Selon les scénarios du GIEC (2022a) ou de l’AIE (2021), le progrès technologique doit constituer un élément important de la panoplie pour atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles de gaz à effet de serre (GES) et limiter le réchauffement climatique. Le rôle du progrès technologique dépend des innovations futures, mais il nécessite aussi leur diffusion et celle des innovations passées. En effet, pour certaines technologies (par exemple le captage direct du carbone dans l’air), des innovations futures sont attendues, tandis que d’autres innovations peuvent prendre des directions non encore prévues (innovations radicales). Obtenir des gains en termes d'émissions de CO2 (dioxyde de carbone) à partir de ces technologies nécessite d'investir dans l'infrastructure d'énergie propre et dans l'équipement physique qui les intègre. Toutefois, le stock d’innovations sous-utilisées permettant d’économiser le CO2 demeure considérable, par exemple dans le secteur de la construction pour réduire les besoins en chauffage.
Cet article met en lumière comment la technologie peut contribuer à la réalisation des objectifs de la COP21, à savoir l’élimination nette des émissions de CO2 et un réchauffement climatique inférieur à 2°C en 2100. Il quantifie la contribution des technologies à la réduction des émissions de CO2 et la limitation des dommages liés au changement climatique. Il utilise le modèle Advanced Climate Change Long-term model (ACCL) d’Alestra et al. (2022), particulièrement adapté pour quantifier les conséquences des chocs sur les prix de l’énergie et des améliorations technologiques sur les émissions de CO2, les variations de température, les dommages climatiques et le PIB. Il distingue cinq types d’énergie, quatre étant "sales" en termes d’émissions de CO2 (charbon, essence, gaz, électricité "sale") et une étant "propre" (électricité "propre"). Ce modèle donne un aperçu intéressant et transparent du rôle des technologies dans les mécanismes de transition énergétique et de limitation du changement climatique. Nous considérons trois technologies : les gains d’efficacité énergétique, la capture du carbone et une baisse du prix relatif de l’énergie "propre". Cette dernière composante peut correspondre au résultat d’innovation ou de subvention publique. Les simulations montrent que, sans politiques climatiques, le réchauffement climatique pourrait atteindre +5°C en 2100, avec des dommages climatiques considérables. Une accélération des "progrès techniques habituels" - qui ne visent pas à réduire les émissions de CO2 - aggrave même le réchauffement climatique et les dommages climatiques. Selon nos estimations, le monde n'atteindra pas les objectifs climatiques en 2100 sans technologies vertes. Intervenir uniquement par le biais des prix de l’énergie, par exemple via une taxe carbone, nécessite des scénarios peu réalistes en matière de coordination internationale et d’augmentation des prix des énergies polluantes. Nous évaluons une stratégie climatique qui combine les gains d’efficacité énergétique, la séquestration du carbone et une baisse de 3 % par an du prix relatif de l’électricité "propre" avec une hausse annuelle de 1 à 1,5 % du prix relatif des sources d’énergie polluantes (correspondant à un scénario d’une taxe carbone ou d’un LCT faible mais réalisable). Aucune de ces composantes à elle seule n'est suffisante pour atteindre les objectifs climatiques. Notre dernière conclusion, la plus importante, est que notre scénario composite permet d'atteindre les objectifs climatiques.
Nous examinons ainsi quatre scénarios composites combinant notre scénario d’une faible taxe sur le carbone (Low Carbon Tax, LCT), la hausse mondiale du prix relatif des sources d’énergie émettrices de CO2 de 1 ou 1,5 % par an sur l’ensemble de la période, avec l’un des deux scénarios ou les deux, le scénario "habituel" et un ensemble de technologies "vertes". L’hypothèse du progrès technologique "usuel" représente un choc technologique qui n’est pas spécifiquement orienté vers les objectifs climatiques. Nous prenons pour hypothèse une baisse constante de 0,5 point de pourcentage du prix relatif de l’investissement entre 2017 et 2010 dans l’ensemble des pays et des zones. Le mix "vert" de technologies (MTM) est une combinaison des différentes hypothèses technologiques, qui sont directement orientées vers l’objectif d’une baisse du stock de GES. Nous maintenons notre calibrage basé sur l’AIE (2021) pour les gains d’efficacité énergétique de 1,6 % par an et la séquestration du CO2 par les technologies CCUS de 7,6 Gt par an, ainsi que notre baisse du prix relatif de l’électricité non émettrice de carbone de 3 % par an (tous supposés identiques pour le monde entier et pour une période donnée).
Nous montrons, qu'en l'absence d'une nouvelle avancée technique, la combinaison d'une augmentation du prix de l'énergie émettrice de CO2 de 1% par an et d'un mix technologique divisant par 14 les émissions nettes mondiales de carbone, maintient le réchauffement climatique en dessous de 2°C et limite les dommages climatiques à 1% du PIB mondial en 2100. Ainsi, seul un scénario composite associant l'action technologique à une hausse réaliste du prix relatif de l'énergie "polluante" peut permettre d'atteindre les objectifs climatiques. Néanmoins, un tel programme semble très difficile. En effet, sa mise en œuvre doit commencer immédiatement et être coordonnée dans tous les pays, une hypothèse difficile à satisfaire étant donné la situation géopolitique actuelle. Une mise en œuvre tardive ou incomplète signifie que les efforts devront être renforcés dans une deuxième phase pour compenser l'augmentation des émissions de gaz dans l'intervalle ou que nous concéderons des objectifs climatiques moins ambitieux. Ces deux situations correspondent à un échec et expriment clairement que nous renonçons à perdre une petite part de confort et de qualité de vie dans le présent pour un prix élevé, en termes de dommages climatiques, pour les générations futures.