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BFM Business : « Nous avons passé le pic de l'inflation sous-jacente »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 7 Septembre 2023
Le Gouverneur de la Banque de France, invité de la matinale de BFM Business
,
Christophe JAKUBYSZYN
Et on est avec le Gouverneur de la Banque de France, François VILLEROY DE GALHAU,
bonjour.
François VILLEROY DE GALHAU
Bonjour Christophe JAKUBYSZYN et Laure CLOSIER.
Christophe JAKUBYSZYN
Merci beaucoup de nous faire le plaisir d’être avec nous, parce qu’on est inquiet ce matin, on est un peu inquiet depuis quelques jours avec Laure, quand on voit les différents chiffres s’accumuler, et encore plus depuis 24h, il y a eu les chiffres sur les services en France, les PMI. Là, ce matin, les chiffres des commandes à l’industrie allemande qui sont beaucoup plus dégradées que, anticipé par les prévisionnistes. Certains disent que l’Europe pourrait tomber en récession au second semestre de cette année. Il faut arrêter de monter les taux, Monsieur le Gouverneur ?
François VILLEROY DE GALHAU
D’abord, la photo sur l’activité : il y a incontestablement un ralentissement, il n’est pas
nouveau d’il y a quelques jours, il a lieu depuis plusieurs trimestres. Mais nous ne voyons pas
clairement en France de risque de récession, je veux le dire très clairement ce matin. Nous ne voyons même pas de signe de retournement généralisé de l’activité. Je fais une petite parenthèse technique sur comment nous le mesurons : il y a une enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France, dont nous publierons la prochaine d’ailleurs mardi prochain, le 12 septembre, et qui s’est avérée à l’usage être le thermomètre le plus fiable. Nous interrogeons plus de 8.000 entreprises. Les indices qu’on appelle PMI, qui ont été publiés hier, sont peut-être pour la France un peu moins fiables. Je relativise donc un peu des indications trop pessimistes en la matière. A court terme, nous allons d’ailleurs même remonter un peu notre prévision de croissance sur la France pour 2023…
Christophe JAKUBYSZYN
Vous étiez à 0,7…
François VILLEROY DE GALHAU
Nous étions à 0,7. L’explication est derrière nous, c’est la bonne surprise sur le deuxième trimestre, plus 0,5, alors qu’on attendait nettement moins.
Christophe JAKUBYSZYN
Vous serez à 1 %, comme le gouvernement ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je ne vais pas vous dire le chiffre encore, on est en train de travailler dessus, on va la remonter un peu. C’est incontestablement une croissance ralentie, mais j’y insiste, ce n’est pas une récession.
Laure CLOSIER
Vous avez l’impression qu’il y a quand même des fondamentaux sur l’économie française qui
résistent, on était avec le patron de l’INSEE la semaine dernière, qui disait : sur le deuxième trimestre, on est plutôt sur un phénomène technique avec un rattrapage, un gros bateau qui sort…
François VILLEROY DE GALHAU
Vous avez raison, sur le deuxième trimestre, le + 0,5 n’est pas représentatif. La tendance, c’est une croissance faiblement positive. Je note quand même que quand on compare aux autres économies européennes, l'économie française résiste plutôt mieux : c'est une bonne nouvelle en relatif. Un mot sur la zone euro dans son ensemble : là aussi, nous ne voyons pas de récession aujourd'hui, il y a certaines économies qui souffrent plus, comme l'économie allemande, parce qu'elle est très exposée aux exportations, notamment vers la Chine, et la Chine a ralenti, et qu'elle était plus dépendante du gaz russe.
Christophe JAKUBYSZYN
Alors, on va poser la question autrement, vous dites : bon, pas de récession, parce que nous, on voulait vous encourager à ne pas augmenter les taux. Bon, ça ne marche pas. On va prendre…
François VILLEROY DE GALHAU
On va parler, si vous voulez, des taux d’intérêt et du souci numéro un des Français, qui est l’inflation…
Christophe JAKUBYSZYN
On va vous poser la question d’une autre manière, est-ce que l’économie européenne a suffisamment ralenti aujourd'hui pour que vos anticipations d'inflation se réduisent ?
François VILLEROY DE GALHAU
Notre boussole en la matière, c’est l’inflation. Dans notre bataille contre l'inflation, nous avons enregistré des premiers succès, je vais en dire un mot, mais la première de toutes les vertus aujourd’hui, c'est la persévérance : nous ne sommes évidemment pas à la ligne d'arrivée ; nous devons, et nous allons, je le redis ce matin, ramener l'inflation vers 2 % d'ici 2025. Sous l'effet, c'est vrai, notamment de la remontée des taux qui joue un rôle dans ces premiers succès, nous avons passé le pic de l'inflation totale depuis le début de l'année en zone euro, comme en France. On s'est certes posé beaucoup de questions à propos des chiffres du mois d'août, parce qu'il y a une remontée apparente de l'inflation en France : elle s'explique par les variations du prix du pétrole, et par la correction sur le prix de l'électricité au 1er août. C'était une décision difficile, mais je le dis au passage, je crois qu’elle était nécessaire, il fallait sortir de ces mesures de subventions. L'inflation totale en zone euro a été stable au mois d'août, après 3 mois de baisses. Les variations du prix du pétrole dont on parle aussi beaucoup ces derniers jours, affectent le rythme mensuel, nous les suivons avec attention ; mais elles ne remettent pas en cause la tendance à la désinflation sous-jacente. On est très loin du choc généralisé sur les matières premières qu'on avait connu, souvenez-vous, d'abord fin 2021, puis avec l'invasion de l'Ukraine début 2022. Il y a un autre succès, puisque je parle de désinflation sous-jacente, et il est encore plus important pour la politique monétaire, c'est que, non seulement nous avons passé le pic de l'inflation totale, mais depuis le printemps dernier, nous avons passé le pic de ce que nous appelons l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation. Cela, c'est très important, parce que c'est ce sur quoi la politique monétaire est efficace, c'est ce dont la politique monétaire est responsable. Alors cette inflation sous-jacente…
Laure CLOSIER
Ce qui veut dire que ça fonctionne…
François VILLEROY DE GALHAU
… est tombée à 4 % en France, à peu près, et à 5,3 en zone euro alors qu'elle était supérieure les mois précédents.
Laure CLOSIER
Ce qui veut dire que ça fonctionne, que la politique des hausses de taux est en train de se diffuser dans l’économie…
François VILLEROY DE GALHAU
Cela veut dire que ça fonctionne.
Laure CLOSIER
Quand vous regardez la situation économique aux États-Unis, qui elle, ralentit moins, on a des signaux qui sont un peu plus positifs, est-ce que vous avez l'impression que, finalement, la politique monétaire de la Banque centrale européenne, même si les hausses de taux sont parties plus tard, s’infuse plus vite dans l'économie ?
François VILLEROY DE GALHAU
Il y a une tendance générale, qui n’est pas radicalement différente entre les États-Unis et l’Europe, mais quand vous regardez dans le détail, la nature de l’inflation et ses causes n’étaient pas exactement les mêmes, la réponse de politique monétaire doit du coup être un peu différente. J’ajoute une différence à ce que vous citiez, c’est que les taux aux États-Unis sont nettement supérieurs à ce qu’ils sont en Europe. Certains trouvent que les taux sont trop élevés en Europe, je rappelle qu’aux États-Unis, c’est 5,5, en Europe, c'est 3,75. Je dis un mot sur nos taux, puisque nous avons une réunion importante du Conseil des gouverneurs la semaine prochaine. Je ne vais pas dire aujourd’hui ce que nous allons décider jeudi 14 septembre. Nos options sont ouvertes à ce conseil, comme aux conseils suivants. Mais je vais dire une conviction : nous sommes proches ou très proches du point haut des taux d'intérêt.
Christophe JAKUBYSZYN
Est-ce qu'on pourrait être au point haut déjà, selon vous ?
François VILLEROY DE GALHAU
Cela, c'est la discussion de la semaine prochaine, et j'y insiste, nos options sont ouvertes, non seulement à ce conseil, mais aux conseils suivants. Mais quand je dis que nous sommes très proches du point haut des taux d'intérêt, c'est que, aujourd'hui, maintenir les taux suffisamment longtemps compte plus que les augmenter encore significativement. Pour le dire autrement, la course de fond compte plus que l’altitude.
Laure CLOSIER
Il faut que ça soit stable…
François VILLEROY DE GALHAU
Parce qu’il y a un délai d'action, d'efficacité de la politique monétaire.
Laure CLOSIER
Il faut que ça soit stable, notamment pour le marché de l'immobilier qui a besoin de se structurer autour d'un taux qui ne cesse pas de monter, parce que la hausse a été brutale, on a des indicateurs en France qui sont inquiétants, ça, ça pourrait jouer, vous regardez beaucoup les data de chaque pays, dans la décision de hausse des taux ?
François VILLEROY DE GALHAU
Nos décisions de hausse des taux sont prises au vu de notre objectif : inflation vers 2 % en 2025. Mais l'immobilier, c’est effectivement une préoccupation très importante des Français, que nous suivons avec attention. Nous avons publié les derniers chiffres lundi, et ils montrent effectivement un net ralentissement de la production…
Christophe JAKUBYSZYN
Moitié moins de production, dix milliards de production, la moitié…
François VILLEROY DE GALHAU
Voilà : on est à dix milliards de production, c'est beaucoup moins qu’au pic de 2021 ou du début 2022,Il faut relativiser : ce pic était lui-même exceptionnel, parce que, souvenez-vous, on avait des taux exceptionnellement bas, comme on n'en avait jamais vus, à un peu plus de 1 %, et comme on n’en reverra pas avant un bon moment. L’autre bémol qu'on doit mettre, même si je prends au sérieux ce ralentissement, c'est que si on compare la France aux autres pays européens, qui ont la même politique monétaire, le ralentissement est nettement moindre en France. Aujourd'hui, les crédits immobiliers nouveaux sont 20 % moindres en Allemagne, alors que c’est un pays, et une économie plus importante, et 3 à 4 fois moindres en Espagne et en Italie. Par ailleurs, les taux du crédit immobilier sont nettement plus élevés dans ces autres pays qu'en France, je crois que cela explique une résistance relative de la production dans notre pays.
Christophe JAKUBYSZYN
Néanmoins, on le sent, vous êtes inquiet.
François VILLEROY DE GALHAU
Je ne suis pas inquiet, je suis vigilant, et c'est mon rôle. Je crois qu'il est souhaitable maintenant que la production de crédits immobiliers se stabilise, et ensuite, reparte progressivement. Il y a deux leviers pour cela…
Christophe JAKUBYSZYN
Les taux…
François VILLEROY DE GALHAU
Non, le premier levier le plus important, c'est la demande des ménages. Il y a beaucoup de ménages aujourd'hui qui attendent pour réaliser leur projet immobilier, parce qu'ils attendent que les prix décélèrent. Les prix de l'immobilier avaient énormément augmenté pendant la phase des taux d'intérêt bas : en moyenne, de + 33 % depuis 2015, là aussi, on avait rarement vu cela. Donc il est logique et prévisible que les prix de l’immobilier vont se stabiliser et même baisser dans un certain nombre de villes, et cela va faire repartir la demande des ménages. Le second levier est du côté de l'offre de crédit des banques. Là, nous avons, avec Bruno LE MAIRE, pris vraiment toutes les mesures pour que cette offre reste forte. Je ne veux pas rentrer dans le détail technique…
Christophe JAKUBYSZYN
Vous avez assoupli…
François VILLEROY DE GALHAU
C’est la mensualisation du relèvement du taux de l'usure, on en avait parlé ici. Il y a l’assouplissement technique de certaines des règles qu'on a appelées les règles HCSF, sans prendre le risque de surendetter les emprunteurs. Et puis, une mesure récente du mois de juillet, c'est la stabilisation du taux du Livret A, qui est une ressource importante du crédit immobilier. Si je devais donc résumer sur le crédit immobilier, il est normal que son coût soit aujourd'hui plus cher qu'il y a 2 ans, - on est revenu en gros au niveau de taux d'intérêt d'avant 2015 -, mais son accès ne doit pas être plus rare qu'auparavant …
Christophe JAKUBYSZYN
C’est un petit appel aux banques que vous faites ce matin.
François VILLEROY DE GALHAU
C’est votre commentaire. En tout cas, nous avons fait ce qu’il faut, pour que l’offre de crédits des banques reste à disposition.
Christophe JAKUBYSZYN
J’ai oublié un troisième levier.
François VILLEROY DE GALHAU
Allez-y.
Christophe JAKUBYSZYN
Les taux d'intérêt. Il ne faut pas que les taux d’intérêt montent trop haut…
François VILLEROY DE GALHAU
J’ai parlé du coût, oui, mais Christophe JAKUBYSZYN, là, il faut être cohérent. Nous souhaitons tous, et les Français les premiers, qu’on vainque l'inflation rapidement. La meilleure façon, toujours et partout, de la vaincre, c'est d'avoir des taux d'intérêts qui sont plus élevés. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, l'inflation va continuer à prospérer, et ensuite, il faudra un remède de cheval. Je me permets de rappeler les années 70, où on avait à l'époque une inflation qui était à 2 chiffres, plus de 10 % et pas 5, comme aujourd’hui : cela s'est terminé avec des taux d'intérêt qui étaient beaucoup plus élevés, plus de 20 % aux États-Unis. C'est cela que nous allons éviter cette fois en ayant traité la maladie à temps. Il y aura retour de l'inflation vers 2 % d'ici 2025.
Laure CLOSIER
Merci beaucoup
Mise à jour le 25 Juillet 2024