Interview

EBRA : « Notre engagement est de ramener l’inflation vers 2% d’ici 2025, et peut-être même dès fin 2024 »

Intervenant

François Villeroy de Galhau intervention

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

11 Mai 2023
François Villeroy de Galhau intervention

Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. 

L’économie française reste sur un rythme de croissance positif, mais faible…

L’économie française confirme sa résilience. L’enquête mensuelle que nous publions aujourd’hui montre une progression de l’activité en avril, avec une nouvelle diminution des difficultés d’approvisionnement des entreprises. Notre prévision de croissance demeure de 0,6% pour cette année. L’automne dernier, on craignait une récession à la suite de l’invasion de l’Ukraine; c'est une bonne nouvelle de n’avoir que ce ralentissement.

Et l’inflation ?

Elle reste en France comme en zone euro beaucoup trop élevée, proche de 7%. Elle est cependant en train de passer son pic : dans notre enquête, la proportion d’entreprises de l’industrie ayant monté leurs prix en avril est la plus basse depuis 2020. Mais la nature de l’inflation qui frappe les Français a changé : elle était énergétique, elle est aujourd’hui alimentaire. Il va se passer normalement sur l’inflation alimentaire ce qui s’est passé sur l’inflation énergétique : le retournement des prix mondiaux, en l’occurrence des prix agricoles, doit avoir un effet sur les prix à la consommation avec quelques trimestres de retard, avec donc un ralentissement significatif de l’inflation alimentaire au cours du deuxième semestre. Ceci pourrait ramener l’inflation globale en France autour de 4% d’ici la fin de l’année. Mais cela ne suffit pas…

Des entreprises n’ont-elles pas profité de ce décalage (entre prix mondiaux qui baissent et prix en France) pour gonfler leurs marges ?

En Allemagne et en Espagne, les marges semblent avoir augmenté significativement en 2022 et contribué à l’inflation. Ce n’est pas le cas en France où, au contraire, les marges ont diminué: il n’y a pas globalement de spirale prix-marges. Pour autant, dans certains secteurs comme l’énergie, le transport maritime, voire divers services ou l’industrie agroalimentaire, et pour certaines grandes entreprises, il est souhaitable que cette année une vigilance et une concurrence accrues aident à modérer les prix. Le Ministre de l’Économie y travaille activement.

« Il faut tuer la bête », affirme le directeur du FMI…

Plus sérieusement, notre engagement est de ramener l’inflation vers 2% d’ici 2025, et peut-être même dès fin 2024. Notre confiance est liée au fait que l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) peut toujours et partout être efficacement vaincue par la politique monétaire.

En clair, relever les taux d’intérêt…

Nous avons déjà fait en ce domaine l’essentiel du chemin...

Pas tout le chemin…

Ce qui reste à parcourir est plus marginal. Nous avons décidé des hausses de taux rapides depuis juillet, car nous partions même de taux négatifs ! Nous sommes désormais à 3,25%, et c’est l’effet futur de ces décisions de hausses passées qui doit pour l’essentiel nous permettre d’atteindre notre objectif dans les deux ans.

La hausse des taux doit-elle entrainer la hausse de la rémunération du livret A ?

Cette question ne se posera que mi-juillet, sur la base des perspectives de taux d’intérêt et d’inflation à ce moment-là. Mais déjà, je veux souligner le succès historique que le LEP (Livret d’épargne populaire) rémunéré lui à 6,1% est en train de connaître. 

Faut-il assouplir l’accès au crédit immobilier ?

Les taux ultra-favorables des dernières années étaient exceptionnels, ne l’oublions pas ! Les taux actuels ont retrouvé leurs niveaux d’avant 2015, avant les taux très bas de la banque centrale. Le volume en France des crédits immobiliers est également proche de celui d’avant 2015 : c’est le retour à une situation plus normale, qui devrait d’ailleurs s’accompagner d’une stabilisation bienvenue des prix de l’immobilier.

Pas question de revoir les conditions d’octroi des crédits ?

Notre Haut conseil de stabilité financière (HCSF), présidé par le ministre de l’Économie, se réunira mi-juin. L’objectif partagé demeure de garder un crédit immobilier accessible mais sûr, afin d’éviter le surendettement des Français.

L’agence Fitch a dégradé la note de la France. Faut-il s’inquiéter de la solidité de nos finances publiques ?

Oui : la France a déjà un niveau de dette trop élevé, et en sus notre déficit devrait être en 2023 le plus élevé de la zone euro ! Cela ne veut pas dire que notre pays n’arrivera pas à se financer, mais cette dette nous coûte de plus en plus cher, et surtout coûtera cher aux générations suivantes. Nous laissons malheureusement à nos enfants une dette climatique, et nous sommes en train d’y ajouter une dette financière trop lourde. 

Donc pas de baisse d’impôt en 2024 ?

La Banque de France n’est pas en charge de la fiscalité. Mais on ne peut pas en même temps dire qu’on va réduire l’endettement, et promettre de nouvelles baisses d’impôts non financées. Notre pays a beaucoup d’atouts économiques, et de transformations à réussir comme je viens de l’écrire dans ma Lettre au Président : réunissons-nous autour de ces ambitions économiques, plutôt que de nous perdre dans des illusions fiscales. 

Les craquements qui affectent des banques aux États-Unis peuvent-ils arriver en Europe ?

Il n’y a pas de raison que ce qui arrive aux États-Unis sur des banques régionales de taille moyenne survienne en Europe. Les règles de sécurité internationales dites de « Bâle 3 », qui ne s’appliquent pas à ces banques régionales américaines, sont heureusement en œuvre pour toutes les banques européennes. Et l’Europe bénéficie d’une supervision commune forte des banques, qui n’existe hélas pas aux États-Unis.

Propos recueillis par Francis BROCHET