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Quelle solidité de notre système financier dans la nouvelle donne économique ?
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 5 Décembre 2022
Conférence de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
Palais Brongniart, 5 décembre 2022
Discours de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, Président de l'ACPR.
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir à cette nouvelle édition de la Conférence de l’ACPR, centrée cette année naturellement autour du thème « Le superviseur face à l’incertitude ». La guerre russe en Ukraine se poursuit malheureusement, sans visibilité sur sa durée ni sur son issue finale. Elle crée un choc d’incertitude, et sans doute plus durablement une nouvelle donne macroéconomique et financière (I). Celle-ci forme le nouveau prisme de lecture des enjeux de stabilité financière et les décompose, comme pour la lumière, en faisceaux de cinq questions sur le système financier français (II).
I. Ce que nous savons – et ne savons pas – de la nouvelle donne : trois retours
Le retour de l’inflation et la hausse des taux. La hausse des prix s’est amplifiée au cours des derniers mois, atteignant 10 % en novembre pour la zone euro, et 7,1% pour la France, soit un niveau bien trop élevé et au-dessus de la cible d’inflation. En conséquence, nous, banques centrales, agissons avec détermination pour ramener l’inflation vers 2% d’ici deux ou trois ans. Le Conseil des gouverneurs de la BCE a ainsi augmenté ses taux de 200 points de base depuis juillet : nous nous sommes rapprochés du taux neutre estimé autour de 2% que nous devrions atteindre lors de notre réunion du 15 décembre. Soyons clairs : cette hausse des taux est une bonne nouvelle pour les banques et les assurances, qui ont longtemps critiqué les taux bas. Les institutions financières souhaitent une hausse ordonnée : elle l’est, largement ; mais ceci ne veut pas dire trop lente, ni prédéterminée. Il est trop tôt pour parler d’un « taux terminal » : nous déciderons, réunion après réunion, ce qui est nécessaire ; et nous ne pilotons pas les taux de marché, parfois excessivement volatiles.
Le retour de la volatilité sur les marchés, à commencer par les marchés de matières premières où les appels de marge ont atteint des pics historiques cet été. Sur les marchés actions, après les corrections observées depuis le début de l’année 2022, les niveaux de valorisation demeurent relativement élevés. Les marchés obligataires connaissent aussi une forte volatilité illustrée à l’extrême par la crise de septembre sur la dette souveraine britannique : au-delà de nombreux facteurs spécifiques, elle a valu rappel pour tous de l’impératif de politiques budgétaires crédibles. Face à cette volatilité des marchés, la protection de la clientèle s’impose plus que jamais. Un mot à ce propos sur la meilleure transparence et justification des frais de l’assurance-vie: j’avais souhaité devant vous avec Jean Paul Faugère des progrès cette année, en privilégiant le dialogue avec les assureurs. Nous devons malheureusement constater que le compte d’un bon accord n’y est pas encore aujourd’hui : sous réserve d’avancées rapides de la profession, que nous continuons à souhaiter, nous prendrons donc si nécessaire une recommandation de l’ACPR d’ici la mi-2023. Jean-Paul Faugère y reviendra tout à l’heure.
Le retour enfin et surtout des incertitudes, avec des difficultés à anticiper les risques. L’un est certain : le ralentissement économique en Europe et plus largement dans le monde. La Banque de France ne croit pas à un atterrissage brutal pour l’économie française ; mais nous devons faire face collectivement – et sans doute durablement – à un « prélèvement énergie » de l’ordre de 2 % du PIB, à supporter équitablement par les entreprises et les ménages. Sur la stabilité financière, les incidents se multiplient depuis deux ans, surtout dans l’intermédiation non bancaire – j’y reviendrai. Si ces évènements n’ont pas eu pour l’heure de conséquences systémiques, nous devons accroître notre vigilance partout puisque nous ne pouvons prétendre savoir d’où viendrait une prochaine crise, et continuer à renforcer notre résilience. D’abord en assurant en Europe la transposition de Bâle 3 et la revue de Solvabilité 2 ; ensuite, en renforçant la surveillance de risques encore insuffisamment appréhendés par les réformes.
II. Cinq questions sur le système financier français
Les deux premières me paraissent claires sur une situation relativement favorable du système financier français dans ce nouvel environnement. Les trois autres sont peut-être plus nouvelles.
1. Le financement de l’économie reste-t-il bien assuré ? La réponse est oui. Pour les particuliers, le crédit immobilier est en France à la fois le moins cher, le plus abondant, et le plus sûr parmi les grands pays européens. Dans un contexte de remontée progressive des taux (1,84% en moyenne hors frais et assurance estimés en novembre contre 1,12% en janvier), la croissance des encours de crédit à l’habitat s’élève encore à +5,9% sur un an en octobre 2022, et plus de 97% de ces encours sont à taux fixes : c’est un atout décisif. Pour les entreprises, l’encours des crédits bancaires progresse fortement (+8,6% en octobre) : on observe un rééquilibrage de leur financement en faveur du crédit bancaire, du fait d’un coût plus contenu (+85 points de base) que celui du financement obligataire (+350 points de base). Au total, les besoins de financement de l’économie réelle restent ainsi largement satisfaits, grâce au travail des banques.
2. Les banques et les organismes assurances français sont-ils solides ? La réponse est également oui, à plusieurs égards. Les banques et les organismes d’assurance français affichent une situation financière et prudentielle solide: le ratio de solvabilité des six principaux groupes bancaires est proche des plus hauts historiques (14,5 % fin septembre) et celui des organismes d’assurance1 se renforce au 1er semestre 2022 pour atteindre 263%. La rentabilité des banques devrait en outre bénéficier progressivement des hausses ordonnées des taux d’intérêt. De plus, je le souligne après étude de l’ACPR, les compagnies d’assurance françaises utilisent peu le même type de produits dérivés que les fonds de pension au Royaume-Uni. Ces facteurs expliquent que les primes de CDS des banques françaises demeurent inférieures en moyenne à celles des banques aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe.
À l’échelle européenne, l’autorité bancaire – l’EBA avec le SSM – mènera en 2023 de nouveaux stress tests sur la capacité de résistance des institutions financières de l’Union. Les scénarios sous-jacents devront être suffisamment exigeants et crédibles dans le contexte actuel d’incertitude et de volatilité. Mais rien ne nous paraît justifier aujourd’hui une restriction générale sur la distribution de dividendes, comme cela avait été fait temporairement en 2020. Néanmoins, la prudence s’impose à tous en matière de trajectoire prospective de capital, et dans ce cadre en particulier de rachats d’action qui sont d’ailleurs soumis à une autorisation explicite du superviseur.
3. Quels sont dès lors les risques non bancaires qui pourraient être un canal de crise? La première source d’attention concerne les acteurs les moins régulés : si nous avons largement fait le travail de renforcement des banques et des organismes d’assurance, c’est beaucoup moins le cas des autres intermédiaires financiers (NBFI). Tous les épisodes d’instabilité financière depuis trois ans viennent des non-banques et non-assurances : du « dash for cash » des fonds monétaires en mars 2020 aux fonds de pension britannique en septembre. Les vulnérabilités naissent de l’utilisation excessive de l’effet de levier, d’une exposition insuffisamment maîtrisée aux appels de marge ou plus encore de l’asymétrie de liquidité dans certains fonds ouverts, fragilisés par des retraits massifs et soudains de capitaux. Il est donc grand temps que nous avancions sur le renforcement du cadre réglementaire des NBFIs dans toutes ses dimensions, qu’elles soient micro, mais aussi macroprudentielles. À titre d’illustration, sur les fonds monétaires, les autorités compétentes devraient en cas de stress extrême de liquidité pouvoir relâcher les coussins de liquidité pour les fonds en difficulté, mais aussi pouvoir décider d'activer un outil de gestion de la liquidité approprié.
Je veux aussi appeler l’attention sur trois autres risques non bancaires :
- le risque cyber, dont la fréquence et les coûts ont de fortes probabilités de monter encore avec la guerre en Ukraine. Au sein de l’Union européenne, le règlement DORA entrera en application en 2025 et offrira un cadre solide et harmonisé pour renforcer la résilience du secteur financier aux attaques informatiques et surveiller les prestataires tiers critiques comme les plateformes de cloud.
- les marchés immobiliers, avec un prix des logements croissant de 9% (en glissement annuel) en juin 2022 en zone euro, beaucoup plus rapidement que les revenus des ménages. À ce stade, les risques associés à un retournement apparaissent toutefois limités en France, y compris grâce à notre action macroprudentielle pour assainir la production de crédit à l’habitat. Nous restons néanmoins très attentifs, également sur les autres segments du marché tel que l’immobilier commercial.
- les cryptos, avec des épisodes successifs d’effondrements, dont FTX est le dernier, qui ont causé de fortes corrections de marché et un « hiver des cryptos » depuis près d’un an : leur répétition appelle de manière criante le renforcement de la surveillance. Oui, certains cryptos sont sans doute en route vers la non-pertinence, ou l’« irrelevance »2. Mais non, ce n’est pas une raison pour relâcher l’impératif de régulation. La France et l’Europe ont joué un rôle précurseur en ce domaine, avec la création du statut de PSAN, en 2019, puis l’adoption du paquet « Finance numérique » dont MiCA, au niveau européen il y a quelques semaines. Il est maintenant essentiel que cet effort soit pleinement partagé notamment outre-Atlantique.
4. Quelle doit être l’orientation de la politique macroprudentielle ? Afin de se prémunir contre un risque de retournement du cycle du crédit, le Haut Conseil de stabilité financière a déjà pré-annoncé en septembre la hausse de la réserve de protection du crédit (dit coussin contra-cyclique) à 1%. En 2023, le ralentissement économique invite à l’équilibre dans la politique macroprudentielle : celle-ci doit être protectrice, sans être procyclique ou restrictive, dans un contexte de resserrement de la politique monétaire. Ceci pourrait signifier une « pause » sur la réserve de protection de crédit à 1% – mais non un relâchement. Nous maintiendrons aussi les mesures « structurelles » sur les conditions d’octroi des crédits immobiliers; nous resterons en outre très vigilants sur l’appréhension des risques systémiques, notamment dans le domaine de l’immobilier commercial ou des non-banques.
5. Faut-il différer nos efforts à court terme sur le risque climatique ? La transition climatique risque aujourd’hui d’être éclipsée et retardée face à la montée des risques financiers et à la crise énergétique, avec un recours temporairement accru à certaines énergies fossiles en substitution du gaz russe. Pour autant, les risques climatiques n’ont en rien diminué, au contraire: si la transition écologique est reportée et mise en œuvre de manière désordonnée, les coûts associés seront d’autant plus élevés pour nos économies. Le contexte d’incertitude et de volatilité implique un renforcement de notre vigilance sur l’ensemble des risques, et donc y compris sur les risques climatiques, au travers de l’avancement sur les travaux de disclosure – publication qui devient obligatoire pour les banques en Europe dès 2023 au titre du pilier 3 ESG – ou sur l’opérationnalisation des plans de transition et des stress tests. À ce sujet, les trois agences européennes de supervision mèneront un stress-test essentiel en 2024 évaluant en particulier les risques de transition liés à la mise en œuvre du paquet « fit-for-55 » sur l’ensemble du secteur financier.
L’idée d’un arbitrage à court-terme entre risque climatique, et risque économique et financier serait trompeuse : les deux hélas croissent en parallèle, et à terme la crise russe est une raison de plus d’accélérer notre diversification et notre souveraineté énergétique par le non fossile. Il reste à tracer, sur les deux-trois années qui viennent, un « chemin de compatibilité » : toute mesure de soutien aux énergies fossiles, que ce soit à la production ou à la consommation – les fameux « boucliers tarifaires » – ne peut être que temporaire et ciblée, sauf à manquer gravement de cohérence.
Je voudrais pour conclure revenir à l’expérience de Newton, qui, après avoir diffracté les couleurs de la lumière blanche à travers un premier prisme, les recombine à l’aide d’un deuxième prisme. Après avoir décomposé les enjeux de stabilité financière en cinq faisceaux de questions – non exhaustives –, je voudrais à présent les recombiner en une certitude : nous, superviseurs et régulateurs, nous ACPR, ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver la stabilité financière dans la nouvelle donne macro-financière. Je laisse à présent la parole à Dominique Laboureix : vous me permettrez de saluer sa nomination à la tête du Conseil de Résolution européen, et de le remercier chaleureusement pour la force de son action comme Secrétaire général de l’ACPR depuis trois ans.
1 Soumis à Solvabilité 2.
2 The ECB Blog, Bitcoin’s last stand, 30 novembre 2022.
Mise à jour le 25 Juillet 2024