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L’inflation, ses coûts au quotidien et le rôle de la politique monétaire [de l’Eurosystème]
Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Published on the 15th of February 2024
Rencontres de Nantes avec les acteurs de la vie économique et de l’inclusion financière - 15 février 2024
Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur
Madame la Directrice régionale des Finances Publiques, Madame la Directrice Régionale de France Travail, Monsieur le Haut-Commissaire à la pauvreté pour les pays de la Loire, mesdames et messieurs, merci de participer à cet échange auquel nous a conviés la Directrice Régionale de la Banque de France, chère Simone, entre acteurs de l’inclusion financière et de la vie économique, sur un sujet je crois qui fait consensus entre nous : la période d’inflation que nous vivons est un coût majeur dans nos vies quotidiennes et elle pèse non seulement sur l’économie mais aussi sur la population et notamment les plus fragiles. Cela fait également consensus parmi les économistes. Ainsi, l’économiste John Maynard Keynes, dans un livre de 1940 à l’adresse du ministre britannique de l’économie,1 déconseillait toute politique économique pouvant entretenir l’inflation parce que, écrivait-il, l’inflation est « d’autant plus coûteuse pour ceux qui ont les revenus les plus modestes ».
Le constat est toujours valable comme le montrent les principaux faits que nous connaissons quant à l’impact de l’inflation de 2022 et 2023 sur la population française que je vais commencer par résumer, avant d’expliquer le rôle joué par la Banque de France et l’Eurosystème pour contrer cette vague inflationniste.
Tout d’abord, l’inflation est un problème pour tous les Français et particulièrement les plus fragiles.
Quand on interroge les Français sur les deux enjeux les plus importants pour eux et pour la France, leur réponse est claire. L’inflation et le pouvoir d’achat est le problème numéro 1 dans leur vie quotidienne pour plus de 60% des Français, loin devant la santé mentionnée par 18% des sondés [slide 2]2. L’inflation et le pouvoir d’achat sont un problème majeur du quotidien depuis le premier semestre 2022. On obtient la même réponse quand on interroge les ménages sur les enjeux prioritaires de notre pays. Parmi une quinzaine de propositions (dont le graphique ne représente que les plus significatifs dans le débat public), 44% des Français répondent que l‘inflation est le principal problème pour la France. [slide 3].
Depuis son pic à 7,2% en février dernier, l’inflation est cependant en train de baisser [slide 4]. L’INSEE a annoncé qu’elle s’est élevée à 3,4% en janvier 2024 contre 4,1% en décembre. Je reviendrai sur ce point, mais à la Banque de France et dans l’Eurosystème, nous considérons que, malgré une désinflation soutenue, ce niveau demeure trop élevé. Et nous agissons pour remplir le mandat que les Français nous ont confié lorsqu’ils ont choisi d’adopter l’euro, celui d’assurer la stabilité des prix, définie comme une inflation de 2% par an en moyenne.
Si l’inflation est un coût pour l’économie, c’est particulièrement un problème pour les ménages les plus contraints financièrement. Nous le savons par notre expérience quotidienne, les Français le disent. Les études que nous faisons depuis deux ans sur la perception de l’inflation en France montrent que l’inflation est identifiée comme le problème économique le plus important par les ménages appartenant aux catégories sociales les moins favorisées, les moins diplômés et ceux ayant un revenu inférieur à 2000 € par mois3. Pour mettre des chiffres sur les coûts de l’inflation dans la vie quotidienne des Français, la Banque de France a conduit une enquête auprès de près de 3 000 Français dont nous avons publié les résultats il y a un mois. Ils montrent combien l’inflation est durement ressentie et conduit à des situations difficiles. [slide 5]
38% des Français et 48% des plus modestes, c’est-à-dire les 30% les moins aisés, ont été, ces douze derniers mois, plus souvent à découvert que les années précédentes. Près de la moitié des Français ont donc été conduits à puiser dans leur épargne, à temporiser sur des dépenses ou à demander de l’aide. Environ un quart des plus modestes déclarent avoir demandé une aide sociale ou à leur famille [slide 6]. Et plus de 71% des plus modestes ont été forcés de repousser ou de renoncer à au moins une dépense [slide 7]. Parmi ceux-ci, plus de 40% ont dû repousser ou abandonner des dépenses de courses alimentaires. Et 41% des ménages les plus modestes ont eu recours à un arrangement bancaire, comme un échelonnement, et 26% n’ont pas pu payer une de leurs factures.
Ce sont des chiffres trop élevés, Pour aider les ménages en difficulté, nous travaillons activement à la Banque de France avec les 500 Points de conseil budget, les assistantes sociales, les associations. Nous réunissons dans chaque département un Conseil de l’inclusion financière. Nous avons en outre développé un volet d’éducation financière afin d’aider les familles à bien gérer leur budget. Nous avons aussi agi pour que les banques diminuent les frais bancaires appliqués à ces personnes. Nous gérons également un outil de prévention du surendettement, le fichier des incidents de crédits déclarés par les banques. Le nombre d’incidents est plutôt stable ces derniers mois.
Nous pensons que ce travail de prévention et d’accompagnement auquel nous contribuons tous explique en partie que l’on ne constate pas en moyenne de lien fort entre les difficultés créées par l’inflation et l’augmentation de 8% des dossiers de surendettement que l’on a constatée l’an passé.4 Mais, notre première mission c’est d’agir pour faire baisser l’inflation, et donc supprimer cette source de difficultés dans la vie quotidienne. Pour cela, nous avons utilisé la politique monétaire, en remontant les taux d’intérêt jusqu’à 4%. Cela a été efficace.
Pourquoi et surtout comment la politique monétaire ont permis de faire refluer l’inflation ?
On connait l’origine de l’inflation actuelle. Notre économie a connu deux chocs importants à quelques années d’écart : le Covid et la guerre en Ukraine. Comme l’a montré une étude récente de la Banque de France, la transmission de ce type de choc aux prix à la consommation est particulièrement rapide et forte quand le choc est important.5
La guerre en Ukraine a ainsi en particulier créé deux vagues d’inflation : sur l’énergie en 2022 et sur l’alimentation en 2023. Celle sur l’énergie s’estompe [slide 8] : les prix du gaz et de l’électricité sont revenus à leur niveau de la fin 2021, même s’ils sont encore supérieurs à leur niveau moyen des années 2010.
La contribution des prix alimentaires à l’inflation est également en reflux. Sur les 12 derniers mois, c’est-à-dire entre janvier 2023 et janvier 2024, la hausse des prix de l’alimentaire a été de 6,9%. Celle sur l’énergie de 1,9%, celle sur les biens manufacturés de 1% et celle sur les services de 3.5%. Comme le montre le graphique de droite [slide 9], notre prévision est un net reflux sur l’alimentaire en 2024, comparé à 2023 [ceci se voit avec les barres violettes]. Cette désinflation devrait également se poursuivre sur tout le reste de notre consommation, c’est-à-dire les biens et les services, même si celle sur les services prend plus de temps, et l’inflation devrait revenir à un niveau proche de 2% dès la fin de cette année.
À quoi est dû ce reflux de l’inflation ?
Si une partie est dûe à la baisse des cours mondiaux de l’alimentaire et de l’énergie, l’autre partie est dûe à l’action résolue des banques centrales.
Même si c’est surprenant, c’est vrai pour le pétrole. En effet, si l’action d’une seule banque centrale comme l’Eurosystème n’a normalement pas d’impact sur les cours du pétrole, l’Agence Internationale de l’Énergie a estimé que les cours avaient été réduits en 2023 par la baisse de la demande mondiale en lien avec l’augmentation des taux d’intérêt par l’ensemble des banques centrales du monde6.
Mais l’action résolue de l’Eurosystème a aussi permis de réduire l’inflation sur les biens et les services en France. Notre action repose sur 2 outils [slide 10]. Tout d’abord, l’outil des taux d’intérêt directeurs qui ont atteint 4% à la fin de l’été dernier. Le deuxième outil est celui de la communication sur la détermination à remplir notre mandat en ramenant l’inflation à 2% par an. Ce que les économistes appellent le canal des anticipations de l’inflation future [slide 11].
Comment agissent ces deux outils sur la progression des prix ?
Le canal d’action traditionnellement discuté en économie est la baisse de la demande. Le canal a joué en France, mais si l’activité en France a été réduite en 2023, par rapport à 2022, elle est restée résiliente avec une croissance du PIB de 0,9% en 2023. Ainsi, si nous sommes aujourd’hui dans une conjoncture ralentie, nous allons néanmoins échapper au scénario noir que certains redoutaient. Notre prévision est en effet que nous allons sortir de l’inflation sans récession. Pour cette année, la baisse de l’inflation devrait même générer plus de pouvoir d’achat pour les ménages, et donc plus de consommation. Dès à présent, les prix augmentent moins vite que la moyenne des salaires, ce qui devrait contribuer à soutenir la demande et constituer le principal moteur de la réaccélération progressive de l’activité que nous anticipons.
L’autre canal, celui des anticipations, vise à garantir l’ancrage de la valeur de la monnaie. Comme la banque centrale ne fixe pas les prix, ce canal passe par deux types de communication vers les acteurs économiques, salariés et entreprises. Premièrement, la Banque centrale informe sur l’état de l’économie dans son ensemble, et notamment sur l’évolution de la pression sur les prix et sur la source de l’inflation. Deuxièmement, la banque centrale informe les acteurs de l’économie du processus de décision utilisé pour les modifications de taux d’intérêt.
Depuis le début de cette vague d’inflation, le Conseil des Gouverneurs de la BCE a adopté une communication claire et univoque que l’inflation est la seule boussole utilisée pour modifier les taux directeurs. C’est en effet le mandat confié lors de la création de l’Euro par l’ensemble des états ayant adopté l’Euro.
Par ailleurs, pour informer sur l’état de l’économie et son évolution future, la Banque de France publie ses projections d’inflation à un horizon de 3 ans. Pour réaliser ces projections, nous prenons en compte à la fois la situation actuelle de l’économie telle que déterminée par exemple par les prix mondiaux ou la demande extérieure mais également la situation de l’activité telle que nous la mesurons dans notre Enquête Mensuelle de Conjoncture menée auprès de 8500 entreprises. Par ailleurs nous prenons aussi en compte l’évolution future des taux d’intérêt que perçoivent les marchés financiers, et l’impact de cette évolution sur l’activité et les prix.
Ces deux types de communication permettent ainsi de lutter contre le risque d’une spirale auto-entretenue d’inflation par l’anticipation qu’une augmentation plus forte des prix dans le futur, conduisant chaque acteur économique à agir comme si l’inflation s’installait, contribue à exercer une pression à la hausse sur l’inflation présente.
Nous ne voyons pas pour l’instant de signe d’installation de cette spirale. En témoigne l’évolution des négociations des salaires dont la croissance annuelle semble se ralentir et s’établir pour 2024 sur un rythme de 4% contre 5% en 2023.
En témoigne également l’évolution récente des anticipations d’inflation, que nous mesurons par enquête auprès des entreprises et des ménages, qui montre qu’après une hausse de la médiane des anticipations au cours de l’année 2022, leur évolution est orientée à la baisse depuis l’été dernier [slide 12]. La combinaison d’une inflation qui ralentit et d’une baisse des anticipations d’inflation crédibilise la perspective d’une poursuite de la désinflation et notre engagement de ramener l’inflation à 2% d’ici l’année prochaine. C’est pour cela que le Gouverneur de la Banque de France a indiqué que les taux d’intérêt devraient baisser cette année.
Un autre facteur rassurant sur l’évolution de l’inflation est le retour au niveau de la période de basse inflation de la proportion d’entreprises déclarant dans l’Enquête Mensuelle de conjoncture qu’ils ont augmenté leur prix au cours du mois précédent et la proportion de celles indiquant des baisses de prix augmente notablement dans l’industrie et le bâtiment.
Quantifier l’importance relative du canal du taux d’intérêt et de celui des anticipations est difficile. Cependant, la résilience de l’économie française et d’autres économies de la zone euro comme l’Espagne ou l’Italie, ainsi que la bonne tenue de l’emploi au cours de l’année 2023 suggère que, contrairement à une idée trop souvent avancée par les économistes, la lutte contre l’inflation ne suppose pas nécessairement d’y sacrifier l’activité et l’emploi. Plusieurs éléments ont joué en faveur de cette résilience, et l’importance des amortisseurs comme le bouclier tarifaire pour les ménages et certaines petites et moyennes entreprises ainsi que la revalorisation du SMIC et des minima sociaux ne doivent pas être minimisées. L’économie française traverse toutefois cet hiver une période plus terne, avec une remontée du chômage et des défaillances d’entreprises. Celles-ci sont toutes deux cependant encore inférieures à leur niveau de 2019 et bien inférieures à leur niveau moyen d’avant la crise sanitaire [slide 13]. Néanmoins, la Banque de France est fortement mobilisée pour accompagner les entreprises et les ménages dans cette période.
Mais les perspectives demeurent encourageantes et je voudrais conclure sur ce point.
La désinflation, en l’absence de nouveau choc externe, devrait se poursuivre et le retour à la stabilité des prix intervenir au plus tard en 2025. Et, il devrait s’accompagner d’une reaccélération progressive de l’activité.
Je vous remercie de votre attention.
1John Maynard Keynes, 1940, How to pay for the war (p. 29): “Inflation will also be the most burdensome on the smallest incomes.”
2Source : Eurobaromètre du parlement et de la commission européenne, Eurobaromètre (europa.eu), réponses à la question « Personnellement, quels sont les deux problèmes les plus importants auxquels vous faites face en ce moment? ».
3Source : sondage CSA-Banque de France, voir les articles du Bulletin Les Français et l’inflation en 2022 | Banque de France (banque-france.fr) ainsi que l’actualisation faite en 2023 des résultats du sondage 2023 : Les Français et l’inflation en 2023 – Le triangle vertueux « information, connaissance, confiance » favorise la stabilité des prix | Banque de France (banque-france.fr)
4L’utilisation du cash par les plus modestes d’après l’enquête CREDOC n’est pas particulièrement différente. 13% des Français utilisent les espèces contre 16% pour les plus modestes tandis que les paiements par carte sont utilisés par respectivement 75% et 82%. On note en revanche que pour payer les courses, les plus modestes sont 22% à payer soit en espèces soit en chèque contre seulement 17% des Français.
5Pourquoi les prix transmettent plus vite les chocs de grande ampleur | Banque de France (banque-france.fr)
6Voir les différents rapports publiés en 2023 par l’Agence Internationale de l’énergie, par exemple celui de mai 2023 (Oil Market Report - May 2023 – Analysis - IEA ou celui d’octobre 2023 Oil Market Report - October 2023 – Analysis - IEA.
Updated on the 25th of July 2024