoup de mauvais risques, c’est même une banque qui avait eu un certain nombre de scandales de réputation. Donc les autorités suisses, ce week-end, se sont beaucoup mobilisées pour finaliser un rapprochement avec UBS, l’autre banque suisse, qui, elle, est en bonne santé. Aucun de ces problèmes, il faut le souligner, ne concerne les banques françaises. Elles ont un modèle d’activité qui est diversifié et qui est profitable ; elles ont un contrôle des risques qui est fort, et surtout, elles ont des réserves très importantes de liquidités, et de capital…

Léa SALAME

Et pourtant…

François VILLEROY DE GALHAU

Pour le dire simplement, les banques françaises sont très solides.

Léa SALAME

Oui, et pourtant, la semaine dernière, elles ont dévissé, les banques françaises, BNP et la SOCIETE GENERALE ont perdu 10 %, ça, ce n’est pas…

François VILLEROY DE GALHAU

Votre question est l’occasion de donner une précision importante sur la variation des cours de Bourse dont vous parlez. Effectivement, les valeurs de Bourse de toutes les banques dans le monde ont été très volatiles ces derniers jours, et vont peut-être le rester encore quelques jours. Mais quand le cours d’une banque, d’une action bancaire, baisse par exemple de 5 %, cela ne change en rien sa solidité. Elle ne perd pas un euro de trésorerie ou de fonds propres. Cela c’est une précision importante pour ceux et celles qui nous écoutent…

Léa SALAME

Donc pas de panique, c’est ce que vous nous dites ce matin, pas de panique ?

François VILLEROY DE GALHAU

Ce n’est même pas une question de panique : c’est qu’il n’y a pas de sujet concernant les banques françaises

Léa SALAME

Il n’y a pas de sujet concernant les banques françaises. Et il n’y en aura pas cette année ?

François VILLEROY DE GALHAU

J’ai parlé des variations possibles du cours de Bourse, mais leur solidité de fond est totale. Elles ne sont pas concernées par ce qui s'est passé aux Etats-Unis, d'un côté, et sur CREDIT SUISSE de l'autre, qui est en voie de règlement.

Léa SALAME

Il n’y a pas d'autre établissement bancaire aujourd'hui dans le monde qui vous inquiète ?

François VILLEROY DE GALHAU

Nous sommes en charge des banques françaises, et plus largement européennes, et là-dessus je vous ai répondu très clairement.

Léa SALAME

Dans ce contexte, la décision de la BCE d'augmenter ses taux jeudi dernier de 0,5 % a été critiquée par certains, il faut dire que la BCE, que Christine LAGARDE sont dans un dilemme compliqué, on n’aimerait pas être à leur place, d'un côté, augmenter les taux, ça permet d'enrayer l'inflation, et de l'autre, eh bien, baisser les taux, ça permet de protéger le système bancaire, ils ont choisi pour l'instant d'augmenter les taux, donc de viser l'inflation plus que la fragilité du système bancaire, ça devrait vous rassurer, c'est ça ?

François VILLEROY DE GALHAU

Je crois que cette décision de monter les taux d'un demi pour cent a été plutôt bien accueillie. C'est d'ailleurs ce que nous avions annoncé à l'avance. Cela a montré notre confiance, à la fois dans la solidité des banques françaises et européennes, j'en ai parlé, et dans notre stratégie anti-inflation. Notre responsabilité, comme Banque centrale, c'est de ramener l'inflation vers 2 % d'ici fin 2024 à fin 2025 : je redis ce matin cet engagement. Nous avons aussi dit que pour l'avenir, nous passerions d'une forme de pilotage automatique, qui avait existé jusqu'à présent, à ce que j'appellerais un « pilotage aux instruments », c'est-à-dire que nous déciderons, réunion par réunion, en fonction des données économiques. Mais nous restons déterminés à vaincre l'inflation ; c'est d'ailleurs cohérent avec les prévisions économiques que nous publions ce matin.

Léa SALAME

Alors, on y va, justement, vos prévisions économiques, trimestrielles de la Banque de France, donc comment va la France, et comment elle va aller dans les mois qui viennent, on va commencer évidemment par l'inflation, elle s'élève à 6,3 %, elle s'élevait à 6,3 % en février, va-t-elle commencé à refluer, et à partir de quand ?

François VILLEROY DE GALHAU

L’inflation devrait commencer à baisser d'ici le mois de juin ; elle devrait connaître son pic au cours de ce premier semestre, puis continuer à baisser sur la deuxième moitié de l'année.  Mais cela ne suffira pas, l’inflation restera trop élevée en fin d'année, d'où la mobilisation dont je parlais à l’instant, pour la ramener vers 2 % d'ici fin 2024 à fin 2025. Il faut rentrer un peu plus dans la composition de cette inflation, parce qu'il y a deux catégories de prix qui sont extrêmement sensibles pour nos concitoyens : il y a eu les prix de l'énergie, souvenez-vous, on en parlait énormément l'année dernière, et puis, aujourd'hui, ce sont les prix alimentaires.

Léa SALAME

Alors, les prix de l'énergie, ils sont légèrement maîtrisés.

François VILLEROY DE GALHAU

C’est cela qui explique que dans nos prévisions de ce matin, il y ait un peu moins d'inflation en 2023 que ce que nous attendions en décembre dernier, et qui explique que l'inflation va commencer à baisser cette année. Aujourd’hui, le souci de ceux qui nous écoutent, ce sont bien sûr les prix alimentaires.

Léa SALAME

Alors, plus 15 %, pardon, juste pour rappeler, les prix alimentaires ont augmenté de plus de 15 %, sur certains produits, plus de 20 %, même plus, le paquet de pâtes et la bouteille d'huile d'olive, pour être très concret, ils vont être encore plus chers dans les semaines qui viennent, ça va continuer à augmenter, François VILLEROY DE GALHAU ?

François VILLEROY DE GALHAU

Les prix de l'alimentation ont ceci de commun avec les prix de l'énergie qu’ils sont extrêmement volatiles, c'est-à-dire qu'ils peuvent bouger beaucoup. Évidemment, nous y sommes tous très sensibles, parce que ce sont nos achats les plus fréquents. Il devrait se passer sur l'alimentation ce qui s’est passé sur l'énergie : avec un décalage de quelques trimestres, l'inversion qu'on a vue sur les prix agricoles mondiaux -qui ont commencé à baisser à la fin de l'année dernière- devrait se retrouver dans les rayons au cours de cette année.

Nous regardons aussi l'inflation hors énergie et alimentation, parce que celle-ci est moins volatile. Et elle représente en fait les trois quarts de notre consommation, ce sont les services, -les transports, l'hôtellerie restauration, les loyers-, et les biens manufacturés que nous achetons…

Léa SALAME

Et alors ?

François VILLEROY DE GALHAU

Sur ces trois autres quarts, il faut être aussi extrêmement vigilant. On en parle moins souvent : l'inflation y est un peu moins élevée, autour de 4 % pour ce qu'on appelle l'inflation sous-jacente, mais c'est là justement que la politique monétaire, les mouvements de taux d'intérêt dont nous parlions sont efficaces pour ramener l'inflation vers 2 %. On ne peut pas se permettre de laisser l'inflation s'installer, c'est une maladie économique et sociale ; nous sommes là pour la soigner.

Léa SALAME

Je vous repose la question sur les prix alimentaires, parce que dans vos projections qui sont publiées en exclusivité ce matin, vous êtes sur Inter, vous dites qu'il y aura un pic à la fin de ce semestre. Est-ce à dire qu'il y aura un juin rouge, comme on a entendu un mars rouge, sur les prix alimentaires, que ça va flamber de manière délirante en mai-juin ?

François VILLEROY DE GALHAU

Je ne crois pas qu'il y ait de « mois rouge », mais il y a évidemment un point d'attention, et une période de prix alimentaires élevés, qui est très sensible pour nos concitoyens. Ce qu'on peut espérer au mois de juin, puisque Bercy a annoncé qu'il y aurait alors une réouverture de négociations entre les distributeurs et les industriels, c'est que ces nouvelles négociations enregistrent la baisse des prix agricoles mondiaux dont je vous parlais.

Léa SALAME

La croissance à présent, le gouvernement parie toujours sur 1 % de croissance en 2023, c’est crédible ou il rêve un petit peu ?

François VILLEROY DE GALHAU

Nous avions une prévision de croissance au mois de décembre qui était de 0,3 %, et nous la remontons un peu dans nos prévisions de ce matin à 0,6 %.

Léa SALAME

Vous la doublez ?

François VILLEROY DE GALHAU

C’est un doublement, même si cela reste un ralentissement assez fort de l'économie. L’économie française, je le dis ce matin, devrait échapper à la récession en 2023 : cela c'est une relativement bonne nouvelle, souvenez-vous, c'était une très grande inquiétude de l'automne dernier. C’est lié aussi à la baisse des prix de l'énergie, et à une certaine confiance des entrepreneurs que nous interrogeons.

Léa SALAME

Deux questions encore, vous prévoyez par contre une hausse du chômage dans les prochains mois, aujourd'hui, il est autour de 7 %, au plus bas depuis longtemps, ça va augmenter, quoi, à 8, 9 % ?

François VILLEROY DE GALHAU

Il y aurait une remontée limitée du chômage, liée à ce ralentissement de l'économie, qui pourrait remonter un peu au-dessus de 8 %, avant de rebaisser ensuite d'ici 2025, avec la reprise de l’activité économique.

Léa SALAME

Donc vous voyez un point de chômage en plus, ce n’est pas négligeable…

François VILLEROY DE GALHAU

Je souligne que 8 %, c'est évidemment trop, et nous sommes trop loin du plein emploi. Je crois d'ailleurs qu'il faut nous mobiliser pour cela par un certain nombre de transformations de l'économie française. Mais c'est nettement inférieur à des taux de chômage qu'on a connus dans le passé, dans les précédents ralentissements économiques : souvenez-vous, malheureusement, on était à 10 % ou plus de chômage. L'économie française, et l'économie européenne en général, a créé beaucoup d'emplois depuis trois ans : c'est une surprise positive.

Léa SALAME

Dernière question très rapidement, pour justifier l'usage du 49.3 au Parlement, Emmanuel MACRON a parlé de risques financiers, je considère qu'en l'état, les risques financiers économiques sont trop grands pour aller au vote, a-t-il déclaré, dites-le-nous sans langue de bois, il y a des risques financiers aujourd'hui si la réforme des retraites n'était pas adoptée ?

François VILLEROY DE GALHAU

Léa SALAME, je ne vais pas vous surprendre beaucoup. Je n'ai aucun commentaire à faire sur la réforme des retraites ou sur l'usage du 49.3…

Léa SALAME

Non, ce n’était pas ma question…

François VILLEROY DE GALHAU

La Banque de France est indépendante du gouvernement et de toute force politique. Elle est au service de tous les Français, avec beaucoup de missions dont nous avons parlé ce matin...

Léa SALAME

Y a-t-il des risques financiers aujourd'hui ?

François VILLEROY DE GALHAU

Il y a des risques dans l'ensemble de l'économie dans la situation où nous sommes, et dans les crises que nous traversons depuis 3 ans. Mais ce n'est pas à la Banque de France de décider ce qu'il faut faire sur la réforme des retraites. Elle a beaucoup de missions pour lutter contre l'inflation, garantir le bon financement de l’économie ou lutter contre le changement climatique dont nous parlions tout à l’heure.

Léa SALAME

La prudence de François VILLEROY DE GALHAU…

François VILLEROY DE GALHAU

C’est la fidélité à nos missions, au service de tous les Français.

Léa SALAME

Je vous remercie, et très belle journée à vous.

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Mise à jour le 25 Juillet 2024