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CPME Magazine : « La Banque de France est engagée auprès des entrepreneurs, partout ! »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 19 Juillet 2023
Interview de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans le magazine "Mutations" de la CPME PARIS IDF
Q1 : Les résultats financiers d’un certain nombre de grands groupes ont été exceptionnels en 2022 et pourtant certains établissements PME, ETI restent lourdement endettés. Quelle est votre analyse de la situation économique pour nos entreprises ?
Je veux d’abord redire combien les entrepreneurs sont pour moi les acteurs essentiels de la bataille économique. Je les rencontre régulièrement dans nos Conseils consultatifs sur le terrain, j’échange avec les dirigeants patronaux : je mesure combien ces années de « polycrise » ont pesé parfois. Qu’ils soient sûrs de l’engagement de la Banque de France à leurs côtés, partout. Les entreprises françaises se sont effectivement endettées pour faire face à la crise Covid mais leur taux d’endettement est resté globalement maitrisé. Nous observons cette tendance à la hausse de la dette pour les grands groupes français mais également à travers les bilans de 240 000 entreprises de moindre taille. En 2022, les flux de crédits aux entreprises ont progressé de plus de 8%, après deux années de quasi‑stabilité. Cette évolution a notamment été impulsée par le dynamisme des investissements des grandes entreprises. Depuis le début de l’année, la dette nette continue de progresser mais quelques grandes entreprises se désendettent, ce qui contribue à la modération de la croissance du crédit et au repli de la trésorerie.
Du côté des demandes de nouveaux crédits d’investissement, elles sont stables pour les TPE et PME au dernier trimestre de 2022 (6 % des TPE et 21% des PME ont sollicité un crédit, accordé en totalité ou à plus de 75% pour plus 90% des demandes) tandis que les demandes de nouveaux crédits de trésorerie évoluent peu. Les remboursements des PGE se font dans de bonnes conditions puisqu’à fin 2022 plus du tiers du capital emprunté avait été remboursé, le capital restant dû s’élevant à 94 milliards d’euros pour un total emprunté de 143 milliards d’euros. Au total, la part des TPE et PME avec une situation financière évoluant favorablement (dépôts supérieurs aux crédits ou dette nette en baisse ou stable sur un an) reste majoritaire.
Enfin, le nombre de défaillances a progressé en 2022, à plus de 43.000 entreprises concernées mais reste maîtrisé à un niveau sensiblement inférieur à sa moyenne de 59.000, sur la décennie pré-covid.
Q2 : Vous avez indiqué que le pic d’inflation sera atteint au 1e semestre 2023. Entrons-nous dans une période de stabilité et de confiance économique ?
Selon nos projections macroéconomiques de mars 2023, les perspectives se sont effectivement améliorées : la croissance est attendue à +0.6% en 2023 (contre +0.3% à la fin de 2022) et nous devrions échapper à la récession. L’inflation est prévue en baisse sur l’ensemble de notre horizon de prévision 2023-2025. En 2023, elle a très probablement déjà passé son pic, et elle devrait diminuer plus nettement sur la deuxième partie de l’année, sous l’effet du reflux des prix mondiaux des matières premières énergétiques puis agricoles. Mais elle devrait rester trop forte. Après 5.4% en moyenne en 2023, l’inflation totale baisserait vers 2% en 2024 et en 2025. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie), plus basse actuellement, serait un peu plus persistante : de 4.3% en 2023, elle baisserait moins rapidement, à 3% en 2024 et 2.1% en 2025, sous l’effet des prix des services et des effets retardés des hausses de salaires.
Des incertitudes demeurent certes. D’abord, la situation géopolitique liée à l’invasion russe en Ukraine et au contexte mondial représente toujours un risque à la baisse sur la croissance et à la hausse sur l’inflation fin 2023-début 2024. La hausse des produits alimentaires pourrait également être plus persistante que prévue. A l’inverse, les baisses de prix de gros de l’énergie pourraient aussi avoir un impact plus marqué à la baisse sur l’ensemble des prix de production et les prix à la consommation. La fin de la politique « zéro Covid » en Chine peut exercer une pression sur les prix des matières premières mais aussi réduire les goulots d’étranglement. Enfin, les effets indirects de la volatilité bancaire et financière que nous avons observés récemment pourraient peser sur nos projections d’inflation et de croissance.
C’est pourquoi la politique monétaire a une action proportionnée mais déterminée pour ramener l’inflation vers 2% d’ici 2025 et peut-être même dès fin 2024 à fin. Pour l’avenir, elle sera fonction de plusieurs critères : de l’évaluation des perspectives d’inflation par le Conseil des Gouverneurs, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la bonne transmission de la politique monétaire.
Q3 : Grâce notamment aux mesures prises par la Banque de France, la Médiation du Crédit et la Médiation des Entreprises, il n’y a pas eu de « catastrophe » ni sur les remboursements de PGE ni sur l’augmentation des délais de paiements. Mais il reste des situations individuelles difficiles. Vos recommandations ?
La crise de la COVID a conduit à une forte mobilisation de tous les acteurs. La politique du « quoi qu’il en coûte » était à l’époque justifiée et elle a eu les effets escomptés en préservant les activités et les emplois de nos entreprises. Néanmoins, il reste effectivement des situations difficiles, renforcées par les conséquences de la crise énergétique et le choc inflationniste qui touche les entreprises. Cette situation renforce la nécessité de les accompagner, car elles doivent aussi faire face aux défis des enjeux de transformation (numérique, énergétique).
Il est d’abord essentiel que les entreprises se saisissent le plus tôt possible des procédures existantes, renforcées à l’été 2021 pour gérer la phase de « sortie de crise ». Elles doivent être proactives et identifier le plus tôt possible les signaux faibles annonciateurs de difficultés. Pour mieux les accompagner, le plan d’action en sortie de crise mis en place à l’été 2021 conserve toute sa pertinence avec ses trois volets : la détection, l’orientation et la solution adaptée. Frédéric Visnovsky, Médiateur national du crédit, Jean-Pascal Prevet, notre directeur régional en Île-de-France, sont mobilisés avec leurs équipes pour aider les entreprises en situation plus délicate.
La détection est un élément clé, pour alerter ou conseiller dans le pilotage de l’activité de l’entreprise. Les chefs d’entreprises peuvent trouver de l’aide auprès de leur conseiller bancaire, leur Expert-comptable (ou un Centre ou Association de Gestion Agréé), les Chambres consulaires. La Banque de France est également disponible à travers ses 300.000 cotations d’entreprises, ainsi que différents outils de diagnostic qu’elle met à leur disposition dans chaque département.
Enfin, le recours aux procédures préventives doit être privilégié. Méconnues ou craintes, elles sont pourtant un remède efficace pour faire face aux difficultés et rebondir rapidement grâce à une renégociation amiable et rapide avec les créanciers dans le but de rétablir rapidement sa situation.
Q4 : À votre initiative, la Banque de France porte une attention particulière au financement et au dialogue avec les PME dans les territoires, c’est assez rare pour une banque centrale. Allez-vous continuer cette politique d’accompagnement ? Et dans l’affirmative avec quels moyens ?
L’accompagnement des entreprises découle de notre mandat national de suivi du financement de l’économie. À ce titre, la Banque de France est présente sur l’ensemble du territoire à travers son réseau de succursales, et poursuit une politique ambitieuse de service public d’accompagnement des entreprises appuyée par le déploiement de nouveaux outils. Notre réseau de 102 correspondants TPE-PME départementaux a pour mission de recueillir les interrogations des entrepreneurs durant leur parcours, d’élaborer un diagnostic rapide de la situation pour les orienter vers les bons interlocuteurs. Cet accompagnement est gratuit et confidentiel. Depuis six ans, nos correspondants ont ainsi accompagné plus de 42 000 porteurs de projets et dirigeants dont 8 779 en 2022. Au premier bimestre de 2023, 2 000 entreprises supplémentaires ont déjà été aidées (85% de plus que sur la même période de 2022). Ce réseau proche du terrain permet de contribuer avec expertise aux dispositifs publics de soutien aux entreprises.
Depuis 2022, un service de diagnostic financier en ligne – « OPALE » - est gratuitement mis à la disposition des dirigeants d’entreprise sur internet. Avec OPALE, le dirigeant bénéficie d’une expertise financière facilement accessible, robuste et immédiatement disponible. « OPALE Analyse » permet de mesurer les performances de l’entreprise, d’identifier ses points forts et ses marges de progression. Qu’il l’exploite seul ou accompagné, le dirigeant dispose ainsi d’un outil adapté d’aide à la prise de décision et à la communication auprès de ses partenaires financiers.
La Banque de France a également engagé l’élaboration d’un « espace personnel dirigeant » qui sera disponible fin 2023. Il permettra d’accéder en un point unique à un ensemble de services s’adressant spécifiquement aux dirigeants. Tout représentant légal pourra retrouver, au moyen d’une connexion sécurisée, la cotation de son entreprise, les courriers liés à l’activité ou ses rapports OPALE. Il pourra également visualiser des indicateurs clés de son entreprise et les comparer à ceux de son secteur. C’est donc un nouveau canal d’échanges avec la Banque de France puisque les dirigeants pourront notamment poser des questions dans leur espace personnel.
Q5 : Le développement des ventes à distance et les paiements numériques ont connu un boom ces dernières années. La cyber malveillance et la fraude aux moyens de paiements aussi. En tant que président de l’Observatoire de la Sécurité des Moyens de Paiement (OSMP) que recommandez-vous à nos entreprises et à leurs collaborateurs ?
En appui à la mission de veiller à la sécurité des moyens de paiement confiée à la Banque de France, l’OSMP rassemble en effet autour de cet objectif les différentes parties prenantes concernées – professionnels des paiements (banques, fintech…), mais aussi représentants des entreprises, des commerçants et des consommateurs, forces de l’ordre et autorités publiques (CNIL, DGCCRF…).
Dans un contexte d’innovation technologique qui a accompagné le développement de nouveaux usages de paiement, les différentes formes de fraude évoluent aussi, et représentent un montant annuel de l’ordre de 1,2 milliard d’euros. Il est donc primordial que les commerçants et les entreprises restent vigilants, surtout sur les canaux les plus ciblés.
Sur le e-commerce, je conseille vivement aux commerçants de renforcer leurs mécanismes d’entrée en relation avec leurs clients, notamment par identité numérique qualifiée, et d’optimiser leurs systèmes d’alerte. Si la réglementation permet aux commerçants de ne pas appliquer systématiquement l’authentification forte, je rappelle que le recours à de telles exemptions doit être réservé aux transactions les plus sûres, et que les consommateurs sont désormais suffisamment accoutumés à l’authentification forte pour qu’elle ne soit plus considérée comme un obstacle dans les parcours clients.
Sur le segment inter-entreprises, où les fraudes par ingénierie sociale (fraude au président, faux fournisseur) représentent toujours un risque majeur, je fais appel à la vigilance des professionnels sur leurs opérations, notamment les modifications d’IBAN qui devraient toujours faire l’objet d’un contrôle approprié (par exemple par contre-appel au fournisseur quand celui-ci annonce un changement d’IBAN dans une facture).
Enfin, il est important de souligner que de nouvelles formes de paiement se développent pour fluidifier les parcours et optimiser la gestion de trésorerie des professionnels, comme le virement instantané ou encore l’intégration d’un ordre de paiement pré-rempli à la facturation électronique. En soutien à ces innovations, la Banque de France s’engage aux côtés des autorités européennes pour généraliser le contrôle de cohérence entre IBAN et nom du bénéficiaire, afin de lutter efficacement contre l’ingénierie sociale et préserver le haut niveau de sécurité de ces nouveaux modes de paiement.
Q6 : Ces dernières années les Français ont beaucoup épargné. Comment mieux orienter cette épargne sur le financement des PME dans les territoires ?
Le surplus d’épargne financière des ménages accumulé depuis 2020 (par rapport à la tendance pré-covid) atteint 157 milliards d’euros à fin 2022. Essentiellement placée sous forme de dépôts bancaires en 2020 et 2021, une partie de cette épargne a été réallouée depuis le second semestre 2022 vers des placements financiers davantage rémunérés, notamment vers les produits d’épargne réglementée (Livret A, LDD…) que la hausse de leurs taux d’intérêt rend désormais attractifs. L’assurance-vie a également retrouvé des flux plus en ligne avec la période pré-covid, notamment sur des contrats en unités de compte au détriments des fonds euros.
S’agissant de l’épargne réglementée non centralisée par la Caisse des Dépôts et Consignations, 80% des fonds au moins doivent être affectés au financement des PME. Les banques respectent très argement ce ratio et le dépassent même très nettement. Globalement, l’accès au crédit des PME reste aisé et leurs conditions tarifaires apparaissent très bonnes en moyenne, y compris en comparaison européenne.
Si les entreprises sont globalement bien financées, il n’en demeure pas moins que les PME et ETI ont besoin de renforcer leurs fonds propres. La loi Pacte avec l’Épargne Retraite, la réorientation progressive de l’assurance-vie via les fonds euro-croissance proposent des dispositifs permettant d’investir dans les entreprises. Tout le monde y a intérêt : les entreprises et les épargnants. À long terme, le meilleur investissement est celui des actions et les fonds propres des entreprises. Au-delà des mécanismes privés de fonds propres, des dispositifs publics existent pour accompagner les ETI, PME et TPE à travers les prêts participatifs. Enfin se développent des labels, des agréments et des mécanismes d’épargne salariale solidaire qui permettent d’orienter les flux de financement vers des projets ayant un impact social et environnemental positif.
Q7 : Nous sommes tous préoccupés d’orienter nos activités vers une économie plus humaine, plus verte et responsable. Quels sont les défis à relever en matière de finance durable ?
Le développement de la finance durable est une étape nécessaire pour assurer la transition vers une économie bas carbone. Il est bienvenu que le secteur financier s’oriente aujourd’hui dans cette direction : il nous faut engager de nombreux investissements directement nécessaires à la transition. L’enjeu et la responsabilité de la finance sont de faciliter un réexamen et une réorientation de l’ensemble des investissements pour qu’ils soient alignés avec les objectifs climatiques, c’est un premier défi. Le chemin sera long et difficile mais les progrès du secteur financier sont réels et rapides depuis quelques années.
Par ailleurs, la Banque de France mène des travaux pour mieux prendre en compte les risques climatiques dans l’évaluation des entreprises. Un « indicateur climat » est en cours d’expérimentation pour permettre aux entreprises d’objectiver leur degré de préparation à la transition énergétique et les inciter à progresser.
Un second défi est la nécessité de disposer d’une information de qualité sur les performances extra financières des entreprises. Ce chantier est prioritaire et, là encore, les progrès ont été rapides au cours de l’année écoulée avec le début de la mise en œuvre de standards européens et internationaux. Il est aussi nécessaire de développer des labels crédibles garantissant que les montants engagés sont bien mobilisés pour financer des activités en ligne avec nos objectifs climatiques. Un défi de taille est en effet le risque d’écoblanchiment (ou « greenwashing »). Celui-ci pourrait décrédibiliser et menacer l’efficacité des actions des entreprises pour mobiliser les flux d’investissements nécessaires à une économie plus durable. Sur ces deux fronts, l’UE a commencé à travailler et devra poursuivre son effort en alliant ambition et pragmatisme pour permettre l’émergence d’une régulation efficace.
J’ajoute enfin que la Banque de France en tant qu’investisseur se confronte elle-même à ces défis. Dès 2018, nous avons engagé une démarche d’investissement responsable de nos portefeuilles. De plus, s’agissant de nos portefeuilles non liés à la politique monétaire, la Banque de France a déjà atteint l’objectif des 2°C. J’ai ainsi annoncé fin 2022 que nous allons à présent les aligner sur l’objectif de 1,5°C, en commençant par les actions européennes d’ici fin 2023, et en poursuivant par un alignement complet d’ici fin 2025.
Mise à jour le 25 Juillet 2024