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- Projections macroéconomiques - Juin 2022
Afin d’apporter une contribution aux débats économiques nationaux et européens, la Banque de France diffuse périodiquement des prévisions macroéconomiques relatives à la France, effectuées dans le cadre de l’Eurosystème et portant sur l’année en cours ainsi que les deux années suivantes. Certaines sont suivies d’une analyse plus détaillée avec des coups de projecteurs sur certaines thématiques.
Introduction
• Le contexte de la guerre en Ukraine, et les fortes tensions sur les marchés des matières premières ainsi que sur les chaînes de valeur internationales, créent un environnement difficile. Ces chocs nous conduisent à revoir à la hausse l’inflation et à la baisse l’activité, de façon plus marquée qu’en mars.
• L’inflation en France serait en conséquence élevée en 2022 et en 2023. La dynamique des prix de l’énergie serait la première source de cette forte hausse des prix, d’autant que nous supposons conventionnellement que le bouclier tarifaire ne serait pas prolongé au-delà de la fin de cette année. Elle serait également nourrie dans les prochains trimestres par les produits alimentaires et les biens manufacturés. Ensuite, l’inflation totale et sa composante hors énergie et alimentation reviendraient autour de 2 % dans notre scénario central au cours de 2024, soit l’objectif de l’Eurosystème, un rythme proche de celui de la période 2002-2007.
• En 2022, l’activité ralentirait à 2,3 % en moyenne annuelle si l’on prend mécaniquement en compte la révision des comptes trimestriels passés publiée par l’Insee le 31 mai dernier (et à 2,7 % avant cette révision). La croissance serait affectée par le niveau actuel de l’inflation qui pèse sur le pouvoir d’achat, et par la détérioration de la conjoncture économique internationale ainsi que par le contexte géopolitique très incertain qui dégrade la confiance de tous les agents économiques. À court terme, notre scénario central inscrit un ralentissement prononcé sur les quatre trimestres de 2022, même si la baisse du PIB du premier trimestre ne se prolongerait pas. Ensuite, en 2023, la croissance du PIB serait de + 1,2 % en moyenne, du fait d’une certaine persistance des chocs actuels, et aussi, par hypothèse conventionnelle retenue ici, de la fin de la partie temporaire des mesures prises pour soutenir l’économie en temps de crise. Mais, en 2024, une fois les chocs passés, la croissance retrouverait un rythme plus soutenu, à + 1,7 % en moyenne, avec une demande intérieure assez vigoureuse. Dans ce contexte, l’emploi résisterait globalement assez bien, et le taux de chômage avec une hausse modérée resterait à des niveaux historiquement favorables.
• Le déficit public serait affecté par l’activité économique, mais aussi en 2022 par les mesures de soutien au pouvoir d’achat. Avec nos hypothèses actuelles, le déficit public s’améliorerait, mais resterait légèrement supérieur à – 3 % du PIB en 2024. En conséquence, la décrue de la dette publique amorcée en 2021 marquerait le pas en fin d’horizon de projection.
• Au regard du haut degré d’incertitude, nous présentons aussi un scénario défavorable dans lequel des risques supplémentaires se matérialiseraient, dont des tensions beaucoup plus marquées sur les prix de l’énergie et de l’alimentation. Alors que nous ne préjugions pas des probabilités respectives des deux scénarios "conventionnel" et "dégradé" en mars, la variante défavorable présentée ici doit s’interpréter comme un risque par rapport à notre scénario central, jugé à ce stade plus probable. La croissance serait dans cette variante nettement réduite en 2022, et le PIB reculerait de – 1,3 % en 2023 avant que la croissance se rétablisse partiellement, à + 1,3 % en 2024. Les chocs sur les prix des matières premières se traduiraient aussi par une inflation supérieure à 6 % en 2022 et 2023, suivie d’un repli plus marqué de l’inflation en 2024 au vu du contexte économique très dégradé dans ce scénario. La dette publique subirait dans ce contexte un net choc à la hausse, même à politique budgétaire inchangée.
Projections macroéconomiques (Juin 2022) | Banque de France
Après une année 2021 marquée par un net rebond de l’activité, les conséquences économiques de la guerre en Ukraine affaibliraient la reprise post-Covid
L’année 2021 a été marquée par une activité particulièrement dynamique à partir du printemps, se traduisant par une croissance annuelle forte, dans un contexte de levée des restrictions sanitaires qui pesaient particulièrement sur l’activité en 2020. Sur la deuxième partie de l’année, des tensions sur les prix des matières premières et des difficultés croissantes d’approvisionnement sont cependant graduellement apparues, en lien avec la forte reprise économique dans l’ensemble des économies à la suite des confinements mis en place pour faire face à la pandémie. Ces difficultés se sont nettement accentuées au début de 2022 avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, ainsi qu’avec le rétablissement de mesures de confinement dans certaines régions de Chine.
Ainsi, au premier trimestre 2022, selon les résultats détaillés des comptes nationaux trimestriels publiés le 31 mai par l’Insee, le PIB a fléchi, en baisse de – 0,2 % (cf. encadré 1), traduisant notamment un recul marqué de la consommation des ménages (– 1,5 %) et des exportations moins dynamiques qu’attendu. Au deuxième trimestre, selon les informations conjoncturelles provenant des enquêtes de la Banque de France, la croissance serait positive de l’ordre de ¼ de point : certains secteurs des services (notamment l’hôtellerie-restauration) profiteraient de la suppression des dernières restrictions sanitaires et de la reprise du tourisme y compris étranger, tandis que l’amélioration de l’activité dans l’industrie et le bâtiment serait un peu freinée par les difficultés d’approvisionnement et le renchérissement des coûts de production.
L’activité resterait modérée sur la deuxième partie de l’année 2022, affectée notamment par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires et par l’évolution de la conjoncture internationale. Les hypothèses relatives aux prix des matières premières et à l’environnement international de l’Eurosystème, arrêtées le 17 mai 2022, supposent, d’une part, un prix du baril de Brent à 105,8 dollars en moyenne en 2022, soit une forte révision à la hausse par rapport au prix de 93 dollars qui était anticipé dans notre scénario conventionnel de mars (cf. graphique 1). Nous prenons en compte à travers cette hausse du prix du Brent les anticipations de marché d’un embargo graduel de l’Union européenne sur le pétrole d’origine russe, mais ne considérons pas dans notre scénario central que cela donnerait lieu à un durcissement marqué des contraintes d’approvisionnement en énergie étant donné la possibilité de substitution entre différentes sources d’approvisionnement pour le pétrole. Au renchérissement du prix du pétrole brut s’est ajoutée une augmentation récente des marges de raffinage et de distribution, en particulier sur le diesel majoritairement importé de Russie, que nous prenons aussi en compte. Par ailleurs, la demande des pays partenaires de la France connaîtrait une nette dégradation : sa croissance est révisée à la baisse d’environ 1 et 1 ½ point en 2022 et 2023, par rapport au scénario conventionnel que nous avions publié en mars.
Ces facteurs défavorables, renforcés par le niveau élevé d’incertitude qui entame la confiance des ménages et des investisseurs, pèseraient sur la croissance annuelle en 2022. Celle-ci s’élèverait ainsi en moyenne à 2,3 % si l’on prend mécaniquement en compte les résultats détaillés publiés par l’Insee le 31 mai dernier. Elle serait nettement révisée à la baisse par rapport à nos prévisions conventionnelles de mars et proche de notre scénario dégradé d’alors. Cette croissance en moyenne annuelle, cependant résiliente, tient essentiellement à un effet d’acquis résultant de la reprise dynamique au second semestre 2021. Les trimestres de l’année en cours contribueraient peu à la croissance de 2022, avec un glissement annuel en fin d’année de seulement environ ½ point.
La croissance du PIB en 2023, à + 1,2 % en moyenne, serait proche de notre scénario dégradé de mars (cf. tableau 1). En effet, la reprise resterait limitée par une inflation toujours soutenue pesant cette année encore sur le pouvoir d’achat des ménages, tandis que les soutiens budgétaires contribueraient moins à l’activité, avec l’arrêt (par hypothèse conventionnelle retenue ici) de certaines mesures devant être temporaires comme celles liées à la crise sanitaire et le bouclier tarifaire supposé être levé début 2023. Néanmoins, la reprise du commerce mondial et la dissipation progressive des contraintes d’approvisionnement, sous l’hypothèse d’une baisse en intensité du conflit ukrainien à partir du début d’année prochaine, soutiendraient les exportations françaises.
Le coût total de la guerre en Ukraine pour l’économie française, en l’approchant par la révision de nos prévisions depuis nos projections de décembre 2021, serait une perte cumulée de l’ordre de 2 points de PIB sur la période 2022-2024.
Encadré 1 : Selon les derniers comptes nationaux publiés fin mai, après la clôture de cette prévision coordonnée par l’Eurosystème, l’acquis de croissance pour 2022 est révisé à la baisse
Nos projections macroéconomiques s’appuient sur l’information disponible au moment de la finalisation de celles-ci, soit la première estimation des comptes nationaux pour le premier trimestre 2022 publiée par l’Insee le 29 avril 2022. Mais l’Insee a publié le 31 mai conjointement la deuxième estimation des comptes trimestriels du premier trimestre 2022 (dits "résultats détaillés") ainsi que les comptes annuels révisés pour les années 2019-2021. Dans cette estimation, la croissance du PIB est revue à la baisse à – 0,2 % au premier trimestre 2022, contre 0,0 % estimé auparavant. La croissance annuelle pour 2021 est également revue à la baisse à 6,8 %, contre 7,0 % estimé auparavant. La croissance annuelle pour 2020 est quant à elle revue à la hausse à – 7,9 % (+ 0,1 point de pourcentage – pp). Au total, l’acquis de croissance pour 2022 à la fin du premier trimestre est réduit de 2,4 % à 1,9 %.
En partant des données révisées jusqu’au premier trimestre 2022 et en appliquant les taux de croissance trimestriels de nos projections macroéconomiques de juin pour le reste de l’année, nous révisons mécaniquement la croissance de 2022 à 2,3 %, contre 2,7 % estimé lors de la finalisation de ces projections avec le reste de l’Eurosystème.
L’économie française commence ainsi l’année 2022 avec un peu moins d’élan par rapport à ce qui était inscrit dans les comptes nationaux jusqu’à présent. Toutefois, dans la mesure où les évolutions des grands agrégats macroéconomiques (PIB, consommation, emploi, revenus des ménages et des entreprises, etc.) ne sont dans l’ensemble pas profondément révisées, ces nouvelles informations ne remettent pas en question notre diagnostic global sur les projections en 2023 et à l’horizon 2024.
Par ailleurs, l’Insee a également publié le 15 juin les résultats définitifs d’inflation pour le mois de mai 2022. Sur un an, l’inflation de l’IPCH total s’élèverait à 5,8 % et à 3,4 % pour l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) hors énergie et alimentation. Dans les deux cas, ces données sont proches de notre scénario central et ne remettent pas en cause notre prévision sur le reste de l’horizon.
Une inflation élevée en 2022 et 2023, qui reviendrait cependant autour de 2 % en 2024
La hausse de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) s’est poursuivie au cours de ces derniers mois, passant de 5,1 % en rythme annuel en mars à 5,4 % en avril, puis 5,8 % en mai. L’inflation mesurée par l’IPC (indice des prix à la consommation) s’établirait quant à elle à 5,2 % en mai 2022, après 4,8 % en avril et 4,5 % en mars ; cet écart entre les deux mesures, inhabituellement élevé actuellement et qui devrait se réduire dans le futur, découle principalement du poids plus important de l’énergie dans le panier de l’IPCH. Les conséquences de la guerre en Ukraine, qui sont venues s’ajouter aux tensions préexistantes sur les approvisionnements, alimentent cette inflation élevée à travers la forte contribution des prix de l’énergie en lien avec le prix du pétrole. De plus, le prix du diesel raffiné, déjà en hausse tout au long de l’année 2021 à la suite de la reprise post-Covid, s’est fortement apprécié depuis le mois de février 2022. En effet, le conflit en Ukraine a entraîné une baisse importante des exportations russes de diesel (la France importe autour de 20 % de son diesel depuis la Russie), contribuant à une hausse des marges de raffinage, qui sont in fine répercutées dans les prix à la pompe. Enfin, comme déjà indiqué, nous faisons l’hypothèse conventionnelle que les mesures prises pour contenir les hausses de prix de l’énergie (de type bouclier tarifaire) ne seraient pas prolongées au-delà de la fin 2022.
Cependant la dynamique actuelle de l’inflation ne concerne pas seulement les prix de l’énergie. En mai, les prix des produits alimentaires ont augmenté à 3,8 %, traduisant les hausses de prix des matières premières alimentaires observées depuis plusieurs mois. Les prix des produits manufacturés affichent eux aussi une hausse (à 3,8 % en glissement annuel), soutenue par le renchérissement des coûts de production observé depuis le second semestre 2021 (forte reprise de la demande post-Covid). Enfin, l’augmentation des prix des services est désormais élevé (à 3,2 % en glissement annuel).
En mars, nous anticipions dans notre scénario dégradé que la hausse de l’IPCH total s’établirait à 4,4 % en moyenne annuelle en 2022. Depuis, même si nous anticipons à présent un prix du pétrole moins élevé (105,8 dollars le baril en 2022) que dans les hypothèses de ce scénario dégradé (119 dollars le baril en 2022), l’envolée des prix des matières premières alimentaires et la hausse des marges de raffinage, au-delà des niveaux attendus dans ce scénario, mais aussi les restrictions sanitaires en Asie qui accentuent les difficultés d’approvisionnement, conduisent à une inflation à 5,6 % dans notre nouveau scénario central. L’inflation totale serait également plus persistante et décroîtrait seulement très progressivement en 2023 pour repasser au-dessous de 2 % au cours de l’année 2024, sous l’hypothèse d’une normalisation progressive des prix du pétrole et des prix agricoles mondiaux (cf. graphique 3).
Pour autant l’inflation en France resterait significativement inférieure à celle de la zone euro en 2022 (attendue à 6,8 % selon l’Eurosystème). Cet écart de 1,2 point de pourcentage en faveur de la France s’explique en majeure partie par le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité supposé maintenu tout au long de l’année 2022. En effet, les prix du gaz et de l’électricité expliqueraient environ trois quarts de l’écart d’inflation entre la France et la zone euro en 2022. En revanche, les produits pétroliers auraient une contribution relativement faible à l’explication de cet écart, de nombreux pays de la zone euro ayant pris des mesures similaires à la remise sur les prix des carburants pour freiner l’envolée des prix à la pompe. Le reste de l’écart serait à mettre au compte d’une hausse des prix alimentaires moins marquée en France sur le premier semestre. La réouverture des négociations entre producteurs et distributeurs, prévues par la loi EGalim 2, depuis mi-mars, pourrait néanmoins déboucher sur des hausses de coûts pour les distributeurs à partir du second semestre, reportées au moins en partie sur les consommateurs, ce qui réduirait l’écart sur ce poste avec le reste de la zone euro. Par ailleurs, l’inflation hors énergie et alimentation aurait une dynamique similaire en France et en zone euro (à 3,3 % en 2022).
En 2023, l’inflation de l’énergie poursuivrait son reflux graduel (cf. graphique 4) qui devrait débuter vers la fin du second semestre 2022, en lien avec une baisse du prix du pétrole telle qu’indiqué aujourd’hui par les contrats à terme. De leur côté, les hausses des prix des biens alimentaires et des produits manufacturés, après leurs pics atteints en fin d’année 2022, se normaliseraient à un rythme seulement très progressif, traduisant une persistance liée à la diffusion graduelle des prix des matières premières et des contraintes d’approvisionnement. L’inflation dans les services, entretenue par la progression des salaires, resterait, elle, dynamique. Au total, l’inflation totale s’établirait à 3,3 % en moyenne sur l’année.
En 2024, l’inflation totale, à 1,9 % en moyenne annuelle, serait bien au-dessus du rythme annuel moyen, trop bas, enregistré au cours de la dernière décennie et plus proche de son rythme des années 2000. Elle serait portée par la dynamique de sa composante hors énergie et alimentation, à 2,2 % en moyenne annuelle. Plus précisément, les variations des prix des produits manufacturés reviendraient graduellement vers leur moyenne historique, tandis que le dynamisme des prix des services se maintiendrait à cet horizon. Ce dynamisme des prix des services reflèterait des salaires toujours en nette progression, mais aussi une hausse des loyers plus dynamique en lien avec son indexation sur l’inflation passée, par le biais de l’indice de référence des loyers.
Le prélèvement externe dû à la hausse des prix importés serait supporté à la fois par les ménages et les entreprises
Les conséquences de la guerre en Ukraine, qui s’ajoutent aux difficultés déjà présentes sur les chaînes de valeur internationales et les marchés de matières premières, se traduisent à la fois par une forte augmentation des prix à la consommation et un renchérissement des coûts de production supporté par les entreprises.
Ces hausses de prix auraient bien sûr des effets sur les salaires nominaux. Suivant sa formule de revalorisation automatique en fonction de l’inflation, le salaire minimum a connu trois réévaluations successives entre octobre 2021 et mai 2022 qui ont conduit à une hausse globale de près de 6 % sur un an, soit plus que l’inflation à fin mai (inflation IPC à 5,2 %). Suivant cette même formule, nous anticipons deux nouvelles augmentations en octobre 2022 et octobre 2023 en plus des hausses habituelles de janvier. Ces augmentations se diffuseraient en partie par la suite au reste de l’échelle des salaires, notamment par le biais des négociations de salaires de branche : pour 2022, les négociations de début d’année se sont conclues par de premières hausses des salaires négociés se situant déjà autour de 3 %, alors qu’elles étaient plus proches de 1 % ces dernières années. Après la hausse du salaire minimum de mai dernier, un certain nombre de branches ont vu leurs minima repasser sous le niveau du SMIC, ce qui devrait les conduire à lancer de nouvelles négociations, sachant que de nombreuses conventions de branche prévoient par ailleurs des "clauses de revoyure" en cas d’inflation plus forte qu’anticipé.
Ainsi, les salaires nominaux, soutenus également par les difficultés de recrutement et la situation favorable sur le marché du travail du début de 2022, seraient particulièrement dynamiques en 2022 et 2023, avec une croissance annuelle de 5 % du salaire moyen par tête dans le secteur marchand (hors effets mécaniques liés au chômage partiel), avant de retrouver progressivement en 2024 un rythme de croissance annuelle de l’ordre de 3 %, proche de la croissance des salaires de la première décennie des années 2000 (cf. graphique 5). Les régularités historiques montrent en général que le dynamisme des salaires nominaux ne contrebalance que partiellement les hausses des prix à la consommation, depuis que l’indexation des salaires a été abandonnée dans les années 1980 (a contrario, ces régularités historiques expliquent une partie des gains de pouvoir d’achat temporaires quand l’inflation est trop basse). Le salaire réel (corrigé du chômage partiel) serait ainsi simplement stable en 2022 ; sa croissance reprendrait ensuite en 2023 et 2024 à un rythme proche de celui de la productivité.
Cette évolution des salaires nominaux, dans un contexte de forte hausse des prix des matières premières et des biens intermédiaires, pèserait un peu sur les coûts des entreprises. Le taux de marge des sociétés non financières, gonflé artificiellement en 2019 en raison du double compte du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) puis exceptionnellement soutenu en 2020 et 2021 par les différentes mesures mises en place pour faire face à la crise Covid, se dégraderait d’environ 2 ½ points entre 2021 et 2024, une dégradation d’une ampleur bien moindre que celle d’environ 4 points qui avait pu être observée à l’époque des chocs pétroliers des années 1970 (cf. graphique 6). Finalement, le taux de marge se rapprocherait en 2024 de son niveau d’avant-crise (environ 32 % en 2018), aidé par la baisse des impôts de production en 2021. Cette situation moyenne ne doit toutefois pas faire oublier une hétérogénéité sectorielle : les taux de marge dans les branches manufacturières (hors cokéfaction-raffinage) seraient encore fortement pénalisés par le renchérissement des matières premières, tandis que les services marchands seraient beaucoup moins affectés et que le taux de marge augmenterait dans les branches liées à l’énergie.
Après sa nette hausse de 2021, le pouvoir d’achat des ménages se replierait temporairement en 2022, ce qui pèserait sur la consommation
Malgré la progression soutenue des salaires nominaux, le pouvoir d’achat des ménages se replierait en 2022, après sa hausse de 2021 (cf. graphique 7). L’impact de la hausse des prix à la consommation sur les revenus réels serait toutefois amorti par les mesures de soutien au pouvoir d’achat déjà mises en place (bouclier tarifaire, ristournes à la pompe, refonte du barème kilométrique) ou annoncées pour le projet de loi de finances rectificative (relèvement du point d’indice de la fonction publique, revalorisation des prestations sociales, suppression de la redevance audiovisuelle). Ainsi, après avoir été préservé au plus fort de la crise Covid et avoir connu une forte hausse de 2,0 % en 2021, le pouvoir d’achat par habitant diminuerait en moyenne de 1,0 % en 2022, mais se redresserait ensuite progressivement en 2023 (+ 0,5 %) et plus nettement en 2024 (+ 1,5 %), à mesure que le choc de prix perdrait en intensité.
Cette perte de pouvoir d’achat, même modérée en moyenne, ralentirait la consommation des ménages. La consommation connaîtrait un léger rebond au deuxième trimestre 2022, en particulier dans les services de transport et l’hébergement-restauration, affectés au premier trimestre par le regain épidémique lié au variant Omicron. Elle resterait pénalisée sur le reste de l’année alors que des comportements d’épargne de précaution associés aux craintes quant à la situation géopolitique internationale sont probables. Les contraintes d’approvisionnement pourraient également entraver la consommation des ménages au cours des prochains trimestres, en particulier dans le secteur automobile. Ainsi, en 2022, la consommation des ménages progresserait de 2,9 %, croissance essentiellement due à des effets d’acquis et assez nettement inférieure à nos prévisions de mars dans les scénarios conventionnel et dégradé. En 2023 et 2024, la croissance de la consommation reviendrait sur un rythme supérieur à 2 % par an.
Dans ce contexte incertain, les ménages continueraient à épargner davantage qu’avant 2020, en particulier en 2022 où le taux d’épargne demeurerait particulièrement élevé, à 16,5 % du revenu disponible brut (cf. graphique 8). Le taux d’épargne diminuerait ensuite pour retrouver un taux de 15 % proche de celui de 2019. À un niveau agrégé, le surplus d’épargne financière, cumulé en 2020-2021, ne serait donc que faiblement dépensé à l’horizon 2024. Cette approche agrégée masque une forte diversité de situations parmi les ménages : les ménages les plus aisés qui ont accumulé les plus grands montants de surplus d’épargne, ne sont pas nécessairement les plus touchés par la hausse des prix de l’énergie et leur surplus d’épargne alimente aussi leur investissement. À l’inverse, les ménages les moins aisés, dont la part des dépenses en biens alimentaires et énergétiques est relativement élevée, seraient contraints de puiser dans leurs éventuelles réserves.
La dégradation de la situation macroéconomique pèserait modérément sur l’investissement privé
L’investissement des ménages, alimenté par le surplus d’épargne, a fortement rebondi en 2021. Il semble toutefois désormais marquer le pas, affecté par le renchérissement de la construction lié aux difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction et aux difficultés de recrutement structurelles dans le secteur du bâtiment. Le taux d’investissement des ménages, en repli à l’horizon 2024, resterait cependant à un niveau élevé par rapport à sa moyenne historique.
L’investissement des entreprises s’est, lui, rétabli rapidement à la suite de la crise sanitaire et est resté dynamique au premier trimestre 2022, toujours porté par les dépenses dans les technologies numériques. Il se stabiliserait sur le reste de l’année, en conséquence de la baisse des marges et de comportements attentistes du fait de l’incertitude. Le taux d’investissement des sociétés non financières baisserait ainsi à 24,6 % de leur valeur ajoutée en 2022, après un point haut historique à 25,6 % en 2021, et il reprendrait ensuite une progression semblable à celle observée depuis 2015 (cf. tableau C3).
Les exportations françaises seraient freinées par l’évolution de la conjoncture économique mondiale
Les tensions internationales sur les marchés de l’énergie et des matières premières, ainsi que la situation sanitaire dégradée en Chine, pèseraient sur le commerce mondial et, par conséquent, sur la demande extérieure adressée à la France. Les projections de l’Eurosystème sur la demande mondiale sont ainsi revues à la baisse sur l’ensemble de l’horizon de prévision par rapport au scénario conventionnel de mars. En 2023, la demande adressée à la France progresserait de seulement 2,6 %. Néanmoins, les exportations bénéficieraient du rétablissement progressif des performances à l’exportation de la France, qui étaient encore nettement dégradées au début 2022, vers leur niveau d’avant-crise à l’horizon 2024 (cf. graphique 9). Ce rétablissement proviendrait de la normalisation progressive dans les secteurs traditionnellement moteurs des exportations françaises mais particulièrement affectés par la crise Covid, en particulier l’aéronautique et le tourisme. Au final, les exportations seraient freinées par cette moindre demande adressée, mais devraient tout de même demeurer dynamiques sur tout l’horizon de prévision, avec une croissance moyenne de près de 8 % en 2022 qui baisserait progressivement pour atteindre un peu plus de 4 % en 2024.
Le ralentissement de la demande intérieure se traduirait par un ralentissement des importations en 2022, qui ré-accélèreraient ensuite avec l’amélioration de la situation sur les chaînes d’approvisionnement internationales. Finalement, le commerce extérieur net contribuerait peu à la croissance du PIB sur tout l’horizon de prévision.
Le ralentissement de l’activité entraînerait une légère remontée du taux de chômage vers un peu moins de 8 % en 2023-2024, un niveau encore inférieur à celui pré-crises de 2019
Malgré un taux de chômage à 7,3 %, proche des points bas historiques (cf. graphique 10), l’emploi a manifesté des premiers signes de ralentissement début 2022, après sa hausse très forte de 2021. Le ralentissement se poursuivrait sur le reste de l’année et la progression sur quatre trimestres de l’emploi salarié marchand fin 2022 serait de 77 000 seulement. En outre, le secteur public contribuerait négativement aux variations d’emploi non marchand à la suite du non-renouvellement des emplois temporaires dans les secteurs de la santé et de l’éducation qui avaient été créés pendant la crise sanitaire pour des besoins temporaires.
À moyen terme, le ralentissement marqué de l’activité se traduirait avec un certain décalage par une stagnation de l’emploi marchand et une remontée progressive du taux de chômage, qui se stabiliserait un peu au-dessous de 8 % en 2024, soit un niveau qui resterait inférieur à celui pré-crises de 2019. Cela correspondrait à une quasi-stabilité de l’emploi sur tout l’horizon de prévision, soit, étant donné les forts gains ces deux dernières années, environ 400 000 emplois de plus que fin 2019.
La résilience du marché du travail, au regard des chocs d’ampleur historique ayant affecté l’activité en 2020, s’est traduite par une productivité nettement en deçà de sa tendance d’avant-crise (qui était de l’ordre de 0,7 % par an sur la période 2010-2019). Le ralentissement de l’emploi s’accompagnerait dans cette projection d’un retour progressif de la productivité par tête vers sa tendance d’avant-crise en fin d’horizon de prévision.
Le contexte économique ainsi que les mesures de soutien au pouvoir d’achat et de relance pèseraient sur le déficit public et sur la dette publique
Notre prévision de l’évolution des finances publiques s’inscrit dans le scénario macroéconomique décrit précédemment et intègre les dernières annonces du gouvernement jusqu’à fin mai, lorsqu’elles sont suffisamment quantifiables. Elle ne peut intégrer le détail précis des mesures économiques et budgétaires qui devraient être adoptées dans les prochaines semaines.
En 2022, malgré le fort rebond économique et le versement des fonds européens de Facilité pour la reprise et la résilience (RRF), le solde public resterait dégradé à − 5,0 % du PIB, après − 6,5 % en 2021, en raison de mesures encore massives de lutte contre la crise sanitaire, de soutien au pouvoir d’achat des ménages et la poursuite du déploiement des mesures de relance, alors que le taux de prélèvements obligatoires (PO) diminuerait légèrement. Cette baisse du taux de PO viendrait des mesures déjà amorcées depuis un certain temps (suppression progressive de la taxe d’habitation, diminution du taux d’impôt sur les sociétés) et des nouvelles mesures de réduction d’impôts (notamment la baisse temporaire de 8 milliards d’euros de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité – TICFE pour 2022), et malgré des assiettes fiscales nominales plus dynamiques que le PIB.
Les dépenses publiques resteraient fortes en 2022 du fait de dépenses de santé encore élevées pour faire face à la crise sanitaire, couplées à la poursuite du déploiement du plan France Relance. À cela s’ajoutent les mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages pour faire face à l’augmentation des prix de l’énergie (pour environ 15 milliards d’euros de dépenses en 2022, portant le total depuis 2021 à 20 milliards d’euros), comprenant notamment
le chèque énergie et le bouclier tarifaire. Ces mesures, entrées en vigueur pour certaines fin 2021, ont été renforcées par l’adoption du plan de résilience en mars 2022.
À législation inchangée, le solde public s’améliorerait en 2023-2024, sous l’effet de la fin des mesures temporaires et d’une croissance encore soutenue, sans pour autant atteindre, avec nos hypothèses actuelles, le seuil des – 3 % du PIB.
Le ratio de dette publique diminuerait progressivement en 2022 et 2023, aidé en cela par le tirage des 75 milliards d’euros de trésorerie publique accumulés en 2020 et non encore résorbés en 2021. La dette publique se stabiliserait un peu au-dessous de 110 % du PIB, en 2023-2024, sur la base des mesures que nous pouvons quantifier à ce stade (cf. graphique 11).
La guerre en Ukraine engendre une incertitude élevée avec notamment de possibles tensions supplémentaires sur les prix et les approvisionnements en énergie
La situation géopolitique autour de la guerre en Ukraine demeurant hautement incertaine, notre scénario central est accompagné d’un scénario plus défavorable (cf. encadré 2). Ce scénario défavorable repose notamment sur l’hypothèse d’un arrêt complet et immédiat des importations européennes de gaz russe et des tensions supplémentaires sur les prix du gaz et du pétrole.
À l’inverse, nos scénarios central et dégradé ne prennent pas en compte de possibles nouvelles réponses de politique économique sur les plans national et européen, qui pourraient être de nature à atténuer l’impact macroéconomique des chocs. Notamment, ces scénarios n’intègrent pas les mesures qui pourraient être décidées à l’échelle européenne pour faciliter le financement des investissements dans la transition énergétique ou la souveraineté industrielle. Plus spécifiquement dans le cas français, une incertitude subsiste concernant certaines mesures budgétaires de soutien au pouvoir d’achat, qui devraient être détaillées lors d’une prochaine loi de finances rectificative.
Enfin, de nombreux autres risques non directement liés au conflit en Ukraine pourraient également jouer sur notre prévision, à la hausse comme à la baisse. En particulier, les mesures de la politique "zéro Covid" en Chine pourraient affecter davantage les chaînes de valeur internationales et désorganiser les échanges mondiaux. Mais la détérioration de la situation macroéconomique chinoise pourrait par ailleurs alléger les tensions sur le prix des matières premières.
Des aléas significatifs existent aussi en matière d’évolution des prix. D’éventuels chocs à la baisse sur l’activité liés à des difficultés supplémentaires d’approvisionnement risquent d’être accompagnés de chocs à la hausse sur l’inflation, en particulier à court terme. Sur la deuxième partie de notre horizon de projection, une dégradation de l’activité et du chômage pourrait avoir des effets désinflationnistes. Mais à l’inverse, des effets de second tour plus importants à travers la boucle prix-salaires seraient de nature à augmenter l’inflation et l’ancrage des anticipations de long terme d’inflation doit être suivi avec vigilance.
Encadré 2 : Dans un scénario défavorable, marqué notamment par des tensions supplémentaires sur les prix de l’énergie, la France connaîtrait une récession et l’inflation atteindrait 7 % en 2023, avant une amélioration en 2024
Le risque d’une prolongation de la guerre menée par la Russie en Ukraine qui impliquerait une incertitude plus forte et plus durable ainsi que de nouvelles sanctions économiques nous conduit, de façon coordonnée avec l’ensemble des banques centrales nationales de l’Eurosystème, à présenter les conséquences d’un scénario particulièrement défavorable, quoique moins probable que notre scénario central.
Ce scénario est construit sur une série de chocs. Alors que notre scénario central inclut un embargo complet sur le charbon russe et un embargo sur le pétrole russe avec substitution possible (à travers l’hypothèse de prix du pétrole issue des futures lors de la cut-off date) et des prix du gaz déjà élevés, ce scénario défavorable est construit non seulement sur l’hypothèse d’un arrêt total des importations européennes de pétrole et de gaz russe à partir du troisième trimestre 2022 mais aussi de tensions supplémentaires d’ampleur tout à fait exceptionnelles sur les prix du pétrole et du gaz (cf. ci-dessous). Par ailleurs, la prolongation du conflit et ses effets sur l’incertitude pèseraient aussi sur la demande intérieure ainsi que sur le commerce international, les conditions financières et les prix alimentaires. Enfin, nous raisonnons ici à politiques inchangées et ne prenons pas en compte de mesures supplémentaires qui pourraient être prises par les gouvernements (au-delà des stabilisateurs automatiques). Ce narratif du scénario défavorable et les hypothèses associées sont détaillés et quantifiés dans le tableau A.
À la différence de notre scénario central que nous considérons aujourd’hui comme plus probable, ce scénario retient volontairement des hypothèses sévères afin d’illustrer les risques à la baisse pouvant affecter notre scénario central. Nous retenons des hypothèses de substitution plus limitée entre sources d’énergie. De plus, alors que nous retenons dans notre scénario central des prix du pétrole et du gaz issus des marchés à terme, qui traduisent l’hypothèse de trajectoire future de ces prix la plus probable selon les marchés, nous retenons dans notre scénario défavorable des prix dont les pics sont largement au-delà des quartiles supérieurs des distributions futures de ces prix (distribution issue de données d’option pour le prix du pétrole et issue des erreurs de prévision passées des futures pour le prix du gaz).
Dans ce scénario défavorable, le choc se concentrerait en 2023 sur la croissance comme l’inflation. L’économie française connaîtrait une récession de – 1,3 % en 2023 (cf. tableau B). Elle reviendrait ensuite à une croissance positive de 1,3 % en 2024. L’inflation atteindrait 6,1 % en 2022 et continuerait d’augmenter à 7,0 % en 2023, à comparer à 5,6 % en 2022 et à 3,4 % en 2023 dans notre scénario central. Elle diminuerait en revanche alors très nettement à 0,7 % en 2024 sous l’influence de la baisse plus prononcée des prix de l’énergie et de l’effet désinflationniste de la récession de 2023, à comparer à un rythme proche de 2 % dans le scénario central.
Près de 60 % de l’impact négatif sur le PIB en 2023 s’expliquerait par les effets des chocs (ruptures d’approvisionnement et prix) sur l’énergie, y compris à travers leurs répercussions sur le pouvoir d’achat des ménages pesant sur leur consommation et leur investissement (cf. graphique A). La baisse de la demande adressée aux exportateurs français jouerait également un rôle non négligeable en 2023 et 2024. La quasi-intégralité du choc sur l’inflation s’expliquerait par la hausse du prix des hydrocarbures (cf. graphique B).
En matière de finances publiques, le déficit public se creuserait de l’ordre de 2 points de PIB par rapport au scénario central, pour atteindre 5 % du PIB en 2024. Et la dette augmenterait de près de 8 points de PIB par rapport au scénario central, pour atteindre 117 % du PIB.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024