Rapport

Rapport annuel de la BCE 2022

Mise en ligne le 25 Mai 2023

Par Christine Lagarde

L’année 2022 a marqué un tournant pour la politique monétaire de la BCE. Les perspectives d’inflation ont été brusquement altérées par l’émergence de chocs simultanés, de nature diverse. La zone euro a ainsi, en premier lieu, subi une série sans précédent de chocs négatifs au niveau de l’offre, engendrés par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie de COVID-19, par l’invasion injustifiable de l’Ukraine par la Russie et par la crise énergétique qui en a résulté. Les coûts des consommations intermédiaires ont alors considérablement augmenté dans tous les secteurs de l’économie. Un choc positif au niveau de la demande s’est produit ensuite, sous l’effet de la réouverture de l’économie après la pandémie. Cet environnement a permis aux entreprises de répercuter la hausse de leurs coûts sur les prix demandés bien plus rapidement et fortement que par le passé.

Nous avions déjà annoncé, fin 2021, que nous réduirions progressivement les achats nets au titre de notre programme d’achats d’actifs (asset purchase programme, APP) et que nous y mettrions un terme fin mars 2022 en ce qui concerne le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP). Cependant, l’orientation globale de notre politique monétaire restait fortement accommodante. Elle avait en effet été définie par rapport à l’environnement de très faible inflation qui avait prévalu au cours de la décennie écoulée et aux risques déflationnistes apparus au début de la pandémie. Pour répondre rapidement au défi naissant de l’inflation, nous avons pris une série de mesures pour normaliser notre orientation monétaire.

Ainsi, en mars, nous avons accéléré la réduction de nos achats nets d’actifs dans le cadre de l’APP. En avril, nous avons annoncé notre intention de mettre fin à ces opérations au troisième trimestre. Nous avons ensuite relevé les taux d’intérêt directeurs de la BCE pour la première fois en onze ans au mois de juillet, avant de poursuivre ce resserrement lors des réunions de politique monétaire suivantes en procédant à une série de fortes hausses. Le rythme de cet ajustement a constitué un signal fort de notre détermination à ralentir l’inflation, et a contribué à ancrer les anticipations d’inflation alors même que la hausse des prix à la consommation s’accélérait.

En parallèle, dans un contexte de normalisation de la politique monétaire, nous avons pris des mesures visant à préserver une bonne transmission de notre orientation, dans toute la zone euro, à travers les marchés financiers. Nous y sommes parvenus grâce à deux mesures essentielles. Premièrement, nous avons décidé de faire preuve de souplesse dans le réinvestissement des titres du portefeuille PEPP arrivant à échéance afin de contrer les risques liés à la pandémie pesant sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire. Deuxièmement, nous avons lancé un nouvel instrument de protection de la transmission.

Devant l’évolution des perspectives d’inflation, il est néanmoins devenu manifeste que le retour à une orientation monétaire globalement neutre ne suffirait pas. Selon nos projections, l’inflation devait atteindre des niveaux trop largement supérieurs à notre objectif à moyen terme de 2 %, pendant une trop longue période, et certains signes indiquaient qu’elle devenait plus persistante, les tensions sur les prix se généralisant et l’inflation sous-jacente se renforçant. Un tel environnement exigeait que nous portions les taux d’intérêt à des niveaux restrictifs en vue de freiner la demande.

En décembre, à l’issue de notre dernière réunion de politique monétaire de l’année, nous avons par conséquent annoncé que les taux d’intérêt devraient encore être augmentés sensiblement à un rythme régulier, afin d’atteindre des niveaux suffisamment restrictifs pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation au niveau de notre objectif. Nous avons de plus indiqué que, même si les taux d’intérêt directeurs de la BCE étaient notre principal instrument pour définir l’orientation de la politique monétaire, nous allions amorcer une réduction du portefeuille de titres détenus en vertu de l’APP à partir de mars 2023, à un rythme mesuré et prévisible. Ces annonces ont fait suite à la décision, en octobre, de recalibrer les conditions applicables à la troisième série d’opérations ciblées de refinancement à plus long terme, levant un frein aux remboursements anticipés volontaires des emprunts. Les actifs détenus à des fins de politique monétaire ont diminué d’environ 830 milliards d’euros environ entre fin juin (interruption des achats nets d’actifs) et fin décembre, contribuant ainsi à la normalisation de notre bilan.

Outre les mesures que nous avons adoptées pour lutter contre une inflation élevée, nous avons continué d’étudier et de traiter les menaces plus larges que le changement climatique fait peser sur notre mandat. En 2022, nous avons en effet davantage intégré les considérations liées au changement climatique dans nos opérations de politique monétaire. Nous avons, notamment, effectué un premier test de résistance climatique de plusieurs expositions financières inscrites à notre bilan, et amélioré la prise en compte des effets du changement climatique dans notre modélisation macroéconomique. Depuis octobre, nous avons entamé la décarbonation des avoirs en obligations d’entreprise détenus dans nos portefeuilles de politique monétaire en les réorientant vers des émetteurs qui présentent de meilleures performances climatiques. Nous avons également décidé de limiter la part des actifs émis par des sociétés non financières à forte empreinte carbone pouvant être apportés en garantie dans le cadre d’emprunts contractés auprès de l’Eurosystème.

Toujours en 2022, nous avons poursuivi nos efforts pour rester à la pointe de l’évolution technologique dans les systèmes de paiement et les infrastructures de marché. Nous nous sommes ainsi préparés en vue de la transition de TARGET2 vers un nouveau système plus sophistiqué de règlement brut en temps réel, et avons pris plusieurs mesures visant à garantir, au niveau européen, l’accessibilité des prestataires au système de règlement des paiements instantanés TARGET (TARGET Instant Payment Settlement, TIPS). Les opérations de paiement instantané effectuées par l’intermédiaire de TIPS ont été multipliées par 17 en 2022 par rapport à 2021.

L’année sous revue a également été marquée par le vingtième anniversaire de l’introduction des billets et des pièces en euros, une étape importante de l’histoire européenne et un symbole tangible de l’intégration européenne. À ce jour, les espèces restent le mode de règlement le plus fréquemment utilisé par les Européens, représentant près de 60 % des paiements, et la monnaie fiduciaire continuera, à n’en pas douter, à jouer un rôle majeur dans la vie de chacun. Pour autant, au vu de la numérisation croissante de l’économie, nous devons veiller à ce que les Européens aient également accès à des moyens de paiement numériques sûrs, efficaces et pratiques. C’est pourquoi l’Eurosystème étudie la possibilité d’émettre un euro numérique. Dans le cadre de la phase d’étude en cours, l’Eurosystème a approuvé en 2022 les principaux cas d’utilisation et adopté plusieurs décisions essentielles relatives à sa conception.

La Croatie a par ailleurs rejoint la zone euro le 1er janvier 2023. Ce nouvel élargissement est la preuve de l’attractivité sans cesse renouvelée de la monnaie unique, qui représente un gage de stabilité pour les pays qui l’adoptent. Pour conclure, je tiens à dire que rien de ce qui précède n’aurait été possible sans le dévouement des personnels de la BCE et leur détermination collective à servir les Européens.

Francfort-sur-le Main, mai 2023

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