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France Culture : « Notre enquête mensuelle de conjoncture montre que l'industrie commence à souffrir »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 10 Octobre 2022
L’INVITE DES MATINS – Le 10/10/2022 – 08:21:22
Interview de François VILLEROY de GALHAU, gouverneur de la Banque de France
Guillaume ERNER
Bonjour François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour Guillaume ERNER.
Guillaume ERNER
Vous êtes gouverneur de la Banque de France, laquelle Banque de France publie aujourd'hui même son point sur la conjoncture française. Mais tout d'abord peut-être, une réaction à ce que vient de dire mon camarade Jean LEYMARIE dans son billet politique.
François VILLEROY de GALHAU
La Banque de France est indépendante de tout parti politique. Nous y tenons et donc je n'ai pas à faire de commentaire politique, mais peut-être trois éclairages économiques rapides en réaction à ce que Jean LEYMARIE vient de dire. D'abord effectivement, l'inflation est notre problème numéro un aujourd'hui. C'est la préoccupation numéro un des Français, des entrepreneurs et nous sommes engagés, nous Banque de France, Banque centrale européenne, à la ramener vers 2 % d'ici deux ou trois ans. On en reparlera. Ensuite vous avez dit : « la Banque de France et le gouvernement ont minoré le phénomène », là je suis obligé de réagir. Personne n'avait vu venir cette vague d'inflation pour une raison assez simple. C'est que je crois, il faut qu'on soit modeste autour de cette table, personne n'avait prévu l'invasion de l'Ukraine et ses conséquences sur les prix de l'énergie. Maintenant une fois que le phénomène est là, nous avons réagi depuis plusieurs mois et nous l'avons fait fort et vite. La dernière remarque, et là je rejoins Jean LEYMARIE, c'est qu'effectivement dans l'Histoire, le blocage des prix c'est une idée séduisante parce qu'elle est simple mais ce n'est pas une idée très efficace. Vous avez cité le maximum général de 1793, mais si on regarde plus près de nous dans beaucoup de pays, presque toujours le blocage des prix provoque des phénomènes de rareté qui, en fait, pénalisent les consommateurs. Heureusement il y a d'autres façons d'agir contre l'inflation, il faut le faire.
Guillaume ERNER
Mais alors, si je puis me permettre de défendre le blocage des prix, pas de tous les prix justement mais d'un certain nombre de denrées essentielles, François VILLEROY de GALHAU, on peut imaginer que si on bloquait le prix des pâtes, celui de denrées alimentaires, celles-ci qui occupent aujourd'hui une place restreinte dans l'économie mais essentielles pour les ménages, on n’aurait probablement pas ce phénomène de rareté.
François VILLEROY de GALHAU
Presque toujours, ce qu'on observe, y compris dans des pays du Sud qui ont beaucoup pratiqué ce type de mesure sur des produits essentiels, c'est que cela provoque moins de production et, en fait du coup, moins de disponibilité des biens ou plus d'inflation quand on sort du blocage des prix. Mais encore une fois, heureusement, il y a d'autres façons d'agir. Je note au passage que l'inflation en France est trop élevée, nous en sommes tous conscients, mais que c'est la moins élevée d'Europe : nous sommes autour de 6 % alors que la moyenne européenne est à 10. Dans les deux cas c'est trop et, comme je l'ai dit, action forte de la Banque centrale pour ramener l'inflation vers 2 % d'ici deux ou trois ans.
Guillaume ERNER
Aujourd'hui donc, le point sur la conjoncture française pour ce début donc du mois d'octobre 2022. Que peut-on dire à ce sujet, François VILLEROY de GALHAU ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous venons de publier effectivement, Guillaume ERNER, ce matin notre enquête mensuelle qui est vraiment une enquête de terrain réalisée auprès de 8 500 entreprises de tous secteurs, de toutes tailles, de tous territoires. Et c'est la meilleure photographie de terrain qu’on puisse faire. Comme dans toute photographie, j'aurais tendance à distinguer ce que dit l'image globale et puis un certain nombre de détails de la photo. L'image globale vient conforter les prévisions que nous avons publiées il y a un mois. C'est-à-dire une bonne résistance quand on regarde la croissance moyenne de l’année 2022, nous confirmons une prévision à 2,6 %, mais un net ralentissement qui est devant nous. Nous avons prévu pour 2023 une fourchette, ce qui est assez rare parce qu'il y a beaucoup d'incertitudes, entre une croissance un peu positive à + 0,8 % et sans exclure une récession qui serait limitée à - 0,5. Je confirme ces chiffres aujourd'hui. En particulier ces chiffres reposent sur l'hypothèse d'une activité qui serait stable au quatrième trimestre.
Maintenant quand on regarde les détails, il commence à y avoir des différences assez fortes selon les secteurs économiques. Les services, qui sont la part la plus importante de notre économie, continuent à bien résister et même à être en croissance sur septembre et probablement sur octobre. C’est vrai aussi bien des services aux entreprises, le conseil, l'informatique… que des services aux particuliers : l'hébergement-restauration, par exemple, qui avait beaucoup souffert dans le Covid aujourd'hui repart bien. Par contre l'industrie commence à souffrir : c'est le phénomène un peu nouveau qui n'est pas très surprenant malheureusement, parce qu'il est lié à la forte augmentation des factures énergétiques qui comptent beaucoup plus pour l'industrie. On a quelques signes de cela. L'incertitude augmente très fortement du côté des industriels : et quand on leur demande pourquoi ils ont ce sentiment d'incertitude, c'est parce qu'ils ne savent pas quel sera le prix de leur énergie, ni même dans certains cas si elle sera disponible. Il y a une tension sur la trésorerie des entreprises industrielles, et quand on regarde encore un peu plus dans le détail à l'intérieur de l'industrie, les secteurs qui souffrent le plus sont ceux qui ont la part d'énergie la plus forte, la chimie ou la métallurgie par exemple. C'est un travail qu’a fait l'INSEE.
Un dernier élément si vous me permettez dans les détails de la photographie, c'est qu'il y a un nombre très important d’entreprises, y compris dans l'industrie, qui continuent à se plaindre de difficultés de recrutement : 58 %, cela a même remonté un peu par rapport au mois précédent. C’est évidemment une difficulté dont on entend beaucoup parler de la part des entrepreneurs mais qui dit aussi quelque chose de plus positif : c'est que le marché de l'emploi aujourd'hui est plutôt en bonne forme en France. Le taux de chômage est plutôt bas même s'il est encore loin de l'objectif de plein emploi.
Guillaume ERNER
Effectivement, c'est la une par exemple du Parisien aujourd'hui, pour les chauffeurs de car, c'est une profession particulière François VILLEROY de GALHAU. Il y a aussi beaucoup d'entreprises, pas forcément de grandes entreprises d'ailleurs, des artisans qui disent : avec l'augmentation des prix de l'énergie, on ne va pas tenir, les boulangers par exemple. Est-ce que vous l'observez d'ores et déjà ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous n'avons pas aujourd'hui d'indicateurs d'alerte sur différents thermomètres que nous avons. Il y a la médiation du crédit pour ceux qui ont des difficultés à rembourser leur prêt, il n’y a pas plus de saisines qu'avant. Quand on regarde les défaillances d'entreprises, on revient à peu près chaque mois au niveau normal, pré-Covid, mais il n’y a pas aujourd'hui d'alerte majeure. Nous sommes évidemment extrêmement vigilants, mobilisés avec tous les dispositifs publics. Je crois que le mot majeur, c'est différenciation. Quand on regarde cette photo, il y a beaucoup d’entreprises heureusement qui maintiennent une marge relativement élevée, qui maintiennent leur volonté d'embaucher, d'investir. Il y a un certain nombre d'entreprises, un peu plus dans le secteur industriel, qui commencent à être en difficulté. Il faut être présent aux côtés de ces entreprises-là.
Guillaume ERNER
Et le fait que les prix augmentent, puisqu'on parlait de l'inflation, lorsque vous essayez de construire des statistiques sur notamment la part des prix qui ont augmenté du fait donc du phénomène que l'on évoquait, qu'est-ce que vous observez ? Qu'est-ce que l'on peut imaginer, François VILLEROY de GALHAU, comme taux d'inflation qui serait un taux à la fois réaliste mais malgré tout prévisible ?
François VILLEROY de GALHAU
Le bon objectif d'inflation nous semble-t-il – et ce n'est pas seulement nous Européens, c'est aussi le cas des Américains et de la plupart des grands pays - c'est autour de 2 %. Si vous me permettez une image très simple, 2 % c'est au fond la bonne température de l'économie comme 37 degrés c'est la bonne température du corps. Quand on est en dessous, et cela a été le cas, souvenez-vous, pendant des années y compris avec le Covid, cela veut dire qu'il y a une forme d'anémie, que l'économie tourne au ralenti et à ce moment-là il faut pousser l'activité. Quand, à l’inverse on est au-dessus, c'est un phénomène comme on voit aujourd'hui de fièvre ou de surchauffe, là il faut au contraire ralentir l'inflation et lever très vite le pied de l'accélérateur que nous utilisions dans les années précédentes. Par rapport à ce 2 %, on en est loin aujourd'hui. On en est moins loin pour la France, je le disais, autour de 6 %, mais pour la zone euro c'est 10 %.
Il faut revenir une minute par rapport à votre question sur la composition de l'inflation. Quand on regarde l'inflation européenne, en gros c'est deux moitiés. Il y a une moitié, c'est les prix de l'énergie et des produits agricoles, des matières premières, et la Banque centrale n'y peut pas grand-chose. Simplement les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel en économie. On a commencé à voir par exemple sur le prix du pétrole une stabilisation depuis le printemps dernier. L'autre moitié, c'est celle-là qui nous préoccupe le plus. C'est ce qu'on appelle l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors énergie et produits agricoles, et celle-là est trop élevée aussi. Elle est à 4,8 % pour la zone euro, un peu moins là aussi en France, 3,7. Mais vous voyez, on est loin de l'objectif de 2 % et c'est celle-là dont la Banque centrale est responsable et sur laquelle elle peut agir. Nous avons donc commencé à agir : quand je disais que nous avions levé le pied de l'accélérateur, nous avons supprimé un certain nombre de mesures exceptionnelles, prises quand l'inflation était au contraire trop faible. Mais, et cela aussi c'est l'expérience très pratique, il n'y a rien d’idéologique ou de théorique, c'est que ces mesures de politique monétaire prennent un peu de temps pour produire des résultats, entre un et deux ans. Donc c'est ce qui nous fait dire que d'ici deux à trois ans, nous ramènerons l'inflation vers 2 %.
Guillaume ERNER
Alors la technique habituelle, c'est d'agir sur les taux d'intérêt. Est-ce que vous pouvez d'ailleurs nous expliquer pourquoi, parce qu’il y a quelque chose de mystérieux, on l'entend dans l'actualité à chaque fois, il y a de l'inflation donc vous augmentez les taux d'intérêt. Pourquoi y a-t-il un lien mécanique selon vous, François VILLEROY de GALHAU ?
François VILLEROY de GALHAU
Vous me permettrez d'abord de dire qu'il y avait une autre technique qui avait était employée dans les époques d'inflation trop faible, lorsque même menaçait la déflation qui est une autre maladie grave de l'économie, c'est ce qu'on appelle les achats de titres. C’est en anglais le QE, peut-être une expression que les auditeurs ont entendue : je ne vais pas rentrer dans les détails, mais cela nous l'avons arrêté depuis le début de cette année. Alors l'autre moyen, c'est effectivement de monter les taux d'intérêt. Pourquoi est-ce efficace toujours et partout à l'expérience ? Je vais le dire très simplement parce que les économistes parlent de différents « canaux de transmission » : cela consiste à encourager un peu plus l'épargne et quand il y a un peu trop de consommation, ce qui est le cas aux États-Unis aujourd'hui, à freiner un peu la consommation. C’est en outre un signal très fort que la Banque centrale envoie l'ensemble des opérateurs économiques que nous allons ramener l'inflation vers la bonne cible. Là aussi je ne vais pas abuser des termes économiques, mais ce qu'on appelle les anticipations d'inflation sont absolument clé. Les « anticipations d'inflation », c'est la façon dont les ménages, les entreprises, éventuellement les opérateurs financiers projettent l'inflation dans deux ans. C’est un élément relativement positif aujourd'hui : c'est que ces anticipations d'inflation restent assez proches de la cible de 2 % Pourquoi ? Parce que ces acteurs économiques savent que la Banque centrale agit. Et cela évite une spirale très dangereuse, très négative comme celle qu'on avait connue - les plus anciens s'en souviennent peut-être - dans les années 70.
Guillaume ERNER
Mais alors, c'est une très mauvaise nouvelle par exemple pour ceux qui souhaitent emprunter, je ne sais pas, pour acheter par exemple leur logement François VILLEROY de GALHAU. Ça signifie que les prix s’apprécient. Il y a d’ailleurs eu un problème parce que les taux d'intérêt étaient soudainement plus hauts et ils étaient donc au niveau ou presque du taux de l'usure, ce qui provoquait une annulation de la moitié des crédits. Bref, comment…
François VILLEROY de GALHAU
Il y a eu beaucoup de choses qui se sont dites, elles n'étaient pas toutes crédibles si vous me permettez …
Guillaume ERNER
Pourquoi pas toutes ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a eu notamment un chiffre qui a circulé.
Guillaume ERNER
La moitié. Ce chiffre, vous le contestez.
François VILLEROY de GALHAU
Tous ceux qui l'ont regardé le contestent. Il n’est même pas dans l’enquête de l’organisation professionnelle qui a été citée.
Guillaume ERNER
Alors juste pour expliquer aux auditeurs.
François VILLEROY de GALHAU
Le crédit immobilier reste globalement dynamique en France aujourd'hui. On est à plus de 21 milliards de production de crédits chaque mois, c'est plus que la moyenne des cinq dernières années. Mais nous sortons effectivement d’une situation pendant ces dernières années où le taux du crédit immobilier était exceptionnellement favorable pour la raison que je disais tout à l'heure. Comme il n'y avait pas assez d'inflation, on avait abaissé les taux d’intérêt à un niveau exceptionnellement bas. Cela, nous en sortons. C'est ce qu'on appelle la normalisation de la politique monétaire, c'est-à-dire qu'on revient vers des taux d'intérêt qui sont plus normaux. Pour vous situer un ordre de grandeur, sur le crédit immobilier la moyenne des taux de crédit immobiliers - évidemment, quand je raisonne en moyenne, chaque crédit immobilier peut être à un taux différent pour chaque personne - était à 2,7 %, et la dernière observation qui a été faite sur le mois d'août est autour de 1,5. Donc vous voyez, cela a remonté mais on est encore loin de la moyenne historique. Si vous me permettez d'ajouter une chose sur ce taux de l'usure, qui est un taux plafond qui est fait pour protéger les emprunteurs, effectivement il y a eu un certain nombre de pressions d'un certain nombre d'organisations professionnelles du côté des prêteurs pour dire : il faut le relever plus vite. La Banque de France l’a refusé et je crois que nous avons bien fait parce qu'il s'agit…
Guillaume ERNER
Pourquoi ?
François VILLEROY de GALHAU
…Parce qu'il s'agit de protéger les emprunteurs et d'éviter justement que les taux du crédit immobilier remontent trop vite. Ils doivent remonter de façon progressive, c'est ce qui se passe. Et du coup nous avons appliqué la loi, ce qui dans une démocratie est un bon principe. Nous avons défendu l'intérêt général, donc il y a eu une remontée normale du taux de l'usure à fin septembre. J'ai lu récemment qu'il y avait des banques ou d'autres qui souhaitaient un changement des règles de calcul.
Guillaume ERNER
Oui, parce qu’en fait nos camarades banquiers disent qu'ils perdent de l'argent sur chaque prêt.
François VILLEROY de GALHAU
Guillaume ERNER, je vous laisse parler de vos camarades banquiers… mais je vais dire les choses très simplement : nous sommes là pour protéger l'intérêt général, donc les intérêts de tous y compris des emprunteurs. Il n'y aura pas de changement des règles de calcul. Et donc nous appliquerons à nouveau à la fin du trimestre, c'est-à-dire fin décembre, la loi comme elle est prévue. C’est cela notre rôle et il y aura à ce moment-là un nouveau relèvement du taux de l'usure. Il faut que les choses se passent dans l'ordre et dans l'intérêt de tous. Encore une fois la Banque de France est indépendante, pas seulement des partis politiques mais des intérêts privés.
Guillaume ERNER
François VILLEROY de GALHAU, le FMI craint aujourd'hui une récession. A-t-il raison ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous avons dit dans nos prévisions pour la France que nous avons publiées il y a un mois que nous ne pouvions pas exclure une récession pour 2023 à - 0,5. Ce n'est pas le scénario le plus probable, mais il y a tellement d'incertitudes aujourd'hui que nous avons préféré publier une fourchette. S’il devait y avoir une récession, nous pensons qu'elle serait limitée et temporaire. Limitée, c'est que - 0,5 c'est très différent, souvenez-vous, de ce qu'on avait connu en 2020 quand l'économie avait chuté avec le Covid. On l’a peut-être oublié : en 2020, il y a eu - 8 %. Et temporaire, c'est qu’y compris le FMI, tout le monde s'accorde à dire qu'il y aurait un rebond de l'économie derrière en 2024. Au passage, ceci justifie qu'il ne faille pas aujourd'hui un nouveau "quoi il en coûte".
Guillaume ERNER
Justement, si on a une période de récession, si celle-ci est même modeste comme vous semblez le dire pour la France, qui ne serait peut-être pas forcément le cas pour le monde entier, nous l'aborderions, François VILLEROY de GALHAU, avec un niveau de dette très élevé du fait de cette période de 2020, du fait donc du "quoi il en coûte". Est-ce que cela par exemple constitue un risque ?
François VILLEROY de GALHAU
Je crois qu'il ne faut pas regretter le "quoi il en coûte". Il était nécessaire. Il est assez rare que le gouverneur de la Banque de France soutienne les déficits accrus, mais là il y avait une situation exceptionnelle ; il fallait des remèdes exceptionnels. Mais il ne faut pas recommencer aujourd'hui, parce que si nous augmentons sans cesse la dette publique, on peut avoir l'impression que c'est indolore : cela ne l'est pas du tout parce que cela veut dire que nous passons la facture aux générations futures. Nous manquons de solidarité avec la jeunesse, avec nos enfants ou nos petits-enfants. Et donc la puissance publique doit amortir une partie du choc, c'est ce qui se passe à travers les mécanismes qu’on décrivait tout à l'heure de bouclier tarifaire, de protection du pouvoir d'achat des ménages. Mais elle ne peut pas amortir la totalité du choc : il faut que collectivement nous prenions une partie de ce surcoût extérieur.
Guillaume ERNER
Une remarque de mon camarade Jean LEYMARIE. Jean LEYMARIE, vous le savez, a le billet politique chaque jour. Il aimerait vous poser une question.
Jean LEYMARIE
À cet égard, est-ce que le budget, examiné à partir d'aujourd'hui en séance à l'Assemblée nationale, le budget pour l'an prochain est bien calibré ? Est-ce qu'il va trop loin ? Est-ce qu’il ne va pas assez loin ? Comment est-ce que vous le voyez ?
François VILLEROY de GALHAU
Ce n'est pas à moi d'en décider, c'est à la démocratie. Vous savez dans une crise comme celle-ci, c'est très important que chacun soit dans son poste de responsabilité et fasse son travail. Notre travail à nous, il est contre l'inflation, cette inflation sous-jacente hors énergie. Il va y avoir un débat vivant, animé, tonique dans les jours qui viennent à l'Assemblée nationale, c'est très bien. Je note simplement que la France a été dans les premières à adopter ce bouclier tarifaire qui domine ce budget, essentiellement dirigé vers les ménages, et que c'est plus efficace visiblement quand on se compare à l'Allemagne, l'Italie, aux autres grands pays européens qui sont en train d'ailleurs d'adopter des paquets de ce type. J’ai un souhait : c'est que plus on est amené à prendre des mesures conjoncturelles face à ce choc énergétique, plus nous devons faire des choix raisonnable, sérieux sur les autres dépenses. Il faut être le plus efficace possible sur la dépense courante, y compris pour se créer des marges de manœuvre pour l'avenir. Ne pas passer la facture aux générations suivantes et puis être prêt à financer des investissements comme la transition climatique par exemple. Un budget, c'est toujours un exercice difficile de choix. On ne peut pas tout faire, sauf à obérer l'avenir. J'espère que le débat public va éclairer ces choix.
Guillaume ERNER
Mais alors, vous ne voulez pas commenter des choix politiques parce que le gouverneur de la Banque de France ne peut pas le faire, François VILLEROY de GALHAU, mais beaucoup de politique commentent les choix des banquiers centraux. C’est une profession compliquée.
François VILLEROY de GALHAU
Merci de votre solidarité !
Guillaume ERNER
Je veux vous apporter un peu de compassion ce matin et vous dire que dans l'atmosphère actuelle, avec des gouvernements que d'aucuns qualifient de populistes, les banques centrales sont durement critiquées. Comment vivez-vous cela d'un point de vue existentiel mais d'un point de vue aussi fonctionnel, François VILLEROY de GALHAU ?
François VILLEROY de GALHAU
Je vais le dire avec un sourire et très simplement : d'abord je crois normal dans des démocraties qu'il y ait des débats et des critiques. Ce n’est pas parce qu'on est banquiers centraux et indépendants qu'on doit être sur une montagne isolée et ne pas écouter les questions ou les critiques des uns et des autres. Je note simplement que cela dépend beaucoup des pays, ces critiques des banques centrales. En gros, il y a à peu près autant de pays qui les critiquent pour avoir été trop lentes et ne pas faire assez, et les appellent à monter encore plus les taux d'intérêt. Et puis à l’inverse, des pays où on dit : mais pourquoi remontez-vous les taux d'intérêt, ce n'est pas comme cela que vous allez lutter contre l'inflation. Il est tentant de dire que quand on est critiqué des deux côtés, c'est peut-être qu'on est sur le bon chemin et dans la bonne voie. Je crois surtout que nous sommes là pour faire notre travail et l'expérience prouve qu'une Banque centrale indépendante fait un meilleur travail pour ramener l'inflation vers 2 %. Mais l'indépendance, cela veut dire aussi que nous devons expliquer, ce que je fais ce matin.
Guillaume ERNER
Mais ça veut dire que vous êtes aussi soumis à la pression du politique qui voudrait que vous preniez des décisions, par exemple, sur le court terme François VILLEROY de GALHAU. Et ça, est-ce que ça ne va pas modifier le contexte dans lequel vous devez prendre ces décisions ?
François VILLEROY de GALHAU
Vous introduisez là une dimension très importante, c’est la dimension du temps. J'ai dit que nous étions indépendants par rapport aux forces politiques, par rapport aux intérêts privés, mais nous sommes aussi indépendants par rapport à ce qu'on pourrait appeler la dictature de l'urgence ou la dictature du court terme. Une des grandes difficultés que nous avons, qu’ont les dirigeants politiques, les entrepreneurs etc, c'est que depuis trois ans nous accumulons les crises. Souvenez-vous le Covid, ensuite la sortie du Covid - c'était là une crise positive - et puis l'invasion russe de l'Ukraine. Tout ceci n'était pas prévu, est très difficile à gérer et fait une espèce de dictature de l'urgence.
Bien sûr, il faut gérer ces crises ; mais je crois qu'il y a une autre urgence si vous me permettez, c’est de penser le long terme et de sortir des crises par le haut. Je vais vous citer deux exemples. À l'occasion du Covid, je ne vais pas dire qu'on a inventé le télétravail mais on l'a beaucoup développé et mis en œuvre, et je crois que c'était une réponse positive. À l'occasion de la crise ukrainienne, il faut évidemment qu'on accélère sur la transition climatique. C’est une sortie par le haut, et c'est notre devoir de le rappeler. Si je résume pour l'économie française et européenne, je crois qu'il faut qu'on réussisse trois grandes transformations qui vont à la fois réduire l'inflation et augmenter notre croissance tout en la rendant plus verte, parce qu’elles vont muscler notre capacité de production. C'est la transition climatique - j'en ai parlé -, c'est la transition numérique et l'innovation, et puis c'est la transformation du travail. Nous devons en France avoir à la fois plus de travail et un meilleur travail. C'est le paradoxe qu'on relevait tout à l'heure. Nous avons trop de chômeurs y compris parmi les jeunes, alors que 58 % des entreprises ont des difficultés de recrutement. Je crois, j’espère, que cette crise peut être l'occasion de sortir par le haut avec une économie française qui soit plus forte et plus juste.
Guillaume ERNER
Merci François VILLEROY de GALHAU, gouverneur de la Banque de France, d'avoir donné votre point de vue sur cette conjoncture avec cette note qui vient d'être publiée par votre organisme, la Banque de France donc.
Mise à jour le 25 Juillet 2024