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Europe 1 : « Nous n’avons pas de raison d’être plus négatifs aujourd’hui sur nos prévisions de croissance de 2023 »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 10 Novembre 2022
Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.
Sonia MABROUK
Bienvenue sur Europe 1 et bonjour François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour Sonia MABROUK.
Sonia MABROUK
La Banque de France publie sa grande enquête mensuelle de conjoncture. Vous nous la dévoilez ce matin à ce micro. Que dit, François VILLEROY de GALHAU, cette photographie à l’instant « T » de l’économie française ?
François VILLEROY de GALHAU
C’est effectivement une enquête que nous faisons auprès de 8 500 entreprises de toutes tailles, y compris des PME et TPE de tous secteurs. Je crois que, d’une certaine façon, c’est la meilleure carte de navigation de l’économie française dans les mers agitées que nous traversons. Comme la Route du Rhum est partie hier, je vais pousser l’image de navigation : au fond, ce que nous dit cette enquête, c’est que le bateau France résiste dans le gros temps actuel ; il est même un peu plus solide que prévu. Mais l’enquête dit aussi qu’il faut rester extrêmement vigilant avec des équipages très mobilisés parce qu’il y a beaucoup d’incertitudes devant nous. Si je devais résumer par deux mots, c’est « résilience » jusqu’à présent, et « incertitude » pour demain. Et quand je parle de « vigilance » ou de « mobilisation », là, il y a une différence avec la Route du Rhum : c’est que l’économie est une course collective et pas une course en solitaire.
Sonia MABROUK
Et on va en parler évidemment de l’aspect collectif, mais vous nous dites ce matin quand même qu’il y a une forme de résilience, de résistance malgré tout ce qui est dit et décrit sur une situation extrêmement sombre. Il y a quand même des points positifs.
François VILLEROY de GALHAU
Il y a évidemment beaucoup de menaces, on va en parler, il y a l’inflation, il y a l’énergie, mais l’activité résiste. Nous avions prévu, il y a deux mois, sur l’économie française, une croissance zéro au quatrième trimestre, donc un très fort ralentissement.
Sonia MABROUK
Vous la maintenez ?
François VILLEROY de GALHAU
Ce pourrait être un tout petit peu mieux que cela, avec une croissance très légèrement positive. Du coup, quand on regarde notre prévision de croissance sur les moyennes annuelles, je confirme aujourd’hui notre prévision sur l’année 2022 à 2,6 %. Pour l’année prochaine, nous avions publié une fourchette entre une croissance légèrement positive à + 0,8 % et une récession limitée et temporaire à - 0,5 %. Nous n’avons pas de raison d’être plus négatifs aujourd’hui, mais nous actualiserons cette prévision à la mi-décembre. Je dirais, conforté par cette enquête, qu’en tout cas nous ne voyons toujours pas un scénario d’atterrissage brutal de l’économie française.
Sonia MABROUK
Pas de récession en vue ? C’est évidemment le sujet qui inquiète.
François VILLEROY de GALHAU
Il peut y avoir une récession, nous ne l’excluons pas et nous l’avions dit dès septembre, mais elle serait limitée et temporaire. Cela fait partie des incertitudes pour l’an prochain.
Sonia MABROUK
Le Gouverneur de la Banque de France que vous êtes a tous les indicateurs, c’est un véritable tableau de bord. Le point positif, est-ce que ça reste l’emploi, François VILLEROY de GALHAU ? Est-ce qu’il n’y a jamais eu autant de Français au travail dans notre pays ?
François VILLEROY de GALHAU
Vous avez raison ; cela fait partie aussi de la résilience trimestre après trimestre. L'économie française continue à créer des emplois. L'Insee a publié les chiffres il y a quelques jours, c'est environ 90 000 emplois supplémentaires chaque trimestre. Ce qui veut dire qu’il n’y a jamais eu autant d'emplois dans l'économie française, historiquement. On a presque 21 millions d'emplois de salariés du secteur privé dans les entreprises. Si on ajoute les salariés du secteur public et les indépendants, c'est plus de 27 millions de Français au travail. Je le dis au passage parce qu'on entend quelquefois dire que le Covid a changé complètement le rapport des Français au travail, que les jeunes ne veulent plus travailler, etc. Je ne rejoins pas ce discours trop négatif.
Sonia MABROUK
Encore un point avant de parler de l'inflation précisément. Vous avez donc interrogé des milliers de chefs d'entreprise qui sont représentatives des PME françaises. Bien. On a compris qu'il y a une résistance malgré les incertitudes, mais que vous disent-ils - c'est un point important - de leur trésorerie ?
François VILLEROY de GALHAU
Là, on rentre dans les zones d'incertitude effectivement. Il y a une incertitude qui domine toutes les autres et qui explique ces questions sur la trésorerie, et qui explique l'inflation : c'est l'énergie. Je veux en dire un mot, si vous voulez bien, parce que c'est une nouveauté de cette enquête mensuelle. Pour la première fois, nous avons interrogé les chefs d'entreprise sur l'effet de l'énergie, de leur facture d'énergie, sur leur activité. Nous leur avons demandé très simplement : est-ce que pour vous, cela a un impact nul, faible ou fort ? Il y a aujourd'hui un quart des entreprises qui nous disent que l'énergie a un impact sur leur activité : faible, dans la plupart des réponses, ou fort. Cependant, quand on regarde devant nous, ce quart des entreprises aujourd'hui touchées augmente dans leurs prévisions sur les trois prochains mois, et devient à peu près 40 %. L’impact serait encore plus fort sur leurs marges, c'est-à-dire leurs résultats. Cela explique ce que vous disiez, l’alerte des chefs d'entreprise sur leur trésorerie. C'est plutôt de l'ordre du sentiment que de la réalité aujourd'hui. Mais ce sentiment, évidemment, il faut y être très attentif.
Sonia MABROUK
Alors, ce n'est pas un sentiment parce qu'elle est bien là l'inflation, c'est une maladie qui vous inquiète, François VILLEROY de GALHAU. Est-ce qu'on va - c'est important quand même les mots qui ont été utilisés il y a quelques jours par Michel-Edouard LECLERC - vers un tsunami d'inflation pour début 2023 avec une inflation à deux chiffres ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne crois pas. Michel-Edouard LECLERC a toujours un sens de la formule que je veux saluer. Et il se trouve qu’il est en négociation avec ses fournisseurs, notamment dans la filière agroalimentaire, donc cela explique peut-être certaines expressions. Par contre, l'inflation est trop haute aujourd'hui en France - c'est vrai - et en Europe. Je vous rappelle les chiffres : en Europe, on est à un peu plus de 10 % d'inflation ; en France, c'est moins.
Sonia MABROUK
Il faut se consoler ?
François VILLEROY de GALHAU
La France a l’inflation la plus faible de la zone euro.
Sonia MABROUK
Est-ce qu’il faut se consoler quand on se compare à nos voisins Européens ?
François VILLEROY de GALHAU
Il ne s'agit surtout pas d'être autosatisfait puisque l'inflation est autour de 7 % aujourd'hui en France, c'est trop. Je vais le dire très clairement à ce micro, nous allons avec Christine LAGARDE faire ce qu'il faut pour ramener l'inflation vers 2 % d'ici deux ou trois ans. Ce n'est pas seulement notre prévision, c'est aussi notre engagement vis-à-vis des Français et des Européens. C’est notre responsabilité comme Banque centrale.
Sonia MABROUK
Qu’on entend la responsabilité. Concrètement, par quoi doit-elle passer pour vous, François VILLEROY de GALHAU, et pour Christine LAGARDE ? Par une augmentation des taux au risque de casser la croissance ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est une normalisation des taux d'intérêt, parce que ceux-ci sont effectivement l'instrument de politique monétaire qui est dans les mains de la Banque centrale européenne et de la Banque de France. Il faut se rappeler qu'on sort d'une période de taux exceptionnellement bas. Rappelez-vous, il y avait même des taux négatifs ; c’était difficile à comprendre. Pourquoi ? Parce qu'à l'époque, y compris dans la crise Covid, il y avait la menace d'une maladie inverse qui était la déflation, c'est-à-dire une inflation trop faible, voire une inflation négative. Cela, c'est une maladie aussi grave en économie qu’une inflation trop forte. Donc il faut trouver le juste chemin, et il passe par cette inflation autour de 2 %. Donc, en pratique, nous sommes dans cette phase de normalisation de la politique monétaire. Les taux directeurs de la Banque centrale européenne sont aujourd’hui à 1,5 %. On estime qu'il y a une « zone de normalisation », qui est autour de 2 %, je pense que nous y serons d'ici la fin de cette année. Et nous verrons ensuite : nous devrons probablement aller au-delà de cette zone de normalisation pour traiter la maladie de l’inflation.
Sonia MABROUK
Quel plafond ? 3 % ? C'est des marchés ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne vais pas vous dire aujourd'hui, Sonia MABROUK, le point d'arrivée en termes de taux parce que je ne le connais pas. Nous sommes d'un grand pragmatisme et nous regarderons l'an prochain où en est l'inflation, et où en sont les prévisions d'inflation. Et en particulier où en est ce qu'on appelle l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire l'inflation hors énergie et produits agricoles. Pourquoi ? Parce que ces deux éléments-là sont extrêmement volatils. Cette inflation sous-jacente est moins forte en France, elle est autour de 4 %, mais elle est aussi trop élevée. La politique monétaire, les taux d'intérêt, sont capables de traiter cette inflation sous-jacente.
Sonia MABROUK
Mais vous dites aujourd'hui que tout sera fait, François VILLEROY de GALHAU, parce que les Banques centrales - et on s'est posé la question - n’ont-elles pas contribué à aggraver les tensions inflationnistes à un moment, et en particulier la Banque centrale européenne qui a longtemps affirmé que l'inflation ne serait que temporaire et que la tendance s'inverserait ? Là, vous dites que tout le monde est conscient de la maladie du problème.
François VILLEROY de GALHAU
C'est vrai que nous avions parlé de « temporaire », mais comme tout le monde : comme tous les prévisionnistes, comme toutes les organisations internationales. On pensait que l'inflation serait temporaire parce qu’elle est d'abord apparue en sortie de Covid, il y a un an, avec une reprise très forte et des difficultés sur certaines matières premières. Ce qui s'est passé depuis et qu'objectivement personne n'attendait, c'est l'invasion russe de l'Ukraine. Elle a transformé un choc temporaire en un risque d'inflation durable. C'est cela qu'il faut traiter. Vous disiez que c'était une maladie ; comme toute maladie, il vaut mieux la prendre à temps avec un remède proportionné, plutôt que de la laisser se développer et ensuite devoir appliquer un traitement de cheval. C'est cela que nous voulons éviter.
Sonia MABROUK
La Banque centrale européenne veut, comme on dit, refroidir l'économie, alors que les Gouvernements, par leur politique budgétaire, veulent réchauffer l'économie.
François VILLEROY de GALHAU
Non. Le but de la Banque centrale européenne, ce n'est pas de refroidir l’économie…
Sonia MABROUK
Pourquoi vous dites cela ?
François VILLEROY de GALHAU
…c’est de ramener l'inflation vers 2 %. C'est important qu'on ne fasse pas cette confusion.
Sonia MABROUK
Mais qui l’a fait ?
François VILLEROY de GALHAU
Le but de la Banque centrale européenne et de la Banque de France, ce n'est pas de provoquer une récession, c'est de faire baisser l'inflation, c'est cela notre responsabilité. Et par rapport à cet objectif, nous avons les instruments efficaces, nous avons la capacité d'agir et nous avons la volonté d'agir.
Sonia MABROUK
On parle beaucoup de chiffres ce matin à ce micro, de taux de macroéconomie, je pense aussi aux auditeurs qui nous écoutent, tout simplement une partie des Français qui sont à quelques euros près et qui s'inquiètent, François VILLEROY de GALHAU, tout simplement ne pas subvenir aux besoins les plus élémentaires pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Qu'est-ce qu'on peut leur dire au-delà de tous ces chiffres et d'une action aujourd'hui qui peut leur paraître très lointaine des banques centrales ?
François VILLEROY de GALHAU
Vous avez raison. C'est d'abord à eux que je pense et que nous pensons. Il faut dire les choses très clairement : l'inflation pèse sur tous les ménages, tous les Français, mais d'abord sur les plus défavorisés, parce que leurs fins de mois sont plus difficiles et que la facture d'énergie ou la facture d'alimentation est proportionnellement plus importante pour eux. C'est pour cela que pour des raisons non seulement de croissance économique dans la durée mais aussi de justice sociale, il est essentiel d'agir contre l'inflation.
Sonia MABROUK
Ce que fait la France avec le bouclier tarifaire ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est ce que fait la France avec le bouclier tarifaire qui doit être autant que possible ciblé vers les plus défavorisés de nos concitoyens, ceux qui souffrent le plus, et qui doit être temporaire. Je vais le dire autrement : cette facture énergétique, c'est quelque chose que nous devons payer collectivement, nous, Français.
Sonia MABROUK
Combien ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous avons fait une estimation effectivement à la Banque de France. Si on compare la facture d'énergie 2022, cette année, à celle de l'année dernière, c'est un surcoût - et cela, malheureusement, c'est un choc négatif du fait notamment de la guerre russe en Ukraine - c'est un surcoût d'à peu près soixante milliards d'euros ou 2,5 % du PIB.
Sonia MABROUK
C’est une douloureuse ça.
François VILLEROY de GALHAU
Oui, c'est une facture négative.
Sonia MABROUK
Attendez, qui doit la payer ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous devons répartir de façon équitable cette facture entre les trois grandes catégories d'acteurs économiques que sont les entreprises, les ménages, et l'État ou la puissance publique. Nous ne pouvons pas faire disparaître cette facture ; nous ne pouvons pas non plus la transmettre simplement aux générations suivantes. Ce qui consisterait à la couvrir par la dette publique. Elle ne peut pas peser entièrement sur l'Etat : si nous étions au restaurant, cela reviendrait à passer la facture au client suivant, c’est-à-dire les générations qui nous suivent. Nous ne pouvons pas non plus la faire supporter entièrement par les entreprises parce que nous aurions un problème de compétitivité. Donc il faut trouver la juste répartition de cette facture qui malheureusement pèse sur l'ensemble des économies européennes, pas seulement l'économie française.
Sonia MABROUK
Le « quoi qu'il en coûte » énergétique, pour vous, il doit être temporaire ?
François VILLEROY de GALHAU
Oui. Cela ne peut pas être un « quoi qu'il en coûte » parce que, comme je le disais, cela reviendrait à passer la facture aux générations suivantes. Et malheureusement, cette augmentation des coûts de l’énergie risque de durer. Donc c'est une question de répartition, d'ajustement. Je crois que ça fait partie de la vie économique mais aussi du débat démocratique.
Sonia MABROUK
Alors, justement dans cette vie économique, il y a les chiffres du déficit, ils sont assez vertigineux, déficit commercial français qui atteint un record historique à presque 17 milliards d'euros. Là, je parle pour le mois de septembre. Mois après mois, François VILLEROY de GALHAU, les statistiques volent de record en record. Et quand on voit par exemple l'Allemagne, elle est excédentaire ; l'Italie aussi. C'est un problème français ?
François VILLEROY de GALHAU
Le principal facteur de dégradation dans les chiffres que vous venez de citer, c'est précisément cette facture de l'énergie.
Sonia MABROUK
Oui mais elle vaut pour tous les autres pays.
François VILLEROY de GALHAU
On voit la même dégradation sur les autres pays. L'Allemagne et l’Italie tendent plutôt à revenir vers l'équilibre quand elles avaient des excédents. Nous, nous avions un déficit, hélas, qui s'accroît. Il y a en face de ça de nouvelles moins mauvaises sur les services et le tourisme, sur le transport maritime, sur l'aéronautique, un certain nombre de secteurs où la France est compétitive. Pour autant, nous avons un vrai sujet de présence à l'export. Nous sommes concentrés sur quelques secteurs d'excellence : je pourrais aussi citer le luxe. Si on compare avec l'Allemagne et l’Italie, elles ont tout un tissu, notamment d'entreprises de taille intermédiaire, plus diversifiées, plus présentes à l'export. Ce n'est pas indépendant de sujets de compétence, de qualification : on retrouve ici une grande bataille dont, je crois, il faut garder le cap dans l'économie française, au-delà des urgences. C'est la bataille de la formation, de l'apprentissage, de l'école. Par rapport à la justice sociale qui est évidemment un souci prioritaire, c'est aussi la meilleure façon de donner leur chance à tous les jeunes. On donne une meilleure compétitivité à l'économie et on donne une meilleure chance à chacun des Français.
Sonia MABROUK
On va conclure, Monsieur le Gouverneur de la Banque de France, que manque-t-il ? Que manque-t-il à la France pour être à la hauteur de l'image qu'on se fait ou que l'on se faisait de ce grand pays, de ce pays ?
François VILLEROY de GALHAU
Je vais reprendre l'image des équipages et du bateau. Nous avons énormément d'atouts, et notamment la capacité des Français à travailler, leur inventivité, etc. Là où nous avons peut-être deux points d'amélioration, le premier, c'est le jeu collectif. J'ai parlé de répartition équitable de la facture, chacun de nous peut avoir tendance à s'imaginer que c'est l'autre qui va supporter le coût de la crise. Non, il faut que nous en prenions chacun notre juste part, y compris des entreprises. Deuxièmement, il faut qu'on puisse regarder la météo à venir, et l'ensemble de la traversée. Bien sûr il y a la crise, mais il y a une autre grande urgence : c'est de penser le long terme. Pensez à cette crise énergétique que nous devons traiter : comment pouvons-nous la résoudre tout en accélérant la transition climatique ? Si nous pensons à long terme, nous allons accélérer la transition climatique, ce sera une bonne chose. Cela passe notamment par un effort de sobriété énergétique des entreprises et des ménages.
Sonia MABROUK
Malgré les secousses en mer. Interview très maritime. Merci François VILLEROY de GALHAU d'avoir été notre invité. Bonne journée à vous.
Mise à jour le 25 Juillet 2024