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Entre montée des risques et innovation financière, l’écosystème fintech à la croisée des chemins
Intervenant
Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 20 Octobre 2022
FINTECH R:EVOLUTION 2022
Paris, le 20 octobre 2022
Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France.
Mesdames et Messieurs,
Avant toutes choses, je souhaiterais remercier l’association France Fintech, et son président Alain Clot, pour leur invitation à participer une nouvelle fois à cet important évènement pour l’écosystème français des fintechs.
Depuis notre rencontre l’année dernière, le contexte macro-économique a fortement changé. Les effets du Covid continuent de perturber les chaînes logistiques mondiales ; à cela, le conflit en Ukraine est venu ajouter une perturbation économique majeure.
Ce choc potentiellement « stagflationniste » touche le secteur des fintechs, non seulement via ses conséquences à court terme sur la demande des ménages et des entreprises, mais également via le durcissement des conditions de financement.
Dans ce contexte, je souhaiterais d’abord, au-delà d’un constat de perspectives macroéconomiques qui s’obscurcissent, évoquer rapidement la montée des risques susceptibles d’affecter notre écosystème innovant, avant d’indiquer comment la Banque de France et l’ACPR peuvent aider à y répondre.
I- Un contexte de montée des risques
Concernant la montée des risques, je voudrais en premier lieu souligner que la numérisation du secteur financier a pour corollaire une aggravation du cyber-risque. Il s’agit aujourd’hui du premier risque opérationnel pour les acteurs financiers et ce constat est encore plus vrai dans le contexte du conflit russo-ukrainien. Le risque cyber a la capacité de mettre en danger la stabilité du système financier dans son ensemble ; il tend par ailleurs à réduire la confiance en l’innovation, qui constitue une des pierres angulaires de notre développement économique futur.
En second lieu, la profonde reconfiguration des chaines de valeurs que le secteur financier a connue engendre deux risques potentiels. Premièrement, celui d’une fragmentation excessive. La fragmentation peut évidemment jouer un rôle bénéfique en introduisant de la concurrence – l’essor des fintechs en est la meilleure preuve – mais elle peut aussi devenir un facteur d’inefficacité si elle introduit un manque d’interopérabilité, en particulier dans le domaine des solutions de paiement et des infrastructures de marché. Le deuxième risque est celui d’une perte de souveraineté, si des fonctions essentielles devaient largement échapper aux acteurs et aux superviseurs européens. Je pense ici notamment à la question des données, celle de leur usage et de leur localisation.
En troisième lieu, la jeunesse, voire l’immaturité des écosystèmes, peut être un facteur d’instabilité – dont il convient de vérifier qu’il est limité au regard du système financier dans son ensemble.
À cet égard, certains modèles économiques paraissent incompatibles avec les promesses qu’ils avancent tout autant qu’avec les attentes des clients. Je voudrais ici rappeler et renouveler les avertissements formulés par l’ACPR en juillet dernier au sujet des « mini-crédits » et du paiement fractionné, notamment en ce qui concerne la nécessité absolue d’informer clairement le client, de vérifier sa solvabilité et de respecter les taux d’usure.
Au titre de notre mandat de stabilité financière, nous sommes particulièrement attentifs à la Banque de France et à l’ACPR à l’exposition de certains modèles d’affaires aux retournements économiques, à la dépendance envers des tiers prestataires, ou encore aux fragilités opérationnelles qui peuvent apparaître : dans un écosystème dynamique et créatif, maillons faibles et effets de contagion représentent un risque réel pour la stabilité du système financier. Au sein de l’écosystème des crypto-actifs et de la DeFi, l’effondrement du système Terra-Luna, et ses effets déstabilisants en chaîne, en a bien sûr fourni un exemple emblématique, même si ce phénomène a eu lieu dans un écosystème déconnecté de la finance réelle, sans impact sur le système financier.
II- Comment la Banque de France et l’ACPR peuvent aider à y répondre ?
Pour répondre à la montée de ces risques, la Banque de France et l’ACPR peuvent aider l’écosystème à évoluer sur le bon chemin.
A. La règlementation à venir
En premier lieu, en contribuant au développement d’une réglementation adaptée aux mutations en cours. La réglementation réduit l’incertitude et permet à l’ensemble des compétiteurs d’être placés sur un pied d’égalité, sans subir, par exemple, la concurrence d’acteurs « voyous ». Bien sûr, il peut arriver qu’une réglementation freine indûment l’innovation. C’est pourquoi, je voudrais rappeler ici l’importance du dialogue entre autorités et acteurs innovants pour identifier les cas d’usage réels, et parvenir à un juste équilibre entre les objectifs de protection de la clientèle et de maintien de la stabilité financière, d’une part, et les réalités opérationnelles d’autre part.
Sur le front réglementaire européen, plusieurs chantiers d’importance sont ouverts ou en passe de s’ouvrir. J’en citerai deux.
1/ La finance ouverte (« open finance »), tout d’abord. Dans la réflexion qui démarre sur le sujet en Europe, je tire au moins deux leçons des directives sur les services de paiement : d’une part, la qualité des données fournies via les APIs est cruciale ; d’autre part, le sujet de la rémunération de l’accès aux données ne doit pas être tabou.
L’ouverture des données peut être un formidable moteur d’innovation, au bénéfice des consommateurs : il faut être prêt à se saisir de l’occasion. Dans cette perspective, je vous encourage à venir dialoguer avec les superviseurs français (ACPR et AMF) pour bien identifier les cas d’usage réels, et assurer ainsi la plus grande pertinence possible au cadre réglementaire futur.
2/ Deuxième chantier d’importance : la finance décentralisée, la « DeFi ». Une première étape a été franchie avec le règlement « Markets in Crypto-Assets » (MiCA). Ce règlement va de facto soumettre certains acteurs de la finance décentralisée à des règles, via son volet stablecoin. MiCA pose aussi un jalon pour la prochaine étape, c’est-à-dire la réglementation plus générale de la finance décentralisée.
Ici aussi, nous contribuerons à la réflexion européenne, en tirant parti du dialogue que nous entretenons avec l’écosystème innovant français. Avec plusieurs questions auxquelles nous devons collectivement répondre :
- Quels sont, dans cet écosystème, les modèles économiques à valeur ajoutée pour l’économie réelle ?
- Comment rendre la finance décentralisée accessible à grande échelle et au grand public dans des conditions qui garantissent réellement la confiance ?
- Quelle approche réglementaire adopter pour chacun des différents « modules » de la finance décentralisée et comment réguler des fonctionnements parfois totalement décentralisés ?
Certains problèmes sont complexes mais nous devons trouver collectivement des solutions car la finance décentralisée ne se développera pas sans cadre réglementaire.
B. Nos réalisations, nos démarches d’innovation
Bien évidemment, la seule adaptation du cadre règlementaire ne répond pas à tous les défis. À la Banque de France et à l’ACPR, nous avons la conviction que pour aider à les relever, il nous faut être aussi un acteur de l’innovation.
1/ C’est pourquoi nous inscrivons la démarche d’innovation au cœur de notre stratégie d’entreprise, avec « Le Lab », notre centre d’innovation. Sa mission est à la fois de catalyser les innovations en interne, en appui de tous les métiers de la Banque centrale, et de développer les liens avec nos écosystèmes, que ce soit le monde de la recherche ou le monde économique.
Notre objectif, et j’insiste sur ce point, est de travailler toujours plus avec vous, à travers des appels à contribution ou des hackathons thématiques. D’ici quelques semaines, la Banque de France aura d’ailleurs une plate-forme dédiée à tous ces « challenges ».
2/ Etre un acteur de l’innovation c’est aussi pour nous accompagner la tokenisation des titres en offrant la monnaie de banque centrale, l’actif de règlement le plus sûr et le plus liquide, directement sur blockchain, et améliorer les paiements transfrontières et en devises. C’est le sens de nos expérimentations en matière de MNBC interbancaire. C’est ce que nous avons testé avec 9 expérimentations conduites en 2021, que nous allons approfondir avec 3 nouvelles expérimentations en 2022. C’est pourquoi nous militons au sein de l’Eurosystème pour que nous accompagnions les expériences qui vont être menées dans le cadre du régime pilote européen à partir de 2023 en fournissant des solutions de paiement en monnaie de banque centrale tokenisée.
Nous participons également activement aux travaux de l’Eurosystème sur une potentielle MNBC de détail, aussi appelée « euro numérique », qui serait utilisable par le grand public pour les paiements du quotidien.
3/ Je termine avec un exemple de notre approche d’expérimentation appliquée au domaine de la supervision. En effet, cette méthode permet aussi à l’ACPR de répondre à plusieurs défis : inciter les acteurs contrôlés à tirer parti au mieux des nouvelles technologies pour leur conformité et la sécurité du système financier, et préparer la supervision du futur.
C’est dans cet esprit que nous avons lancé en mars dernier une expérimentation sur les méthodes collaboratives pour la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Il s’agit d’un sujet d’intérêt général, dont la solution peut être collective, ainsi que l’a estimé récemment le Groupe d’action financière, le GAFI.
C’est pourquoi l’ACPR a proposé aux acteurs économiques une méthode de co-construction, en organisant un Tech Sprint le 13 septembre dernier. Son objectif était d’examiner plusieurs solutions visant à mutualiser des données tout en conservant leur caractère confidentiel. L’évènement a été un franc succès : 12 équipes formées de 23 entreprises ont proposé un large éventail de techniques novatrices.
L’ACPR poursuivra ses travaux avec des équipes de banques et de prestataires techniques volontaires et en partagera largement les enseignements.
Il est temps pour moi de conclure, avec un message simple. Parvenus à la croisée des chemins, ce n’est qu’ensemble que nous discernerons le bon chemin à emprunter, en partageant nos expériences et nos expertises.
Notre engagement, à cet égard, est clair : vous accompagner pour contribuer ensemble à la vitalité et à la résilience de notre économie.
Mise à jour le 25 Juillet 2024