Discours

L’ampleur et la distribution des chocs sur l’énergie et sur les échanges commerciaux dans la zone euro et en France

8 Décembre 2022
François Villeroy de Galhau intervention

Toulouse School of Economics – Toulouse, 8 décembre 2022

Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui et je voudrais remercier chaleureusement TSE, Jean Tirole et les autres professeurs de m’offrir l’opportunité de prononcer ce discours. J’aborderai un sujet très important en cette période, à savoir le choc externe lié aux prix de l’énergie et à la détérioration des termes de l’échange, qui frappe actuellement les économies européennes.

À l’heure actuelle, dans les pays importateurs de matières premières, les prix des produits importés, en particulier des produits énergétiques, augmentent bien plus que les prix des exportations. Cela représente un coût net pour les pays importateurs de matières premières, dont la France. D’un point de vue économique, les termes de l’échange, c’est-à-dire le ratio des prix à l’exportation rapportés aux prix à l’importation, sont en train de se détériorer pour ces pays, réduisant ainsi leur pouvoir d’achat.

Dans ce discours, je commencerai par décrire les différentes manières d’évaluer les chocs sur l’énergie et les termes de l’échange auxquels nous sommes confrontés, et je rappellerai certaines des difficultés de mesure qu’ils soulèvent. Les comparaisons entre pays et dans le temps seront également instructives. Le second sujet clé que j’aborderai est la manière dont ce choc a affecté jusqu’à présent les agents économiques en France, et comment le fardeau de ces chocs devrait être partagé entre les catégories d’agents.

I. L’ampleur du prélèvement extérieur : les chocs sur l’énergie et les termes de l’échange

I.1 Que s’est-il passé ?

Image The rise in energy and commodity prices has spread to all tradable goods
The rise in energy and commodity prices has spread to all tradable goods

Permettez-moi tout d’abord de relever que les premiers pics sur les prix du gaz et de l’électricité se sont produits pendant l’été 2021 dans le contexte de reprise mondiale post-pandémie, lorsque les pays européens ont dû reconstituer leurs stocks de gaz en prévision de l’hiver et que la demande en gaz naturel en Asie et aux États-Unis a fortement augmenté. Dans ce contexte, le prix des métaux par exemple a presque doublé entre 2020 et mi‑2021. Des tensions sur le marché du pétrole sont également apparues au cours du second semestre 2021.

Ensuite, la guerre menée par la Russie en Ukraine a entraîné une envolée des prix du gaz. Les prix de l’électricité ont également atteint des niveaux record : comme vous le savez, le prix de l’électricité sur le marché de gros est étroitement corrélé au prix du gaz payé par la centrale thermique qui est la dernière unité de production appelée sur le marché.

S’agissant des biens industriels non énergétiques, le premier choc sur les prix à l’importation européens a été provoqué par des perturbations des chaînes de production mondiales à la suite de la reprise post-Covid. Le choc suivant s’est traduit par la transmission de la hausse des prix des matières premières à l’ensemble des biens manufacturés acheminés vers l'Europe.

Image These price increases cause wealth transfers from importing to exporting countries
These price increases cause wealth transfers from importing to exporting countries

Ces hausses des prix désormais généralisées ont déclenché d’importants transferts de richesse entre pays importateurs et pays exportateurs. On peut observer sur les deux graphiques de droite que les soldes de la balance commerciale de la zone euro en général, et de la France en particulier, ont fortement diminué depuis fin 2021, le déficit cumulé sur douze mois pour la zone euro atteignant près de 300 milliards d’euros en septembre. Même si l’essentiel de cette chute vertigineuse concerne l’énergie, la situation se détériore également pour les biens non énergétiques.

Le commerce international, en termes purement comptables, est un exercice à somme nulle et les déficits des uns font les excédents des autres. Ce transfert de richesse provient essentiellement d’une évolution des prix des biens échangeables, comme on peut le voir dans le graphique en bas à gauche pour la France, qui a enregistré une croissance plus rapide de son déflateur des importations par rapport à son déflateur des exportations au cours des quatre derniers trimestres. Ce « prélèvement extérieur » constitue un choc négatif sur les revenus réels à la fois pour les ménages et les entreprises. Dans l’ensemble, ce choc, conjugué au pic d’inflation associé, pourrait avoir un impact négatif important sur la croissance pendant au moins plusieurs trimestres.

Je voudrais maintenant vous présenter des mesures quantitatives de ce prélèvement extérieur. Ce n’est pas si simple, et plusieurs manières de le mesurer peuvent être envisagées. Nous pouvons nous intéresser au prélèvement extérieur « brut » c’est-à-dire au montant de la facture énergétique supplémentaire pour les pays importateurs d’énergie. Mais nous pouvons également prendre en compte une mesure « nette » plus large du prélèvement extérieur, sachant que les pays importateurs de matières premières exportent aussi des biens et des services, dont le prix augmente également. Cette mesure nette correspond au « choc sur les termes de l’échange ».

 

I.2 Mesurer le choc sur les termes de l’échange à l’échelle mondiale

Voyons d’abord la mesure la plus large – et nette – du prélèvement extérieur, le choc sur les termes de l’échange. Cette mesure prend en compte les évolutions des prix de tous les biens et services échangeables1.

Image The terms-of-trade shock
The terms-of-trade shock

Deux enseignements peuvent être tirés de ces graphiques. Premièrement, parmi les économies avancées, les États-Unis ne subissent pas de choc négatif sur les termes de l’échange, car ce pays est exportateur net d’énergies fossiles. Deuxièmement, l’hétérogénéité entre pays européens n’est pas négligeable. Au troisième trimestre 2022, le choc sur les termes de l’échange ressort à – 1,8 % du PIB en France par rapport au même trimestre de l’année précédente. Le choc est plus important dans d’autres grands pays de la zone euro. La moindre dépendance aux énergies fossiles et la part relativement moins importante du secteur manufacturier atténuent l’ampleur des chocs sur les termes de l’échange en France, tant à la hausse (2020, avec le recul des prix de l’énergie) qu’à la baisse (depuis 2021). La France est également un exportateur net de services de transport et de blé, qui ont bénéficié de récentes fortes augmentations des prix. À l’inverse, le choc est d’une plus grande ampleur pour l’Espagne, qui dépend davantage des importations d’énergie et ne bénéficie pas de la hausse des prix des exportations de services de transport.

Au-delà de la comparaison entre pays du choc actuel sur les termes de l’échange, il est également intéressant, pour un pays comme la France, d’établir un parallèle avec la période avec laquelle la situation actuelle est souvent comparée : les chocs pétroliers des années 1970.

Image The terms of strade shock: historical comparison for France
The terms of strade shock: historical comparison for France

Cette année, le choc sur les termes de l’échange en France pourrait être le deuxième plus important depuis le premier choc pétrolier de 1974. Sur l’ensemble de l’année, il devrait s’établir à – 1,4 point de pourcentage du PIB, contre – 2,8 points de pourcentage du PIB lors du premier choc pétrolier de 1974. Notre estimation pour 2022 est conforme aux autres estimations publiées par l’INSEE et par le ministère de l’Économie, qui ressortent à environ – 1,5 point de pourcentage du PIB.

Le choc lié aux prix à l’importation est d’ampleur similaire en 1974 et en 2022, mais il existe des différences s’agissant de sa composition. En 2022, l’augmentation concerne non seulement les prix de l’énergie, mais également ceux de nombreux autres biens importés (matières premières non énergétiques, biens intermédiaires, etc.). Dans le même temps, les prix à l’exportation ont augmenté davantage en 2022, reflétant la diffusion plus généralisée des hausses de prix aux biens échangés sur les marchés mondiaux. De plus, les prix des services, notamment des services de transport, ont également compensé en partie le choc négatif sur les prix des biens lié à la flambée des prix de l’énergie.

De nombreuses incertitudes entourent les perspectives pour 2023. Si la stabilisation des prix mondiaux des matières premières se confirme et si le ralentissement économique mondial pèse également sur les importations, le choc sur les termes de l’échange diminuera en 2023. Mais ce choc pourrait demeurer important si les pays européens doivent reconstituer leurs stocks de gaz à un prix toujours élevé pour l’hiver 2023/2024.

Dans tous les cas, le choc sur les termes de l’échange implique une diminution du revenu réel pour l’économie française et constitue par conséquent un déterminant essentiel du ralentissement de la croissance du PIB attendu pour 2023.

I.3 Mesurer plus spécifiquement le choc énergétique

S’agissant du choc énergétique, dont l’analyse est utile, car nous pouvons plus facilement examiner sa distribution entre les agents économiques, il est possible de l’estimer en appliquant les variations des prix du pétrole et du gaz observées entre 2021 et 2022 aux quantités d’énergie importées au cours d’une année de référence, ici 2021. Pour la France, ce calcul aboutit à une facture énergétique supplémentaire égale à 1,9 % du PIB en 2022 par rapport à l’année précédente, ou 47 milliards d’euros.

Image Measuring speciafically the energy shock for France
Measuring speciafically the energy shock for France

Il convient de noter que compte tenu de la volatilité exceptionnelle des prix du gaz naturel, cette estimation est très sensible aux hypothèses de prix et à l’année de référence. Lors de nos précédentes projections l’été dernier, les prix du gaz attendus sur les marchés des contrats à terme pour les derniers mois de l’année étaient très supérieurs aux niveaux effectifs enregistrés depuis. Cela explique pourquoi notre estimation est revenue à 47 milliards d’euros contre 62 milliards quelques mois auparavant.

Dans une publication récente de la Direction générale du Trésor2, le choc énergétique est estimé à 85 milliards d’euros. Cette estimation se fonde sur une méthodologie similaire, mais avec une année de référence différente (2019 au lieu de 2021) et des hypothèses de prix plus élevées pour les quatre derniers mois de 2022.

Je pense donc qu’il est judicieux de se baser sur une fourchette pour le choc énergétique, avec une borne basse de [47 milliards d’euros/1,9 % du PIB] et une borne haute de [85 milliards d’euros /3,4 % du PIB] et de considérer qu’une estimation moyenne possible se situe à 2,5 % du PIB environ ou 60 milliards d’euros.

Point important, la facture énergétique considérée ici n’inclut pas l’électricité, même si ses prix ont également considérablement augmenté. De fait, le choc lié aux prix et à l’offre de l’électricité est plus difficile à évaluer. En particulier, les pays européens et notamment la France produisent de l’électricité, alors qu’ils ne produisent pratiquement pas d’énergie fossile. Il est par conséquent plus difficile d’isoler la composante externe de la hausse des prix de l’électricité, en particulier quand les tensions sur les prix proviennent également des perturbations de la production domestique.

Image Electricity: a short focus
Electricity: a short focus

Examinons l’exemple, certes très particulier, de la France. La tarification de l’électricité est liée au prix du gaz naturel. Mais un problème supplémentaire important tient au fait que la France est récemment devenue importatrice nette d’électricité en raison de l’arrêt de certaines centrales nucléaires. Ce dernier facteur est à l’origine de la « prime de risque » actuelle observée sur les prix de l’électricité en France qui sont prévus sur les marchés à terme pour l’hiver prochain. En bref, il n’est pas réellement possible de distinguer les facteurs domestiques des facteurs extérieurs dans la hausse des prix de l’électricité, et donc de calculer le « prélèvement extérieur » supplémentaire dû à l’électricité.

II. La distribution ex ante et ex post du prélèvement extérieur

J’en viens à présent à la seconde question essentielle : celle de la distribution du prélèvement extérieur, ou, en d’autres termes, du partage du choc. J’illustrerai cette question dans le cas de la France en considérant uniquement la facture d’énergie, pour laquelle davantage de données sont disponibles au niveau granulaire.

Image Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 1
Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 1

L’analyse de cette question comprend trois étapes logiques. Premièrement, la manière dont la facture énergétique se répartit « ex ante » (comme disent les économistes) entre les ménages, les entreprises et les administrations publiques, en se fondant sur les volumes respectifs de leur consommation d’énergie au cours de l’année qui précède le choc sur les prix. Dans une deuxième étape, nous devons prendre en compte les mesures budgétaires mises en place par le gouvernement en 2021 et 2022 afin de limiter la facture énergétique des ménages et des entreprises – car elles modifient la distribution du prélèvement extérieur. La troisième étape devrait impliquer la prise en compte de tous les ajustements macroéconomiques, en particulier la transmission par les entreprises des hausses de coûts à leurs prix de vente et la réaction des salaires aux prix. Cette distribution finale après les ajustements macroéconomiques finaux des prix et des quantités est toutefois beaucoup plus difficile à évaluer, car elle est toujours en cours d’évolution et ne peut être mesurée qu’a posteriori.

II.1 La répartition ex ante de la facture énergétique supplémentaire

Comme le montre la slide 8, selon ces estimations, avant toute mesure compensatoire, les ménages supporteraient plus d’un tiers de la facture et les entreprises un peu moins des deux tiers. À ce stade, les administrations publiques seraient peu touchées en raison de leur faible part dans la consommation d’énergie domestique. Cette répartition ex ante n’est presque pas affectée par les diverses mesures de la facture énergétique (supplémentaire) elle-même, comme mentionné plus tôt (cf. I.3).

II.2 L’effet des mesures budgétaires : fourchette des estimations

La répartition du choc est sensiblement modifiée après les mesures compensatoires mises en place par le Gouvernement : la part des ménages revient à 5 % environ, tandis que celle des administrations publiques atteint au moins 35 % de la charge totale selon notre première approche « restrictive ». La part des entreprises diminue, mais plus modérément, s’établissant juste au‑dessus de 55 %.

Image Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 2
Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 2

Il convient de noter que la répartition après les mesures compensatoires dépend bien sûr du périmètre des mesures budgétaires considérées. Dans notre approche « restrictive » nous avons pris en compte uniquement les mesures ciblant spécifiquement la facture de pétrole ou de gaz, telles que les ristournes à la pompe ou les subventions compensatoires aux fournisseurs de gaz. D’autres choix peuvent également être pertinents. Par exemple, dans sa récente publication, le Trésor français a utilisé une approche plus extensive, en incluant également d’autres mesures plus largement dédiées à la protection du pouvoir d’achat, telles que la réévaluation des prestations sociales ou des salaires du secteur public ; proportionnellement à la contribution de la hausse des prix de l’énergie dans l’inflation totale. Elle inclut également des mesures liées au bouclier tarifaire pour l’électricité. En utilisant cette approche plus extensive, la ventilation de la facture énergétique supplémentaire serait alors de 42 % pour les entreprises et de 52 % pour l’État, les ménages étant très largement compensés.

II.3, la distribution ex post, trop tôt pour se prononcer ? Certains parallèles avec le passé peuvent toutefois être établis

Ensuite, permettez-moi d’aborder brièvement le point le plus important, mais néanmoins incertain, la distribution finale de ce choc externe sur l’économie nationale, toujours à partir de l’exemple de la France. Comme mentionné précédemment, le processus de distribution finale après l’ajustement macroéconomique reste difficile à évaluer et dépend en particulier de deux paramètres clés : le degré d'adaptation des salaires au fil du temps et la capacité des entreprises, au fil du temps, à augmenter leurs prix en fonction de leur situation financière, de la demande qui leur est adressée et de l'environnement macroéconomique général. J'insiste sur le fait que cela doit être évalué « au fil du temps », disons au minimum sur un horizon de prévision d'environ 3 ans, car certaines pertes ou certains gains à court terme peuvent être atténués les années suivantes.

Image Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 3
Sharing the burden of the external tax between households firms and the government - 3

Là encore, la comparaison avec l’épisode de la crise pétrolière des années 1970 est tout à fait instructive. Dans les années soixante-dix, le marché du travail français était caractérisé par un degré élevé d'indexation des salaires sur les prix à la consommation, et le poids du prélèvement extérieur résultant de la hausse des prix du pétrole a été entièrement supporté par les entreprises. Celles-ci ont alors enregistré une forte baisse de leurs marges bénéficiaires, vraisemblablement au détriment de l'emploi et de l'investissement au cours des années suivantes.

Que se passe-t-il à l’heure actuelle ? La distribution semble être plus équilibrée entre les entreprises et les ménages qu'après les chocs des années 70. La distribution du revenu primaire entre les entreprises et les ménages est présentée dans les graphiques en bas à gauche de ces deux dernières diapositives. Les marges des entreprises sont aujourd'hui légèrement supérieures à leur niveau pré-Covid, bien que cela masque une grande hétérogénéité entre les secteurs, le secteur de l'énergie étant actuellement le seul à enregistrer une amélioration.

Image The distribution of the external tax between households, firms and the government
The distribution of the external tax between households, firms and the government

Le graphique en bas à droite présente le revenu disponible brut des ménages et des entreprises incluant les mesures fiscales et les transferts pour surmonter les deux épisodes de crise. Globalement, la répartition des revenus entre les entreprises et les ménages est restée jusqu’à présent beaucoup plus équilibrée qu'elle ne l'était au lendemain des deux crises pétrolières.

Selon nos projections macroéconomiques actuelles, le pouvoir d'achat des ménages, à partir d'un niveau au troisième trimestre 2022 supérieur d'environ 1,5 % au niveau pré-covid, devrait connaître une baisse modérée en 2022 et 2023 tout en restant supérieur à son niveau pré-covid, avant de rebondir significativement en 2024 et 2025. Les marges des entreprises devraient, là aussi temporairement, absorber une partie du choc des prix importés et le taux de marge des entreprises devrait atteindre son point le plus bas en 2023 avant de revenir progressivement à son niveau pré-covid en 2025.

Dans le même temps cependant, le « bouclier tarifaire » déployé par le gouvernement pour protéger les ménages et les entreprises de la hausse des prix de l'énergie s'avère très coûteux pour les finances publiques. Je reviendrai sur ce point dans quelques minutes.

 

II.4 La distribution ex post : quelques recommandations indicatives

Permettez-moi de conclure par quelques considérations d'ordre général sur la distribution ex post des chocs énergétiques et des termes de l'échange. Il serait probablement trop ambitieux d'essayer de déterminer une répartition optimale de la charge entre les agents économiques. Nous pouvons cependant définir un certain nombre de conditions à remplir.

En ce qui concerne la charge supportée par les finances publiques, les politiques publiques ne peuvent supprimer durablement la perte de revenu réel subie par l'économie nationale : elles ne peuvent que la redistribuer entre les différentes catégories de ménages et d'entreprises, ainsi que dans le temps en transférant la charge aux générations futures. Pour cette raison, il est nécessaire que les mesures gouvernementales soient autant que possible temporaires : la part supportée par les finances publiques doit diminuer après le pic du choc. Ces mesures ne doivent pas non plus aller à l'encontre des incitations à réduire notre consommation d'énergie. De ce point de vue, les dispositifs de tiering mis en place en Allemagne et aux Pays-Bas vont dans la bonne direction, en préservant le signal prix sur la consommation marginale. Sur le long terme, nous ne pouvons pas nous permettre une nouvelle phase de « quoi qu'il en coûte » si nous voulons préserver notre capacité à investir dans la décarbonation et la souveraineté énergétique à l'avenir et ne pas surcharger les générations futures. Pour être clair, à titre de référence, la part des finances publiques dans la distribution de la charge cumulée en 2022 et les années suivantes ne devrait pas dépasser les niveaux actuels et revenir vers zéro en, disons, deux à trois ans.

La part résiduelle de la charge devrait être répartie équitablement entre les entreprises et les ménages, en fonction de leur part dans la consommation d’énergie.

Il semble logique qu'une part plus importante soit supportée par les entreprises puisqu'elles sont les principales consommatrices d'énergie ex ante.  Mais la question de la répartition de la charge entre, en particulier, les entreprises du secteur de l'énergie d'une part et les autres secteurs d'autre part, à commencer par celles qui dépendent le plus de l’énergie, continue de se poser.

Les ménages ne peuvent pas être totalement et définitivement exemptés de leur part dans cette répartition. Ce n’est pas facile à dire, et encore moins facile à faire ; et il est essentiel d’être attentif aux difficultés notamment des plus défavorisés, ou des ménages des zones rurales qui consomment relativement plus d’énergie. Nous devons donc rapidement mieux cibler ceux qui en ont le plus besoin. Nous devons également réduire progressivement, mais régulièrement les dispositifs de soutien général, que nous ne pouvons pas financer et qui n'offrent pas les bonnes incitations à long, voire à moyen terme. Le gouvernement a, à juste titre, programmé les premières mesures pour début 2023, avec des augmentations de 15 % prévues des tarifs du gaz et de l'électricité et la fin de la remise sur les prix des carburants, remplacée par une indemnité carburant de 100 euros ciblée selon les revenus.

Permettez-moi de conclure : je considère qu’il est normal que le secteur public soit intervenu en France et dans d’autres pays européens face à ce choc économique considérable. Mais soyons en même temps honnêtes avec nous-mêmes, le recours aux médications doit être temporaire. L’objectif des politiques publiques à moyen terme doit être, après une période de transition, de se confronter au monde tel qu’il est et de surmonter des difficultés qui ne sont pas près de disparaître. En fin de compte, nous devons tous partager équitablement le « prélèvement extérieur », et nous devons également ouvrir la voie à une réduction de notre vulnérabilité en économisant l’énergie et en accroissant notre production nationale d’énergie. Au cours de la dernière décennie, la France a accompli des progrès significatifs dans de nombreux domaines, notamment en matière d’emploi et de formation. Face au choc actuel aussi, je suis convaincu que nous pouvons ressortir collectivement plus forts.

 

1L’impact macroéconomique des termes de l’échange peut se calculer comme la différence entre le taux de croissance [relatif] des déflateurs des importations et des exportations, pondéré de la part des flux commerciaux dans le PIB en valeur.

2Répartition des pertes dues à la dégradation des termes de l’échange énergétiques, Trésor-Eco n°318, décembre 2022.