Discours

Enjeux et nouvelles perspectives pour les MNBC

Denis Beau Intervention

Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France

Published on the 16th of November 2023

Denis Beau Intervention

6èmes Assises des Technologies Financières

16 novembre 2023

Discours de Denis BEAU, Premier sous-gouverneur de la Banque de France 

 [Slide 1 : introduction]


Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de me permettre d’ouvrir cette sixième édition des Assises des Technologies Financières. 

Cette édition tombe à point nommé, puisque l’Eurosystème a récemment fait des annonces importantes pour soutenir notre souveraineté monétaire, dont la monnaie de banque centrale est la meilleure incarnation, et plus précisément dans les paiements. Je veux parler ici des travaux que nous conduisons sur les monnaies numériques de banque centrale : l’une pour les acteurs financiers (la MNBC interbancaire), l’autre pour le grand public (l’euro numérique). Ces projets, qui sont menés en parallèle, et sur lesquels je vous propose de faire un point dans mes propos introductifs à cette conférence,  sont les deux faces d’une même stratégie au service de la souveraineté et la stabilité monétaire et financière ; des objectifs qui sont intimement liés, et au cœur des missions de la Banque de France et de l’Eurosystème.


 [Slide 2 : transition « face interbancaire »]


I. Face « interbancaire » : adapter la monnaie centrale à la tokenisation de la finance et améliorer les paiements transfrontières


[Slide 3 : La MNBC interbancaire : accompagner la tokenisation des actifs]


À l’ère de la tokenisation des actifs financiers et du développement possible d’infrastructures décentralisées de type blockchain pour les échanger, nous devons faire en sorte que la monnaie de banque centrale reste l’actif de règlement privilégié pour les transactions entre institutions financières. Il faut pour cela que la monnaie centrale suive le mouvement de tokenisation de la finance, et mieux encore : qu’elle l’accompagne pour contribuer à construire un environnement d’innovation sécurisé. Pour cela, la monnaie centrale doit être adaptée au  règlement des opérations de marché portant sur des actifs tokenisés comme des actions ou des obligations tokenisées, c’est-à-dire émises sur des registres distribués (Distributed Ledger Technology, DLT). 

D’où les expérimentations menées par la Banque de France depuis 2020 sur la MNBC interbancaire. La MNBC interbancaire, comme nous l’expérimentons à la Banque de France, est une forme innovante de monnaie centrale directement émise sous la forme de tokens sur DLT.
 
Ces expérimentations ont trouvé leur prolongation dans le lancement par l’Eurosystème d’une phase exploratoire en avril 2023, pour le règlement d’actifs tokenisés en monnaie centrale. La solution de MNBC interbancaire de la Banque de France, appuyée sur l’utilisation d’une blockchain en propre, fait partie des solutions qui seront testées dans ce cadre courant 2024.

L’entrée en application du Régime Pilote européen en mars 2023, pour une durée minimale de trois ans, et probablement reconduite, est un élément essentiel de cette phase exploratoire, puisqu’il crée en parallèle un cadre réglementaire inédit, un « bac à sable réglementaire ». C’est ce cadre dérogatoire qui nous permettra d'identifier les ajustements nécessaires au cadre réglementaire actuel, afin de faciliter le fonctionnement des infrastructures de marché fondées sur la technologie des registres distribués (DLT), tout en préservant la protection des investisseurs, l'intégrité du marché et la stabilité financière.
 
La Place de Paris s’est mobilisée de façon importante autour des sujets de tokenisation : cela en fait une des places les plus dynamiques en Europe. Toutefois, l’enjeu aujourd’hui est de conserver ce leadership, en passant progressivement d’une phase d’expérimentations à une phase d’industrialisation. Les travaux exploratoires de l’Eurosystème et le Régime Pilote sont des jalons incontournables de ce chemin, et j’encourage donc vivement les acteurs de la Place à inscrire ces étapes dans leur feuille de route et y participer.


[Slide 4 : La MNBC interbancaire : améliorer les usages transfrontières]


La MNBC interbancaire peut aussi aider à relever le défi des paiements transfrontières, en jouant un rôle de catalyseur. Actuellement, les paiements transfrontières sont coûteux, lents, peu accessibles et manquent de transparence, de façon toutefois différenciée selon les « couloirs » et les devises. Le G20 est fortement impliqué pour relever ce défi et est décidé à apporter des améliorations tangibles d’ici 2027. Cela peut passer à court terme par l’interconnexion des systèmes de paiement instantanés, comme le projet Nexus où l’Eurosystème est impliqué avec son système de paiement instantané TIPS.
 
A plus long terme, la MNBC interbancaire peut ouvrir la voie à des solutions plus innovantes encore. Pour cela, nous devons œuvrer au  développement de normes communes et travailler sur l'interopérabilité entre les systèmes d’échange de MNBC à usage interbancaire, mais aussi avec les systèmes existants. C’est pourquoi la Banque de France travaille avec d’autres acteurs à l’international, tels que la Banque des Règlements Internationaux (BRI), l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS) ou SWIFT pour explorer les modalités de cette interopérabilité entre MNBC.
 
Mais nous devons aussi prendre du recul, et envisager le développement à plus long terme de plateformes techniques régionales voire mondiales. Il est nécessaire de mener des travaux exploratoires sur de telles plateformes, qui pourraient nous permettre de nous affranchir du besoin d’interopérabilité entre systèmes nationaux. 

Pour conclure sur ce volet, je voudrais simplement vous dire que nous sommes déterminés à la Banque de France à poursuivre ces expérimentations pour mieux comprendre les besoins du marché et répondre à ses attentes. Et nous ne réussirons pas sans la participation des acteurs des marchés financiers, qu’ils soient émetteurs ou investisseurs, sur lesquels nos expérimentations reposent.

 
[Slide 5 : transition « Face détail »]


Cette démarche d’expérimentation et de coopération avec le secteur privé est également un marqueur du projet d’euro numérique, ce qui m’amène à la deuxième « face » de notre stratégie concernant la MNBC, l’euro numérique. 


II. Face « détail » : perpétuer les caractéristiques du billet dans l’espace numérique


[Slide 6 : Caractéristiques et calendrier]


Alors que les échanges économiques et financiers se numérisent, nous souhaitons développer pour le grand public, avec les acteurs privés, une nouvelle forme de monnaie centrale numérique adaptée à ces échanges. Les caractéristiques envisagées pour cet euro numérique le rendront comparable à un « billet numérique » : utilisable partout en zone euro, gratuit pour les particuliers, il offrira via son mécanisme « hors ligne » une confidentialité comparable à celle des espèces et une résilience élevée, et il sera distribué via les banques et les autres prestataires de services de paiement.

Le Conseil des Gouverneurs a approuvé récemment le lancement d’une nouvelle phase, dite de « préparation », dans la conduite du projet de création et de déploiement d’un euro numérique émis par les banques centrales de l’Eurosystème. Dans un premier temps, cette phase nous permettra de (i) finaliser certaines analyses, par exemple la conception du scheme, c’est-à-dire du cadre de règles qui gouvernera l’émission et la distribution de l’euro numérique ; (ii) expérimenter plusieurs fonctionnalités et (iii) nous préparer à développer l’architecture de l’euro numérique.

Cette nouvelle étape dans la conduite du projet ne signifie pas néanmoins que la décision d’émettre un euro numérique a été prise. Cette décision ne pourra être que collective, engageant l’Eurosystème et les législateurs européens, au terme d’un vrai débat démocratique. Ce débat a été ouvert par la présentation d’un projet de règlement par la Commission, et est amené à se poursuivre en parallèle des travaux de préparation conduits par l’Eurosystème.


[Slide 7 : Une liberté de choix renforcée pour les particuliers]


Alors qu’il connaît un écho médiatique croissant, l’euro numérique suscite de nombreuses interrogations légitimes. Mais il fait aussi l’objet de craintes infondées. Je voudrais dire ici clairement que l’euro numérique n’est pas un projet dangereux et liberticide qui ne dit pas son nom, si je comprends bien certains commentaires selon lesquels l’euro numérique pourrait devenir un instrument de « surveillance de masse » des autorités, un « Big brother » européen. On entend ainsi que l’euro numérique permettrait à la banque centrale (i) de tracer les données de paiement des particuliers ; (ii) de restreindre leurs achats ; (iii) de leur imposer une rémunération négative ; (iv) voire de supprimer les espèces.
 
L’euro numérique ne permettra évidemment rien de cela. Premièrement, l’euro numérique, tel qu’il est pensé et préparé par l’Eurosystème, offrira un niveau de confidentialité inégalé dans les paiements dématérialisés. L’Eurosystème ne sera jamais en capacité de voir les informations personnelles des utilisateurs de l’euro numérique, ni de relier des informations de paiement à un individu. Le mécanisme de paiement « hors ligne », qui sera utilisable pour les paiements en-deçà d’un certain seuil, offrira une confidentialité comparable à celle des espèces.
 
Deuxièmement, l’euro numérique ne sera jamais une « monnaie programmable ». L’Eurosystème émet de la monnaie, pas des bons d’achat. L’euro numérique sera donc convertible « un pour un » à tout moment avec les autres formes de monnaie en circulation. Et l’Eurosystème ne pourra jamais empêcher les utilisateurs de l’euro numérique d’acheter certains biens ou certains services. L’Eurosystème ne pourra pas non plus restreindre la durée de validité des avoirs en euro numérique ; là encore, le parallèle avec les billets demeure.

Troisièmement, l’euro numérique ne sera pas rémunéré – ni positivement, ni négativement – à l’image du billet. Ce sera un moyen de paiement, et non un actif d’investissement.

Quatrièmement, l’euro numérique ne remplacera pas les espèces. Au contraire, il a pour objectif de pérenniser leurs caractéristiques dans l’espace numérique. En outre, les acteurs publics ont pris des engagements forts pour préserver la disponibilité des espèces. L’Eurosystème s’est engagé1  à faire en sorte que les espèces restent largement accessibles et acceptées et envisage2  de concevoir une nouvelle série de billets. La Commission européenne a quant à elle publié une proposition de règlement qui conforte le cours légal des espèces au sein de l’UE. Enfin, la Banque de France a annoncé la construction d’une nouvelle imprimerie fiduciaire dans le Puy-de-Dôme, appelée à devenir le pôle de production publique de billets le plus moderne, efficace et écologique d’Europe. Notre engagement est clair : les espèces resteront largement accessibles, partout en zone euro.

Conclusion


[Slide 8 : Logo Banque de France]


Comme je vous le disais en introduction, la MNBC interbancaire et l’euro numérique sont les deux faces d’une même stratégie au service de notre souveraineté et de la stabilité monétaire et financière. Ces initiatives sont essentielles pour préserver la confiance dans notre monnaie unique, l’euro. Le débat démocratique qui s’est ouvert sur l’euro numérique doit nous permettre de répondre aux interrogations, de construire un soutien fort autour de cette question de société essentielle qu’est la monnaie, ce bien collectif, ce bien public. En parallèle, s’ils suscitent moins d’intérêt médiatique, les travaux sur la MNBC interbancaire n’en sont pas moins centraux, et vous pouvez compter sur l’engagement des collaborateurs de la Banque de France pour innover et sécuriser la transition vers le système financier de demain.

1 Voir la stratégie fiduciaire de l’Eurosystème

2 Voir le processus de définition d’une nouvelle série de billets. Au cours de l’été 2023, les citoyens européens ont été invités à se prononcer sur le thème de cette nouvelle série.

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Updated on the 25th of July 2024