Bloc-notes Éco

Le télétravail, une opportunité de réduire le chômage frictionnel

Mise en ligne le 12 Décembre 2022
Auteurs : Lili Vessereau

Billet n°295. Le télétravail, en réduisant les jours de présence dans l’entreprise, peut, sous certaines conditions, augmenter le périmètre géographique de recherche des demandeurs d’emploi. En abaissant les rigidités liées à la mobilité géographique, le télétravail pourrait ainsi contribuer à la réduction du chômage frictionnel.

Image Graphique 1 : Courbe de Beveridge Source : DARES d’après l’INSEE, enquête de conjoncture et enquête emploi
Graphique 1 : Courbe de Beveridge
Source : DARES d’après l’INSEE, enquête de conjoncture et enquête emploi

En France, 7,3 % des actifs sont au chômage au 3ème trimestre 2022 au sens du Bureau international du travail, soit 2,3 millions de personnes. Si le chômage comporte un déterminant conjoncturel lié à l’activité économique, il inclut également un déterminant dit « structurel », dont notamment une composante dite « chômage frictionnel », réputée incompressible. Le chômage frictionnel résulte du temps nécessaire à l’appariement des postes vacants et des personnes en recherche d’emploi correspondant pourtant aux critères. La qualité de l’appariement peut être représentée par la courbe de Beveridge (cf. graphique 1). Se concentrer sur la partie frictionnelle du chômage exclut du champ d’analyse l’ensemble des catégories de chômage ainsi que les enjeux liés à l’équilibre général du marché du travail et à la productivité.

La localisation géographique : une friction sur le marché de l’emploi, notamment pour les femmes

En 2021, d’après l’enquête Besoins en Main-d’œuvre de Pôle emploi, les difficultés de recrutement concernaient 46 % des établissements ayant cherché à recruter, soit 11,4 points de plus qu’en 2020, et 3,5 % des établissements avaient renoncé à embaucher à cause de difficultés anticipées de recrutement. Sur les difficultés anticipées de recrutement, 14,7 % étaient liées à des considérations géographiques. Pour les demandeurs d’emploi également, près d’un sur cinq considère la proximité géographique comme le critère prioritaire de leur recherche d’emploi, d’après un sondage effectué par Pôle Emploi.

Ainsi dans un rapport de l’Inspection générale des finances, le chômage structurel lié aux mauvais appariements géographiques en France a été évalué entre 1 et 2,5 points de pourcentage du taux de chômage en 2016.

Ces rigidités liées à la localisation géographique semblent concerner davantage les femmes, que cela soit par contrainte ou choix : 26 % des reprises d’emploi de femmes se font à plus de 30 km de leur domicile, contre 33 % de celles des hommes. De plus, les mobilités de couples se font plus souvent pour favoriser l’emploi des hommes : 41 % des femmes déclarent avoir choisi leur commune de résidence pour suivre leur conjoint, contre seulement 26 % des hommes. En cas de couples biactifs, les mutations se font le plus souvent au bénéfice des hommes (25,9% des hommes contre 15,1% des femmes, (Dares (2019)) et les démissions au détriment des femmes (36,4% des femmes contre 26,0% des hommes).

Des rigidités géographiques difficilement réductibles mais maîtrisables par les moyens de transport

Les rigidités géographiques, constituées par les réticences des demandeurs d’emploi à une mobilité géographique, apparaissent avant tout motivées par des considérations psychologiques et sociales difficilement influençables par les politiques publiques. Parmi les demandeurs d’emploi interrogés par Pôle emploi n’étant pas nés sur la commune où ils résident actuellement, les principaux déterminants du choix de la commune de résidence sont la qualité de vie (48 %), les liens familiaux (52%) et des enjeux d’ancrage territoriaux (52%) bien devant les enjeux professionnels (38%) (cf. graphique 2).

Image Graphique 2 Raisons ayant conduit les demandeurs d’emploi à venir habiter dans leur commune de résidence Source : Pôle emploi – Enquête 2018 auprès des demandeurs d’emploi sur leur attachement à leur territoire.
Graphique 2 Raisons ayant conduit les demandeurs d’emploi à venir habiter dans leur commune de résidence Source : Pôle emploi – Enquête 2018 auprès des demandeurs d’emploi sur leur attachement à leur territoire.

Plus qu’une rigidité liée à la distance, l’ancrage territorial apparaît lié à la facilité de déplacement entre le domicile du demandeur d’emploi et le lieu du poste vacant. Les demandeurs d’emploi ont été interrogés sur la possibilité qu’ils acceptent un emploi plus éloigné si une « navette » pouvait les conduire sur leur lieu de travail. La moitié des 18% des demandeurs d’emploi qui n’avaient pas élargi leur périmètre de recherche, même en cas de chômage prolongé, se déclare sous cette condition prête à le faire.

L’élargissement du périmètre géographique de recherche avec la mise en place d’une navette se vérifie quelles que soient les caractéristiques des demandeurs d’emploi. Il existe néanmoins un effet plus fort chez les femmes, dont la part acceptant d’élargir leur périmètre de recherche est multipliée par 1,8 contre 1,5 pour les hommes.

Le télétravail réduit les frictions géographiques mais est insuffisamment et inéquitablement mobilisé

Le télétravail est d’ores et déjà utilisé pour réduire la fréquence et les temps de trajet par les salariés : ceux qui pratiquent le télétravail résident selon la DARES 1,5 fois plus loin de leur lieu de travail que leurs collègues qui ne le pratiquent pas. Le recours au télétravail augmente avec la distance du domicile au lieu de travail : en 2017, 9,0 % des salariés résidant à plus de 50 km de leur lieu de travail pratiquaient le télétravail contre seulement 1,8 % de leurs collègues travaillant à moins de 5 km de leur domicile (cf. graphique 3).

Image Graphique 3 Pratique du télétravail selon la commune de résidence Source : Dares, enquête Réponse 2017, DGT-Dares-DGAFP Lecture : 1,8 % des salariés résidant à moins de 5km de leur lieu de travail pratiquent le télétravail régulièrement.
Graphique 3 Pratique du télétravail selon la commune de résidence Source : Dares, enquête Réponse 2017, DGT-Dares-DGAFP Lecture : 1,8 % des salariés résidant à moins de 5km de leur lieu de travail pratiquent le télétravail régulièrement.

Le télétravail, en réduisant la fréquence et le temps des trajets, permet de réduire les coûts associés. Or, face à une offre d’emploi, un individu prend en compte le salaire proposé net des coûts de transport (Gobillon, Selod, 2007). Le télétravail permet ainsi d’atténuer les désagréments liés à des temps de trajet élevés. Puisque ce n’est pas uniquement la distance en elle-même mais les conséquences qu’elles emportent en matière de transport qui apparait comme principale barrière à l’élargissement du champ géographique de recherche des demandeurs, il apparaît en conséquence en mesure de réduire une partie des rigidités géographiques à l’origine de frictions sur le marché de l’emploi.

Le télétravail connaît néanmoins pour l’instant une insuffisante et inégale mobilisation par rapport au 30% des emplois qui pourraient être effectués en télétravail dans de bonnes conditions en France, selon une étude de la Direction générale du Trésor. Ainsi, seuls 6% des salariés pratiquaient le télétravail intensif en 2021, dont une majorité de cadres (77%) et une surreprésentation de salariés dans les métiers de l’informatique et de la télécommunication. Les femmes ne représentent que 38 % des télétravailleurs intensifs. Leur pratique du télétravail est en outre compliquée par des limites d’organisation familiales concernant la garde des enfants ou la disponibilité d’une pièce dédiée (25 % des femmes durant le confinement en disposait contre 41 % pour les hommes, pour aller plus loin, vous pouvez consulter( le billet de blog 207 de C. Berson).

Le télétravail comme outil contre le chômage nécessite son intégration aux dispositifs d’appariement

Il apparaît donc pertinent dans une optique de réduction du chômage frictionnel d’élargir les possibilités de télétravail pour les postes vacants, sans les restreindre aux emplois de niveau cadre. Cela ne peut se faire que dans un contexte d’adaptation globale des établissements au télétravail, impliquant une infrastructure publique de télécommunication, suffisamment robuste sur l’ensemble du territoire.

On pourrait également faciliter le recours au télétravail des demandeurs d’emploi, par exemple en finançant une partie des coûts d’équipement du domicile sur le même modèle que les aides à la mobilité géographique existant actuellement, comme l’aide Mobilipass pour les déménagements ou le financement partiel du permis B. Outre le financement de matériel, la formation aux outils et pratiques du télétravail devrait être proposée aux demandeurs d’emploi. Afin d’améliorer l’appariement, il convient en outre de plus de ne plus raisonner en distance séparant le domicile et le lieu de travail mais la distance journalière moyenne, prenant en compte les jours télétravaillés comme ayant une distance nulle. Cet indicateur pourrait ainsi remplacer la distance au sein des formulaires remplis par les demandeurs d’emploi et au sein des offres présentées sur le site Pôle emploi.

La pratique du télétravail des femmes se heurtant à des obstacles sociétaux, alors même que les questions liées à leur distance domicile-travail sont pour elles prépondérantes, il convient d’y apporter une attention particulière. Un tel développement du télétravail ne pourra se faire sans développement de modes de garde d’enfants performants sur l’ensemble du territoire.           

La sélection des lauréats a été réalisée par un jury indépendant d’experts et de chercheurs. Bloc-notes Eco a laissé toutes les opinions s’exprimer dès lors qu’elles sont argumentées. Les opinions exprimées dans les billets primés sont donc celles des auteurs et ne reflètent en rien ni la position de la Banque de France, ni celle des membres du jury.